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Archive for février 25th, 2013

RRarts.ca – Harold Rhéaume ou l’apologie du mouvement

Article de Richard Raymond, paru sur RRarts.ca, le 19 février 2013

«Le chorégraphe Harold Rhéaume et moi avions rendez-vous au téléphone un lundi matin. Mais voilà, sa voiture avait choisi justement ce matin-là pour tomber en panne.

Or, il habite dans la montagne, assez loin de Québec où se trouve son bureau. Et le réseau sans fil ne se rend pas dans la montagne.

À 10 heures, le chorégraphe n’était pas à son bureau. Je le rappelai à 10 heures et demie et encore à 11 heures. Je me butais au répondeur de sa compagnie baptisée Le fils d’Adrien danse. Finalement, c’est justement le fils d’Adrien qui m’a rappelé en me priant de l’excuser pour ce retard.

Son enthousiasme et sa gentillesse ne pouvaient que lui valoir un pardon. On ne peut en vouloir à un homme qui a créé plus de trente chorégraphies en vingt-huit ans de carrière. Surtout s’il ne pouvait être tenu responsable de ce retard.

Et nous voilà à parler de Fluide, la chorégraphie pour quatre hommes et trois femmes, que sa compagnie présente à compter de mercredi à l’Agora de la danse. Entretien avec un chorégraphe passionné de mouvement et de questionnement philosophique.

Vous avez voulu faire une réflexion sur la place de l’individu dans la collectivité. Qu’est-ce qui vous a amené à cette question qui est plus philosophique que chorégraphique?

Il y a plusieurs moteurs. J’avais envie de me poser la question de la place de la fluidité dans notre vie. On est beaucoup accaparé par nos vies, notre travail, nos responsabilités. En milieu urbain, on vit dans un milieu assez rigide, assez dur, à travers le béton, la pierre et l’asphalte. Comment trouver sa fluidité en tant qu’être humain dans les artères d’une ville?

Quel sens donnez-vous au mot «fluidité»? Parlez-vous de fluidité corporelle ou de fluidité spirituelle?

Vous savez qu’il y a différents courants en danse contemporaine. Actuellement, on est dans un courant où les danseurs ne dansent presque pas. J’ai toujours été porté sur le mouvement. C’est mon outil de communication de prédilection. Pour moi, il y a dans le mouvement, bien sûr, une fluidité. Parallèlement à ça, il y a aussi une notion de spiritualité parce qu’à partir de l’abandon, je veux montrer qu’on a accès à quelque chose qui est plus grand que nous-mêmes.

Je reviens à ma question du début: qu’est-ce qui vous a amené à réfléchir sur la place de l’individu dans la collectivité?

Au départ, la pièce devait s’appeler Me, c’est-à-dire Moi en anglais. J’avais envie à cette étape de ma carrière de faire une espèce d’autoportrait, où je me serais inspiré de différents moments importants de ma vie. Quand j’ai commencé à travailler avec mes sept interprètes, j’ai vu une espèce de communauté s’organiser à travers le mouvement. Finalement, ça s’est complètement détaché de moi pour aller vers eux. Le moi est revenu plus tard, mais sous la forme de l’individu au sein de sa collectivité. Chacun de ces sept individus-là, que j’ai choisi pour des raisons très précises, tant pour son charisme que pour son attitude ou sa sensibilité, a un moi très fort et très distinct. Mais, ensemble, ils forment une communauté qui est devenue indissociable dans la pièce parce que les danseurs sont sur scène du début à la fin.
Ils sont vraiment présents et ont un rôle par rapport à l’autre. Ils ne sont pas là juste pour eux-mêmes, en tant individus, mais ils sont là pour la meute aussi.

Diriez-vous que c’est une chorégraphie intellectuelle?

Pas du tout! (la question le fait rire) pas du tout! Même si on parle en ce moment de concept, qui relève plus de l’intellect, ce que le spectateur reçoit – on a quand même fait quelques représentations – c’est ce mouvement constant qui provient de cette meute, un peu comme une espèce de radeau qui navigue où constamment le mouvement navigue de gauche à droite. Donc, on peut recevoir la pièce un peu d’un point de vue physique, d’un point de vue émotif.

On peut faire des liens ou des rapprochements, une forme d’analyse, mais je ne pense pas que ça soit ce qui se détache du premier coup d’œil.

Vous avez mentionné deux fois le mot meute. Ça évoque des loups. Dans le texte de présentation, vous parlez de la construction de sa propre identité. Est-ce que, dans une meute, un loup peut construire une identité propre? Est-ce que ce n’est pas réservé à l’être humain?

