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Chroniques du regard 2017-18 No 11 – À la douleur que j’ai – Virginie Brunelle

 

1 A la douleur que jai - Robin Pineda Gould

 

La chorégraphe montréalaise Virginie Brunelle présente à la Salle Multi de Méduse une pièce mixte, d’une durée d’une heure, pour six danseurs. Constamment à la vue du public, quatre femmes et deux hommes seront tour à tour en lumière afin d’incarner le thème de la chorégraphie voulant qu’une douleur incessante, parfois inconsciente et dérivée du passé, émerge et teinte les relations actives ou en train de se créer, incluant plusieurs types de relations, qu’elles soient de natures sociales, familiales ou amoureuses. La danse du spectacle est contemporaine et le jeu des interprètes est habité d’une forte théâtralité sculpturale. La compagnie en est à son troisième spectacle présenté par La Rotonde et les amateurs se souviendront de Foutrement et de  Complexe des genres, deux chorégraphies qui traitaient des relations de couples.

«À la douleur que j’ai» c’est pour vous si vous aimez les spectacles ayant des aspects psychologiques et une grande charge théâtrale.

« À la douleur que j’ai» c’est pour vous si vous aimez les spectacles qui traitent des relations humaines intenses, avec son lot de conflits émotifs.

« À la douleur que j’ai» c’est pour vous si vous aimez les spectacles dansés par des interprètes de haut calibre.

 

À la douleur que j_ai - Photo Robin Pineda Gould(1)

Le spectacle

Avec une approche différente, mais un thème apparenté à celui du spectacle BLEU. présenté en janvier par la Compagnie Yvann Alexandre, soit celui du sentiment de douleur qui s’incruste, se métamorphose mais revient sans cesse teinter les relations présentes ou actuelles, la chorégraphe Virginie Brunelle élargit le champ d’observation et le propos de ses chorégraphies précédentes en passant du regard ciblé exclusivement sur le couple hétérosexuel à un regard plus large, incluant les petits groupes et les liens familiaux.

En témoignent les mélancoliques « portraits de famille » qui ponctuent le spectacle, dont celui présenté en première scène avec son lot de douleurs retenues, de respirations ardues et de masques de civilité semblant cacher une peine sourde et écrasante. Plus tard durant le spectacle, plusieurs autres moments d’immobilité des personnages sur scène témoignent de la même écoute de leurs univers intérieurs blessés. En arrêt, statufiés, ils observent les héros du moment (ou s’observent-ils eux-mêmes dans un temps différent ?) en train d’essayer de se débattre à créer des relations viables et fructueuses. Des relations qui se retrouvent en situation d’échec : échec à nourrir adéquatement la relation, échec à trouver le bon partenaire, échec à la communication efficace… Selon la chorégraphe, l’alternance entre arrêt et action permet d’enrichir les personnages : « Je vois de plus en plus… un dédoublement des protagonistes, comme si on les voyait à plusieurs moments de leur vie, comme si le présent côtoyait le passé et qu’ils avaient un regard sur leurs souvenirs, une nostalgie certaine. » Source : Le Devoir.

Le poids et la douleur du passé sont illustrés par les personnages figés, en retrait ou dans la pénombre. Ils deviennent témoins de ce qui se passe en lumière, vécu « au présent » par les personnages à l’avant-scène. Les danseurs qui y évoluent tour à tour deviennent porteurs des blessures et des échecs du passé. Une douleur qui reste en sourdine dans l’évolution et la présentation des personnages, mais qui semble « responsable » de leur incapacité à conclure des relations satisfaisantes.

Les personnages essaient pourtant à travers plusieurs situations, et tout en gardant une certaine mesure malgré le malheur, de présenter un visage satisfait au public. Le masque est là, mais le public peut rapidement découvrir la supercherie à travers les sourires factices et figés, les regards éteints et les poses solennelles à la respiration ardue.

Les séquences dansées sont accessibles et  faciles à décoder : « …les gestuelles parfois répétitives se développent en crescendo, se modulant dépendamment des interactions entre danseurs, tenant compte de leurs différences physiques et de leur charge émotive respective. On oscille entre dureté et concision et une amplitude, un abandon du geste. » Source : tonpetitlook.com

La mélancolie du spectacle est appuyée par les choix musicaux. Fidèle à elle-même, la chorégraphe puise aux répertoires baroque, classique et romantique des morceaux de musique familiers. Des musiques probablement déjà entendues par la plupart des spectateurs, que les connaisseurs pourront identifier comme celles des compositeurs Satie, Vivaldi et Pergolesi ainsi que des airs d’opéra de Haendel et de Verdi. Selon la chorégraphe, ce choix permet de s’adresser efficacement à l’inconscient collectif.

