La Rotonde
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Archive for novembre 15th, 2010

CABANE – La dérive de l’homme oiseau

Collaboration spéciale
Mathilde Bois

Cabane - Paul-André Fortier, Rober Racine photo de Robert Etcheverry

Alors, niché sur votre toit, un homme se met à ululer d’une voix croassante dans son interphone. Votre misérable plafond peut-il vraiment contenir ces vrombissements d’inepties, ces cris de haine? Et il jacasse, il criaille de plus belle.

Un homme se prend pour un oiseau? Posez-lui une échelle pour qu’il puisse revenir sur terre. Ce qui est moins simple, c’est de se débarrasser de ces longues tiges sous vos pieds, qui clouent vos jambes au ciel, vous enferment dans une immobilité céleste. Tout à fait grotesque vous direz. Dans le néant absurde, dans lequel vous dérivez, tout est trop irréel pour être qualifié de grotesque, ou de ridicule par ailleurs. Il n’y a que vous, votre cabane puis cet homme, se prenant pour un oiseau. Et cette satanée mouche qui fait fi de tout respect de la propriété d’autrui et imprime son ombre gigantesque sur votre porte, vos murs et votre visage, même.

Le voilà qui hante le silence avec son harmonica. Le voilà qui cogne à la porte. Enfuyez-vous! Échappez-vous dans le silence, ah oui! Le silence! Peut-être êtes-vous…Dieu? Si si. Dieu. Mais plus vraisemblablement, vous n’êtes que ce portrait illuminé qui traverse la scène. Quelle scène? Plutôt votre monde, votre univers!

Et cet homme qui veut voler… ce même homme qui s’écrase, roule, s’épanouit comme une fleur à vos pieds. Cachez-vous, c’est le perturbateur du silence!

Tout le monde en conviendra, sortir les mots de leur inertie, diriger un corps par quelques assemblages de lettres (tout porteur de sens qu’ils soient) est une tâche pénible. Même en écrivant « avancer en ligne droite », votre interprète court le risque de se buter contre un mur, et alors, toute l’âme d’oiseau qui l’habitait glissera le long du mur et s’imprimera sur son visage.

Et vous, qui croyiez que le bruit était une puissance mystique qui troublait votre existence, découvrirez que vos pas, sur un sommier, produisent des sons. Des sons dont la tonalité tient du hasard, mais la force est le fruit de votre volonté. Votre volonté qui marche à tâtons sur le sommier, vos pieds qui en font grincer les ressorts. Vous êtes l’âme d’un amas de métal hurlant. Vous entendez? Tout le monde entend. Même que tous les spectateurs entendent aussi ce duo à vent, mettant en vedette vos jouissances nasales et les expirations paumées de…oui, oui, de ce même homme qui se prenait pour un oiseau. Il est ardu de déterminer si c’est le silence qui contient les ondulations de votre corps ou votre immobilité qui endigue des épanchements sonores. Ce qui est plus certain, c’est que la mouche tache toujours votre porte, vos murs et votre visage.

Les murs et la porte de cette cabane qui n’en est plus une, elle a explosé. Je n’ai pas oublié de vous le dire, ça vient de se produire. Par ailleurs, l’homme s’en déchire les poumons de peur. Et tous vos mouvements contrôlent son agonie. Un pas, et son braillement devient strident, un autre, et il atteint une puissance morbide.

Vous êtes cet oiseau? Non, pas encore. Pour l’instant, il est si faible qu’il serait mieux de le ramener sur terre. Votre danse avec le sommier fait tomber le dernier mur. Votre seul spectateur se retrouve nu, debout dans le cadre d’une fenêtre. Et ses doigts funambules produisent une étrange musique qui ne peut faire partie de votre rêve, puisqu’elle perdure après votre réveil. Vos doigts flottent, votre sommier danse toujours au gré du lourd balancement de vos bras qui déplacent l’air lentement.