Sûrement. Mais je sais qu’au niveau de la meute, il y a bien entendu des rôles. Chacun a sa position très précise au sein de la meute. Ce n’est pas quelque chose qui est réfléchi, comme l’être humain peut réfléchir à son positionnement dans la société. Quand je parle de meute, je veux parler aussi du côté parfois animal dans la gestuelle. Il y a quelque chose de cellulaire, d’animal et parfois de profondément humain, urbain. On navigue beaucoup dans ces différents systèmes-là.

En fait, ce qui reste, c’est l’interprétation du spectateur. Certains pourront l’interpréter comme si c’était une meute, d’autres le verront plus comme un système cellulaire, d’autres le verront comme des individus qui se définissent dans le regard de l’autre, qui essaient de trouver leur place dans cette communauté-là. Finalement, c’est comme si la communauté prenait en charge les individus et faisait en sorte qu’ensemble ils puissent construire quelque chose.

Comment qualifier Fluide? Est-ce une sorte de synthèse ou est-ce une nouvelle direction que vous avez souhaité prendre?

Il y a un peu des deux. À l’extérieur, ça m’arrive de travailler avec des ensembles plus grands, avec plus de danseurs. Quand j’arrivais dans mes projets in teatro, je me retrouvais avec une contrainte économique: avoir un maximum de quatre danseurs sur scène. Avec Fluide, l’association de quatre coproducteurs — l’Agora de la danse, La Rotonde à Québec, le Grand Théâtre de Québec et le Festival Danse Canada d’Ottawa — m’a permis d’augmenter le nombre de danseurs. Donc, il y avait pour moi le désir d’éclater un peu plus la forme avec un plus grand nombre de danseurs.

Mais aussi, dans le travail que je fais à l’extérieur, l’être humain est en contact avec l’architecture, avec le bâti, avec cette rigidité-là. Il y a un peu de ça qui vient s’injecter dans Fluide, un peu de ce concept appris ou constaté à l’extérieur.

Après l’entrevue, je me demandais à qui je venais de parler. À un philosophe qui danse ou à un chorégraphe qui philosophe?»

Source: Richard Raymond, RRarts.ca

 

 
 

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Ma mère était hipster – Trois Paysages de Danse K par K / Karine Ledoyen

Karine Ledoyen offrira au public de La Rotonde ses Trois paysages les 10, 11 et 12 avril prochains dans la salle Multi de Méduse. Voici une critique de Nayla Naoufal, parue sur Ma mère était hipster, le 14 février 2013, lors de son passage à l’Agora de la danse et Tangente, en février dernier.

«78% de diazote, 20% de dioxygène, des poussières de divers gaz: je vous présente l’air terrestre, incolore, intangible, inodore. Dans Trois Paysages, une création poétique, onirique et pluri-immersive, la chorégraphe Karine Ledoyen cherche à lui donner une forme palpable, visible et audible. Et pour matérialiser quelque chose d’insaisissable, quoi de mieux qu’un obstacle, qu’une entrave? Au cœur de la création se trouve une machine éolienne construite par le compositeur de musique Patrick Saint-Denis et consistant en un mur formé de 194 feuilles de papier. Animées par des ventilateurs, celles-ci ondulent, se gondolent, vibrent en fonction des mouvements de quatre interprètes, Sara Harton, Fabien Piché, Eve Rousseau-Cyr et Ariane Voineau.

La pièce prend également appui sur une idée génialement simple: inviter chaque soir une personne du public à contribuer à la création, «à faire, pour le bien de tous, le plus grand sacrifice que pourrait faire un spectateur, c’est-à-dire renoncer à voir le spectacle». De cette manière, Ledoyen comble l’absence et le néant qu’évoque l’air pour elle. Pour la première, c’est Daphné Laliberté, choisie au hasard dans la queue, qui joue la fille de l’air. Celle-ci porte non seulement un nom prédestiné – ne dit-on pas «libre comme l’air»? – mais exerce également la profession d’hôtesse de l’air!

Dans le premier paysage, les danseurs installent Daphné Laliberté dans une chaise en face d’une caméra et lui mettent des écouteurs sur les oreilles. Sur le mur, on voit apparaître d’immenses yeux, qui tantôt s’ouvrent, tantôt se ferment. On devine que ce sont les yeux de Laliberté et que celle-ci se plie à des consignes qu’elle seule entend. Sara Harton entame un dialogue dansé avec le mur éolien. La gestuelle est inventive, fluide, circulaire, organique. Déployée au sol, cette gestuelle est très légère, comme si Harton «avait eu aux pieds de petites ailes» comme dans un poème de Rilke.

