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Archive for octobre 24th, 2016

Chroniques du regard 2016-2017 – Danse de nuit par Danse K par K.

Photo: David Cannon

Photo: David Cannon

Lorsque j’ai rencontré la chorégraphe Karine Ledoyen pour parler du projet Danse de nuit, le spectacle était encore en construction, donc en partie inconnu. Cet inconnu était composé, d’une part, d’une dose d’expérimentations qui restaient à faire (ou à continuer) avec les partenaires et interprètes et, d’autre part, d’une dose de doutes quant au contenu chorégraphique déjà amassé, incluant celui à retenir (ou pas) lors du montage final du spectacle. L’entrevue fut teintée d’une fébrilité de créateur face à l’inconnu, un effet inhérent à tout processus et travail de création. C’est dans cet état d’esprit que la très volubile artiste de la danse m’a reçu en entrevue.

Très allumée par cette nouvelle aventure, elle y est accompagnée par deux danseurs-interprètes de grand talent, Odile-Amélie Peters et Fabien Piché et de collaborateurs fidèles, dont Patrick Saint-Denis à l’invention scénographique, sonore et technologique, et Sonoyo Nishikawa  aux éclairages.

La force de Karine Ledoyen réside dans son intérêt et son esprit inventif face aux éléments scénographiques, ainsi que dans sa curiosité dans l’expérimentation du processus de représentation. Partant du point de vue de celle qui, pour cette création, questionne sa notion même de danse et de spectacle, elle approche sa sixième composition, Danse de nuit, de manière plus performative, mettant les interprètes (incluant elle-même) au défi quant à la façon de présenter les éléments et composantes du spectacle.

Danse de nuit c’est pour vous si vous voulez suivre Karine Ledoyen dans la continuité de son parcours artistique.  

Danse de nuit c’est pour vous si vous êtes intéressés par le thème de la nuit et par le désir de voir ce qui se cache dans l’univers nocturne.

Danse de nuit c’est pour vous si vous avez un intérêt pour le travail de duo qui peut devenir couple, avec toute sa palette possible de relations.

La nuit, selon la chorégraphe, permet aux humains de dévoiler une plus grande part de leur fragilité. Elle permet d’entrer dans un état particulier propice à l’exploration des qualités et méandres des univers nocturnes. Elle permet une plus grande intimité et peut même mettre les corps dans un « état d’urgence ».

Partant de ces notions, le spectacle devient sérieux. L’attitude face à la création aussi. La chorégraphe a essayé d’éliminer les mécanismes de défense souvent utilisés par elle dans ses œuvres précédentes. Exit l’ironie, exit aussi une certaine légèreté puérile. Cette nouvelle attitude permet de rentrer dans le travail de création avec un intérêt particulier sur le travail du poids et la surprise du momentum (incluant une série de déséquilibres, voire de chutes auxquelles il est impossible de résister), sur l’intérêt de la micro-danse (une danse intime, minimaliste et à petit déploiement, qui sera magnifiée par la captation vidéo en direct et la projection sur écrans) et sur la danse d’état, une nouveauté dans le travail de K par K. : « La nuit est un état, pas seulement de la noirceur » déclare la chorégraphe.

La méthode de travail a donc été renouvelée. Ledoyen se sentait prête à changer d’outils, quitte à laisser la danse un peu de côté pour inclure d’autres moyens d’expression afin d’exprimer plus clairement le concept à la base de son travail. Elle espère inclure dans son spectacle plusieurs couches de sens, plusieurs styles de performance. De plus, elle souhaite continuer à prendre le temps de faire les choses (reprenant sur scène le travail fait en studio) et présenter en temps réel la fabrication d’une scène plutôt que d’en garder simplement une image-trace iconique du travail accompli.

Approchant la création avec sérieux, l’attention et la curiosité sont portées vers la forme DUO, explorant par la bande le couple et la fragilité du couple, les brouillages et les malentendus. Sur scène, parfois les relations ou les situations s’enveniment et dans ces cas, comme le dit la chorégraphe : «Ça vire pas ben».