Si vous êtes Dieu, cette cabane éclairée d’une lumière blanche ne peut qu’être votre royaume. Mais peut-être que vous et votre compagnon n’êtes que les rouages d’un ordre céleste, et qu’en tombant simultanément sur le sommier, les pieds pointés vers le ciel, vous n’êtes que la scission illusoire dans l’espace d’une unité universelle qui plane sur votre cabane, votre monde, sur votre univers!

Mais, vraisemblablement, vous êtes plutôt livré à la dérive sur cette douce folie qui est la vôtre, au gré de ces vagues qui courent sur vos bras, vos jambes et votre nuque. Quoi qu’il en soit, on ne peut douter de l’existence de cette satanée mouche qui n’en finit plus de faire voleter son ombre sur vos murs et votre porte.

Et croyez-moi, tout aussi irréel que cela puisse sembler, cette mouche et l’homme qui se prend pour un oiseau seront à la salle Multi de Méduse, les 23 et 24 novembre, autour de votre Cabane, ou celle de Paul-André Fortier plutôt, pionnier québécois de la danse contemporaine. Et peut-être que vous, cher lecteur, y serez aussi.

Voir la page du spectacle Cabane

Chorégraphie : découverte et sensibilité

Annie Gagnon photo Zepiks

M.-H. J. : Bonjour Annie, tu as obtenu ton diplôme de l’École de danse de Québec en Danse-Interprétation en 2009. As-tu toujours eu un intérêt pour la chorégraphie en plus de l’interprétation, ou est-ce que cela s’est manifesté plus récemment?

Annie Gagnon : La création a toujours fait partie de mon parcours en danse. Elle me permet d’exprimer des choses plus personnelles à travers un langage gestuel et chorégraphique. C’est une façon de découvrir et de rechercher de nouvelles façons de bouger, de construire sur des corps qui sont différents du mien, d’inventer, de puiser dans mon imaginaire. L’interprétation me permet d’aller puiser au fond de moi-même pour rendre l’œuvre et le cheminement de quelqu’un d’autre. Elle me pousse dans des directions nouvelles et me permet d’évoluer non seulement comme interprète, mais aussi comme individu. C’est un travail différent. L’un et l’autre se nourrissent constamment.

Que représente pour toi une première chorégraphie en termes de :

Travail?
C’est gigantesque le travail que représente la création d’une première œuvre. Il y a, bien sûr, la création en soi qui est déjà très exigeante, mais aussi toute la coordination et la gestion qui entourent un projet de diffusion. Je ne m’attendais pas à autant de gestion quand je me suis lancée dans cette aventure.

D’investissement personnel, émotionnel?
La création, c’est un boost d’énergie pure et de réalisation de soi. Mais c’est aussi des doutes, des inquiétudes… La peur de ne pas parvenir à matérialiser ce que l’on voit dans sa tête, de ne pas atteindre son public. Mais c’est aussi une panoplie de surprises et de moments magiques qu’on n’aurait pu prévoir. La création prend parfois le dessus sur le chorégraphe et nous mène là où on ne l’aurait pas pensé. Elle a aussi la fâcheuse tendance à nous suivre partout. Mais c’est cette même omniprésence qui la fait avancer et évoluer. C’est prenant, mais tellement enrichissant!

De temps?
Le temps. On a toujours l’impression d’être en manque de temps. C’est long faire mûrir une idée, la rendre pleinement, l’amener à sa pleine maturité. L’idéal serait de ne jamais avoir à compter le temps qu’on a. Mais en même temps, cette contrainte bien réelle pousse à l’action et à la réalisation.

Grande - Spectacle Cocoon

Tu travailles depuis un an à la création de Cocoon, est-ce que ça se passe comme tu l’imaginais?