Le solo de Harton est suivi d’un duo, puis d’un trio, puis d’un quatuor. L’écriture chorégraphique devient à la fois verticale et horizontale, mais elle est toujours aérienne, alternant envolées et chutes, pour remonter de plus belle. Spirales, tours, suspensions, jeux à deux avec la gravité, roues… Très physique, exigeant à la fois technicité et musicalité, la gestuelle coule de source dans les corps des interprètes très talentueux de Trois Paysages. Du reste, toute la pièce est un long fleuve tranquille et invite à la contemplation et à l’immersion dans cette poétique des ailes dont parlait Bachelard, dans une esthétique de l’envolée. Y contribue la trame sonore composée par Patrick Saint-Denis, incorporant les bruits du vent, du ressac et des vagues, les stridulations des insectes, des sons électroniques du genre ambiant… Daphné Laliberté prend physiquement part à la création, se lève, interagit avec une danseuse qui lui prend les mains et danse avec elle un slow. Dans le deuxième paysage, Laliberté a les yeux bandés et, assise, effeuille un bloc de papier, puis effectue une marche lente à travers la scène. Dans le troisième tableau, elle se retrouve derrière le mur et on aperçoit son ombre qui gonfle un ballon. L’air, toujours l’air et ses mille manifestations physiques…

Ce qui est passionnant dans Trois Paysages, c’est qu’une personne non-danseuse du public – qui assistait à son deuxième show de danse contemporaine – ne voyait ni le public, ni la création, mais était vue de tous, tout en vivant une expérience propre à elle. Il y avait donc trois dimensions d’immersion, trois bulles: celle, exclusive de Laliberté, celle des interprètes et celle des spectateurs, avec toutes les variations individuelles de perception et d’expérience que cela implique.

Et lorsque j’ai demandé à Daphné Laliberté si elle regrettait de ne pas avoir vu le spectacle, elle m’a assuré avoir vécu une expérience particulière, un peu comme si elle était au SPA. Le deuxième soir, ce sera à son tour d’assister au show et au tour de quelqu’un d’autre de renoncer à voir.

Dans Trois Paysages, il y a un mur. Mais ce n’est pas un vrai mur. Il se déplace, bouge, se referme, change de forme. Peut-être que, dans une prochaine création de Karine Ledoyen, il volera en éclats.»

Source: Ma mère était hipster, Nayla Naoufal

 

Trois paysages sera présenté par La Rotonde les 10,11, 12 avril 2013 à 20h, à la salle Multi de Méduse.

 
 
 

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Dfdanse – Trois paysages – La pièce que vous ne verrez (peut-être) pas

Critique de Iris Gagnon-Paradis, parue sur le site Dfdanse – le magazine de la danse actuelle à Montréal, le 19 février 2013

«Trois paysages termine son passage à l’Agora de la danse ce soir. Dans cette oeuvre éthérée et contemplative, qui garde sa part de mystère, la chorégraphe de Québec Karine Ledoyen introduit un élément de surprise: un interprète-spectateur choisit à l’entrée de la salle et qui doit renoncer à son droit de voir le spectacle… pour que l’oeuvre puisse exister.

S’il y a une chose dont Karine Ledoyen ne semble jamais manquer, ce sont des idées. Ce qui a donné lieu, dans le passé, à des oeuvres touffues, remplies, souvent colorées et très axées sur le côté visuel, avec une scénographie élaborée — comme sa précédente création, Air, qui n’a pas été présentée à Montréal et qui constitue en fait le premier pas d’un cycle de création inspiré par cet élément insaisissable qu’est l’air.

Si Trois Paysages démontre une fois de plus que la chorégraphe est aussi une excellente metteure en scène et scénographe (elle cosigne ses deux aspects de la création avec, respectivement Alexandre Fecteau et Patrick Saint-Denis), cette nouvelle création est plus épurée et aérée, sait faire plus avec moins, témoin d’une belle maturation artistique.

Au centre de Trois paysages, une machine à vent, sorte de mur mouvant très impressionnant et parfaitement en symbiose avec les quatre interprètes (Sara Harton, Fabien Piché, Eve Rousseau-Cyr et Ariane Voineau), conçu par Patrick Saint-Denis. Un mur qui existait déjà, a expliqué Ledoyen lors de la rencontre qui a suivi la représentation, et qui est en fait le projet de doctorat de M. Saint-Denis, compositeur musical de métier. Ce dernier, qui signe également la musique, a donc adapté son oeuvre pour le projet de Ledoyen.

Ce mur sur roulettes, fait de trois panneaux mobiles, est constitué de dizaines de feuilles de papier, qui volent au vent comme autant de petites portes battantes grâce à des microventilateurs. Un système de détection du mouvement à infrarouge (le même qui se trouve, par exemple sur les consoles Play Station) fait en sorte que ces feuilles de papier (et les éclairages aussi, par moment) réagissent aux mouvements des danseurs.