Le spectacle sera morcelé, allant vers l’accumulation des séquences et des vignettes. Suivant un courant très actuel, « il n’y a pas de fin, pas de début, pas de conclusion », le spectateur sera libre de trouver ses repères, sans avoir à s’accrocher à ce qu’il reçoit. Il pourra renouveler son regard face à la nuit, y inclure rêves, cauchemars, obsessions, perversions, transformations et déséquilibres. Sur scène, présenté en partie comme une répétition ouverte (et vécu ainsi par les interprètes), le spectacle permet de voir les artistes au travail. On y retrouve captation live de son et d’image. Les dispositifs et mécanismes en jeu sont expliqués et démontrés.

Sur scène, en plus des trois performers, Patrick St-Denis est occupé à diverses assignations, il doit intégrer dans les différents éléments du spectacle les données de géolocalisation et de pression artérielle recueillies par des senseurs portés sur les avant-bras des danseurs. Le son en sera affecté et le rythme de spectacle pourra, par exemple, suivre la pulsation cardiaque d’un individu. On entrera alors, selon la chorégraphe, « dans une très grande intimité, une capacité à chorégraphier le cœur ».

Lors du travail de recherche et création, la compagnie a pu profiter d’une résidence de création au Musée de la Civilisation lors de l’exposition Corps rebelles qui est maintenant présentée à Lyon jusqu’en mars 2017.

Liens externes

La nuit et l’idée qu’on s’en fait sont, pour l’imagination, un domaine fertile depuis toujours (depuis la nuit des temps!). La nuit permet le rêve et l’émerveillement (qui n’a pas profité de l’observation du ciel étoilé ou d’une nuit de Perséides?). La nuit a stimulé de nombreux créateurs et permis d’accoucher d’une multitude d’œuvres. Il suffit de rappeler les Nocturnes de Chopin, la Petite musique de nuit de Mozart ou les Variations Goldberg de J.S. Bach.

La nuit a toujours été considérée par plusieurs comme le moment idéal pour se rassembler. Elle est le moment parfait pour le partage des contes et légendes, le moment favorisé d’un certain type de cérémonies rituelles, et son obscurité est souvent essentielle pour la présentation des spectacles. Mais attention, elle est aussi le repaire des fantômes, des monstres et des créatures de la nuit, des cauchemars et frayeurs nocturnes mais aussi, heureusement, des réconforts parentaux.

Il est à noter qu’il existe un autre spectacle de danse actuellement en tournée européenne intitulé Danse de nuit. Il est l’œuvre du chorégraphe français Boris Charmatz, souvent associé au mouvement de la non-danse (qui est brièvement apparu sur nos scènes en 2014 dans les spectacles Tragédie d’Olivier Dubois, et Gustavia de Mathilde Monnier/La Ribot). Le spectacle, dansé dans différents sites urbains, est aussi de nature performative et pose des questions qui pourraient être orientée vers le spectacle de Danse K par K : « … qu’est-ce qu’une « danse de nuit » : une fête, une procession, une manifestation, une battle nocturne? C’est comme une ronde de nuit, une danse à la dérobée, à l’écart de la lumière? C’est l’inverse d’une danse de jour : une danse cachée, clandestine – une zone d’exception? »

Du côté chorégraphique, en quelques clics, il faut aussi prendre connaissance de Ce que le jour doit à la nuit du chorégraphe français Hervé Koubi, spectacle dont il discute ici. Il a par la suite créé Les nuits barbares ou les premiers matins du mondeUne chorégraphe québécoise s’est aussi inspirée du sujet de la nuit, Danièle Desnoyers de la compagnie Le carré des lombes, présentait en 2012, au Festival TransAmériques  Sous la peau, la nuitune étude sur « les âmes errantes du peuple de la nuit, sur les étreintes se font parfois morsure et certains rires se transforment en sanglots ». Laissant elle aussi  « l’œuvre se construire par accumulation de couches successives et le sens se frayer un chemin dans les mystères du corps ». Aussi, d’un point de vue historique, il ne faut pas oublier Le Ballet royal de la Nuit (1653) qui permit l’apparition mythique du roi-soleil, Louis XIV.