Non, pas du tout et c’est très bien comme ça. C’est beaucoup plus complexe que ce que j’imaginais au départ. Je suis présentement de retour en studio après deux mois sans mes interprètes. Ça me fait du bien de revoir le matériel qui a été développé jusqu’ici. Je me rends compte que chaque période de répit m’a amenée ailleurs. On travaille sur un an et demi, mais de façon très sporadique. Dans les intervalles, je danse pour d’autres, je m’entraîne, je cherche du financement pour le projet, et je continue à réfléchir à Cocoon. Quand je reviens en studio, je suis prête à donner une nouvelle direction à la création, à l’amener plus loin que la fois d’avant.

Il te reste encore 3 mois et demi de travail avant de présenter ton œuvre au public de Québec, crois-tu que celle-ci changera encore beaucoup d’ici-là?

Énormément. En ce moment, nous avons beaucoup de matériel chorégraphique, mais pas encore de pièce. Il me reste des idées à explorer, d’autres à raffiner, et quelques-unes à resserrer ou à mettre de côté. Pour l’instant, la pièce est en plein développement. Je suis actuellement sur le point de voir ma chorégraphie prendre forme devant mes yeux. J’ai hâte, mais en même temps, ça vient tellement vite. Heureusement, je suis bien entourée. J’ai une scénographe qui est prête à plonger tête première dans la réalisation de n’importe quelle idée qui surgit, des collaborateurs et des interprètes très généreux et enthousiastes qui apportent leur richesse et leur talent au projet, puis la confiance et l’appui du milieu. Avec tous ces gens derrière moi, je pourrais difficilement ne pas y arriver. J’ai extrêmement hâte de partager mon travail avec le public et d’entendre ses commentaires et impressions.

Qu’est-ce qui est le plus facile pour toi dans le travail du chorégraphe?

Sans contredit les périodes de création en studio. C’est toujours une période très stimulante où les idées qui germent dans mon imagination prennent enfin vie dans le corps des autres. Cette concrétisation des idées est vraiment nourrissante.

À l’inverse, que considères-tu comme le plus grand défi dans le travail du chorégraphe?

Pour un chorégraphe qui débute comme moi, le plus difficile est d’assurer le financement d’un projet d’une certaine ampleur. Je pense que c’est toute cette gestion qui rend la création plus lourde à porter. La gestion entourant le projet artistique est plus grande que ce que j’imaginais au départ. Mais, en même temps, on apprend par essais et erreurs à être plus efficace dans tout ça. C’est un bel apprentissage à faire pour la suite des choses. Et on découvre au détour une multitude de gens prêts à donner d’eux-mêmes sans garantie financière parce qu’ils croient au projet. Ça, c’est vraiment beau à voir.

Quelles sont les thématiques traitées dans Cocoon et comment crois-tu que le public va les recevoir?

Avec Cocoon, je plonge dans l’univers de l’insecte. Ce monde tout petit fait partie intégrante du nôtre, mais il nous est souvent presque invisible. Là, en studio, je peux le rendre à l’échelle humaine. En transportant ce monde du minuscule dans des corps humains, je découvre de nouvelles façons de bouger. Bien sûr, le travail au sol devient central, et les points d’équilibre deviennent multiples. Je travaille aussi avec et au travers d’objets, de textures et de sonorités différentes. Puis, il y a l’idée de la besogne, de l’efficacité, d’une vie sans grandes émotions, une vie qui est, qui construit, qui existe. Mais une vie en même temps très fragile et éphémère. J’espère pouvoir toucher à cette fragilité dans mon travail.

Qu’aimerais-tu que le public retienne de son expérience vis-à-vis ta pièce?

Comme mon travail puise sa source d’inspiration dans l’univers des insectes, je sais que je ne pourrai pas atteindre le public par des émotions, mais plutôt par des sensations. Je me donne donc comme tâche d’ouvrir leur ouïe, d’éblouir leur vision et de marquer leur imaginaire. Je crois qu’il y aura de nombreux moments magiques, des moments beaux, d’autres qui surprendront, qui intrigueront et qui toucheront aussi, même s’ils ne font pas rire ou pleurer. Je souhaite rendre mon public attentif à chaque moment, à chaque mouvement, et l’amener avec moi dans le chemin que j’aurai trouvé.