La douleur, présentée tout au long du spectacle comme un pont vers l’évolution humaine, est exposée à travers différentes situations facilement décodables par les spectateurs dont la scène du couple qui se sépare en faisant montre que tout va bien et celle du trio final qui éjecte un membre pour sembler revenir en couple :  «C’est un hommage à la douleur, parce que je me rends compte que c’est vraiment ça qui m’inspire. C’est comme si je lui portais un toast, je la remercie d’être un peu présente, de nous transformer et de nous rendre sensibles et humains. Sur le plan de la chorégraphie, j’ai un vocabulaire au diapason, des mouvements d’opposition entre torpeur et immobilité très présents, comme si des traces restaient figées sur des photos.» Source : revue JEU.

À la douleur que j_ai - Photo Robin Pineda Gould(10)

La chorégraphe

Diplômée en danse de l’UQAM, Virginie Brunelle est souvent nommée comme l’une des chorégraphes phares de sa génération. Sa compagnie, fondée en 2009, a tourné à travers le Québec, mais aussi en Europe, en Amérique latine et en Corée. Elle y a récolté quelques prix, récompenses et distinctions dont le Prix David-Kilburn, un séjour professionnel de développement en Wallonie-Bruxelles de l’OQWBJ, une résidence et une codiffusion du Studio 303, la Bourse RIDEAU 2009 du Festival Vue sur la Relève et le deuxième prix de la compétition chorégraphique internationale d’Aarhus au Danemark. Les détails se retrouvent sur le site de la compagnie.

Reconnue pour ses danses énergiques et exigeantes, le travail de Brunelle est aussi reconnu comme étant en lien direct avec une génération (la sienne) qui s’intéresse à l’incommunicabilité ou du moins à la difficulté d’entrer en relation avec l’autre. Son corpus chorégraphique comporte les créations Les cuisses à l’écart du cœur (2008), Gastro affective (2009), Foutrement (2010),  Complexe des genres (2011) et PLOMB (2013).

Ses intérêts chorégraphiques ont surtout porté sur le travail de duos, découlant de son intérêt particulier pour le couple et ses aléas. Dans son nouveau travail, elle module et calme l’élément athlétique de ses danses de couple et étend son étude pour y inclure une approche théâtrale illustrant des liens qui prennent couleurs et teintes variées, marqués par les traces sédimentaires du passé et des douleurs qui y sont associées. Comme l’indique la chorégraphe : « Dans cette création, cette recherche de sens et de vérité, je l’ai trouvée dans la simplicité, dans l’impulsion vive d’un geste qui s’épuise, se fige ou se brise; dans les contrastes entre vitesse et immobilité. » Source : tonpetitlook.com

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Les interprètes

Dans cette nouvelle production, on retrouve trois fidèles collaboratrices de Virginie Brunelle : Isabelle Arcand,  Sophie Breton et Claudine Hébert, vues précédemment dans Foutrement et Complexe des genres. On retrouve aussi trois danseurs aperçus dans différentes productions diffusées par La Rotonde, dont Milan Panet-Gigon, vu dans Bagne-recréation de PPS danse, ainsi que deux vétérans : Chi Long (qui a dansé longtemps pour O Vertigo puis Marie Chouinard) et Peter Trosztmer (vu entre autres sur « La petite scène » et dans Prisme de Benoît Lachambre/Montréal danse).

 

Les collaborateurs

Aide à la dramaturgie : Stéphanie Jasmin

Répétitrice : Anne Lebeau

Conception sonore : Virginie Brunelle et Jean Gaudreau

Conception lumière : Alexandre Pilon-Guay

Costumes : Marilène Bastien et Elen Ewing

 

Les critiques

« D’une durée d’à peine une heure, «À la douleur que j’ai» parle à tous, même aux novices de la danse contemporaine. Intemporelle, l’œuvre nous confronte à la fragilité d’être mortel, à la grande vulnérabilité qui vient avec l’ouverture vers soi et vers l’autre. Il faut aller voir le spectacle. » Source : atuvu.ca

«  Une réflexion sur nous-mêmes, sur notre émotivité, sur notre humanité. Fidèle à elle-même en matière de signature chorégraphique, aux impulsions spontanées, aux gestes bruts et à une gestuelle virtuose, cette fois-ci (Brunelle) nous offre une œuvre plus sobre, subtile et en contrôle … (elle) maitrise la fine ligne entre une théâtralité juste et une danse expressive. On bascule d’un tableau à l’autre passant d’un état à l’autre. L’esthétique est recherchée et raffinée qui donne une allure cinématographique à la pièce. Une cohérence entre tous les éléments harmonise les tableaux. » Source : dfdanse.com

« À la Pina Bausch, Virginie Brunelle construit chacun de ses tableaux de façon extrêmement précise avec des processus d’accumulation, de répétition et de (dé)construction. En découle une forme de fatigue et d’épuisement dans chaque proposition, qui peut faire émerger l’essentiel. La proposition chorégraphique est, en ce sens, globalement réussie. Le propos est clair et la façon de dire les choses est transparente, accessible et cohérente. » Source : labibleurbaine.com