Finalement, la nuit permet une foule d’activités, artistiques, sociales ou personnelles. Nommons ici le phénomène social international Nuit debout«C’est un mouvement citoyen et nous demandons aux représentants politiques de ne pas prendre la parole», les activités artistiques Nuits blanches aux Musées ou Nuit des Galeries  chez les artistes et artisans du secteur Vieux-Port, de Place-Royale et du Quartier Petit Champlain, à ne pas confondre avec la série de films A Night at the Museum (La Nuit au musée).

Les nuit peuvent être blanches, peuvent être noires, peuvent même, pour votre amusement personnel, être passées en prison.

Danse de nuit de Karine Ledoyen: éclats de lumière par Daphné Bédard, Le Soleil

Dans quelques jours, nous découvrirons Danse de nuit, la dernière création de Karine Ledoyen. Daphné Bédard s’est entretenue avec la chorégraphe.

Photo: David Cannon

Photo: David Cannon

(Québec) La nuit évoque tout autant la tonitruante musique des bars que la douceur d’une berceuse chantée à un bébé. Pour Karine Ledoyen, la nuit est une source inépuisable d’inspiration. Ses mystères et ses secrets sont bien sûr des éléments d’ancrage de sa dernière création, mais la chorégraphe de Québec voit surtout la nuit comme un point de vue. «Tu éclaires ce que tu veux avec la lumière», explique-t-elle.

Danse de nuit, qui occupera la salle Multi de Méduse du 26 au 28 octobre, est une série de tableaux que Karine Ledoyen appelle «vignettes». «Ce n’est pas un seul souffle», précise celle qui nous a offert Danse de garçons et Trois paysages en 2013. En tant que spectateur, on s’imagine devant un édifice à plusieurs fenêtres. On se fait voyeur en allant voir ce qui se passe dans tel appartement ou dans l’autre. «Je pense que, la nuit, les choses se transforment par rapport à ce qu’on voit en plein jour», avance Karine Ledoyen. On ne voit pas nécessairement le début ou la fin d’une situation. «Le voyeurisme est très présent dans le spectacle», admet-elle.

Le spectateur joue un rôle dans Danse de nuit. Il décide de ce qu’il veut regarder. Il est sollicité par ce qui lui est proposé, mais aussi parce que Karine Ledoyen, qui joue le rôle de la chorégraphe sur scène, l’interpelle directement. «Je brasse un peu le spectateur. Il n’est pas passif», précise-t-elle.

La nuit appelle aussi l’intimité et Karine Ledoyen a voulu faire entrer le spectateur dans celle des interprètes : les deux danseurs Odile-Amélie Peters et Fabien Piché, le musicien Patrick Saint-Denis – l’inventeur de la machine à vent interactive de la pièce Trois paysages – et elle-même.

Multidisciplinaire

Pour Danse de nuit, on peut parler d’un spectacle multidisciplinaire qui allie à la fois la danse, la performance et le théâtre. «Le mouvement reste ma motivation première, affirme Karine Ledoyen. Mais parfois, pour dire quelque chose, j’utilise plusieurs outils.»

Les mouvements des interprètes créent des sons en direct grâce à des capteurs installés sur eux. On peut même entendre leurs battements de coeur. «C’est l’affaire la plus intime qu’on peut offrir, croit Karine Ledoyen. Ça ne trompe pas.» Et à travers le coeur vient évidemment le sujet du couple, du rapport amoureux.

La chorégraphe aime également garder ses danseurs sur le qui-vive en jouant notamment avec la scénographie. Ils sont alors obligés de modifier leur parcours. Tel un funambule sur son fil, ils doivent garder l’équilibre.

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Source: Le Soleil, Daphné Bédard.