L’effet est particulièrement réussi dans la première partie (le premier « paysage »), alors qu’une interprète (Harton) se déplace au sol, enfilant habilement roulades et contorsions, pour retourner invariablement à son point de départ. Également réussie est la fin de ce segment, où Harton, couchée sur le ventre, a le haut du corps littéralement soulevé par le vent qui souffle sur elle, au point où elle semble flotter dans les airs, en symbiose totale avec l’élément.

Se lancer dans le vide

L’air est une thématique à plusieurs couches de sens. On pense évidemment à l’élément: l’air qu’on respire, le vent qui nous soulève, le souffle qui nous anime. Mais l’air, c’est également ce qui ne se saisit pas, invisible à l’oeil nu, une présence/absence intrigante, paradoxale.

Dans cette optique, Ledoyen s’est demandé: quel serait le plus grand sacrifice qu’on pourrait demander à un spectateur? La réponse: celui de renoncer à son droit de voir le spectacle. C’est ainsi qu’elle a décidé d’amener une cinquième variable à son tableau chorégraphique, en choisissant chaque soir, parmi le public, un spectateur qui accepte de ne pas voir le spectacle pour y participer. Un spectateur (jeudi soir, il s’appelait Jacques) qui accepte que son absence crée la présence, qui accepte de se lancer dans le vide.

C’est cette fragilité, cette authenticité de la présence et du mouvement que la chorégraphe tente de capter sur scène par l’ajout de cet interprète-spectateur. Pour le guider dans la pièce, une paire d’écouteurs où Ledoyen lui souffle des directives. Dans le premier paysage, ce seront les yeux du spectateur — parfois ouverts, parfois fermés, selon des directives que lui seul entend —, qui seront projetés, en direct, sur le mur de feuilles de papier. Simplement, il évoluera au cours de l’oeuvre dans l’espace, interagissant parfois avec les danseurs, souvent coupé du reste du monde par un bandeau posé sur ses yeux.

L’idée est intéressante et fonctionne bien sur scène. Cette présence vient ajouter des couches sur l’oeuvre, qui devient multiple, foisonnante. Il y a, d’abord, l’expérience unique et personnelle que vit cet interprète d’un soir, plongé dans sa bulle. Puis, celle que vivent les interprètes sur scène, en interaction avec une personne différente chaque soir. Finalement, ce qui est ainsi donné à voir, dans sa totalité, au public, qui ne sait plus trop s’il est soulagé ou jaloux de ne pas avoir été choisi.

En trois temps

La table est mise pour la pièce en tant que telle, celle que nous, spectateurs, sommes invités à contempler. Divisée en trois parties, comme autant de paysages, elle explore trois rapports à l’air, à travers trois passages traversés par une gestuelle fluide, continuelle, comme le souffle qui va et vient.

La première partie est franchement réussie, et joue sur l’accumulation : des mouvements, puis des corps. D’abord, le corps de Harton, auquel vient s’ajouter celui de Piché puis de Voineau. La danse, majoritairement au sol, s’y fait très organique, comme si ces trois entités devenaient un corps multiforme, se fondant et se soudant continuellement les unes aux autres par une ingénieuse mathématique du mouvement qui joue beaucoup sur les articulations s’imbriquant les unes aux autres. Ingénieux.

Dans la deuxième partie, c’est le vent qui semble l’inspiration principale. Les quatre interprètes sont poussés par un souffle invisible et fort, qui les fait se déplacer en diagonale, dans un mouvement de va-et-vient où les corps se rencontrent, tournoient et se séparent pour mieux se retrouver. Les corps s’y font à la fois laxes et aériens.

Dans la scène finale, deux corps cambrés, déséquilibrés, jouent à se rattraper l’un l’autre, dans un jeu de rôle sans cesse interchangé: celui qui supporte devient le supporté, et vice-versa. Là encore, la gestuelle est fluide, aérienne, continuelle, organique.

Tout au long, le mur module l’espace: il est déplacé, se refermant parfois sur un danseur, s’ouvrant ensuite, créant ainsi des zones que le spectateur peut seulement deviner, sans les voir.

Si certains segments sont plus réussis que d’autres, dans l’ensemble, Trois paysages est d’une grande beauté visuelle et assez contemplatif, porté par de gracieux interprètes. L’oeuvre nous entraîne dans un monde à part, un univers onirique, mystérieux, à l’image de son inspiration, l’insaisissable air.»

Source: Dfdanse, Iris Gagnon-Paradis

 

Trois paysages sera présenté par La Rotonde les 10, 11 et 12 avril 2013 à 20h, à la salle Multi de Méduse.

 
 
 

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