La Rotonde
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Archive for novembre 19th, 2013

Bach : le mal nécessaire, un spectacle où l’on mixe musique classique, art audio, costumes loufoques, mouvements de groupe et danse contemporaine!

Bach : le mal nécessaire« Mario s’attaque à Bach »!
Au cours de sa carrière chorégraphique de 30 ans, Mario Veillette a souvent travaillé avec des musiciens classiques, mais pas encore avec Bach. L’ampleur de la tâche en explorant les possibles sous-tendus par l’œuvre du compositeur allemand fut telle qu’elle inspira le premier titre du spectacle : « Mario s’attaque à Bach ». Mario Veillette confie avoir été assez maniaque pour écouter l’œuvre complète de Bach (257 disques). Il en aura sélectionné des extraits parmi les pièces moins connues de Bach afin de créer des miniatures chorégraphiques percutantes. Néanmoins, le chorégraphe s’ennuyait de travailler avec un compositeur original. Aussi a-t-il fait appel à un artiste confirmé en art audio bien connu de la scène québécoise, Érick D’Orion, pour lui confier la mission de « puncher » Bach. Une fois la musique originale créée, la chorégraphie a été réajustée pour aboutir à un ensemble cohérent et poétique.

Ode à la dérision et miroir tendu sur notre déraison
La musique de Bach accompagne un spectacle aux thématiques très actuelles traitées sur un mode burlesque. Ainsi, le rythme effréné imposé par notre époque contemporaine a inspiré des mouvements intéressants autour de la course folle et inefficace des humains qui composent et peuplent la planète. Pour Mario Veillette, la façon de courir d’une personne en dit beaucoup sur elle-même. Les mouvements présentés ici autour de la course sont le résultat d’une recherche empirique de plusieurs années avec ses étudiants et étudiantes de L’École de danse de Québec. La pièce traite avec humour de la violence induite par le rythme déjanté du XXIe siècle et utilise la métaphore du ring de boxe pour souligner la confrontation que cela engendre : confrontation des rythmes, confrontation des styles de vie, des modèles sociaux, etc.

À la recherche d’une organicité des contraintes formelles
Mario Veillette travaille à son spectacle depuis août 2011 par intermittence avec des sessions plus intensives que d’autres. Pour cette production, il s’est entouré de 7 interprètes professionnels de la ville de Québec qu’il connaît bien pour avoir été leur enseignant à L’École de danse de Québec. Ces derniers ont été choisis pour leur créativité. Atout important, car ils sont amenés à imaginer et composer des mouvements à partir des situations dans lesquelles le chorégraphe les place. Il a par exemple demandé aux interprètes de se glisser corporellement et physiquement dans les partitions musicales de Bach en suivant le positionnement de la note et la contrainte rythmique avec la possibilité de faire voyager la portée de notes musicales. Puis, les danseurs doivent s’atteler à rendre organiques les mouvements et à interagir avec leurs collègues dans des solos ou duos, fluides visuellement et forts sémantiquement.

La danse d’abord!
L’éclairage et l’espace scénique ont fait l’objet d’un travail épuré afin d’être au service de la danse. Aucun accessoire n’est présent pour ne pas perturber le spectateur dans son observation de la chorégraphie proposée. Seuls les costumes sont moins neutres. Sur une thématique de « Comment récupérer les chemises de son chum », Mario Veillette a fait créer les costumes de ses interprètes à partir de ses vieilles chemises à lui. Un signe fort nous invitant à ne pas nous prendre au sérieux en dépit du mal nécessaire imposé par un siècle turbulent.

BACH : LE MAL NÉCESSAIRE
Mario Veillette / Québec
28. 29. 30 novembre 2013. 20 H
Méduse – Salle Multi

Chroniques du regard 2013-2014, No4: Bach : le mal nécessaire de Mario Veillette

aDSC01666La longue traversée : Dans cette chronique du regard, l’objet observé est mon propre spectacle « Bach : le mal nécessaire ». Cette fois-ci, mon regard est donc porté sur un produit qui m’habite depuis des mois et sur une chorégraphie que je connais par cœur. Je porterai un regard autoréflexif et parlerai surtout du processus artistique et créatif qui m’a permis d’amener le projet à terme. « La longue traversée » est le titre d’une section du spectacle. Ce titre sied aussi très bien au processus de création ayant mené au spectacle.

Amorces : La recherche, basée sur la musique de Bach, a été amorcée il y a trois ans. Elle s’est ensuite poursuivie par intermittence (dans une série de rencontres allant de 2 à 10 jours) avec différents groupes d’interprètes plus ou moins familiers avec mon œuvre. Finalement, elle  nous a conduits jusqu’à une résidence de création-production en septembre dernier, dans la Salle Multi de Méduse, le lieu qui accueille le spectacle final.

Ce ne sont pas tous les créateurs qui travaillent de la même manière mais, pour ma part, j’ai toujours les antennes un peu ouvertes et, quand une idée créatrice surgit (thèmes de chorégraphie, format de spectacle, méthodes de travail, …), je la prends en note et la garde en réserve pour utilisation éventuelle dans un futur projet. Quand un projet se matérialise, je commence par fouiller dans mes notes. Lorsque j’ai pris la décision de travailler sur la musique de Bach, j’ai donc commencé par rechercher quels fils s’étaient tendus malgré moi pendant que ma créativité était en jachère, entre deux projets concrets. Ces fils ont ensuite été triés et ramassés pour devenir piste. Il fallait ensuite clarifier la piste, l’éclairer, la débroussailler, s’y attacher, la suivre, l’élaguer, en faire une autoroute. En cours de recherche, il aura ensuite fallu tester la piste (directions, forces d’attraction, capacités évocatrices), ajouter les éléments manquants, vérifier mes capacités d’adaptation au projet ainsi que la viabilité (faisabilité) de celui-ci.

Départ : Dès le départ, je voulais travailler avec la musique de Bach, dans des arrangements classiques, mais aussi avec des arrangements faits par un compositeur contemporain (qui serait sur scène avec les danseurs ou pas? La question s’est posée.).  Je voulais également travailler l’idée d’un groupe de personnes. Pour moi, sept était le nombre idéal de participants. Enfin, dès les premières rencontres, la décision fût prise de tout miser sur la danse, donc de garder la scène nue : pas de décor, pas de projections, pas d’accessoires, pas de scénographie, … comme dans mon spectacle précédent « Père et mère ».

J’aime prendre mon temps lors des recherches et créations. J’aime aussi prendre du recul entre les sessions de travail, question de renouveler mon regard. Il fût donc décidé assez tôt qu’on se rencontrerait en plusieurs étapes, pour des durées différentes, à préciser chaque fois selon les besoins et, surtout, tenant compte qu’il fallait accorder les horaires de 8 pigistes.

Affluents : Tout en travaillant sur les chorégraphies du spectacle (en collaboration avec les danseurs), j’ai eu la chance de faire partie du comité de professionnels qui se rencontrait périodiquement afin de développer la charte des compétences du métier de chorégraphe[i]. Cette recherche affutait ma vigilance en studio et dans la préparation/mise en œuvre de la chorégraphie. Je pouvais dorénavant nommer clairement mes activités et leurs tâches associées tout en identifiant mes forces et mes faiblesses. En puisant dans la liste des onze champs de compétences, je pouvais me répéter le mantra : « Un chorégraphe doit être capable de … »[ii]

Tout au long du travail, je me suis aussi parfois référé aux guides classiques de création chorégraphique, quelques-uns plus anciens traitant surtout de la danse moderne (The Art of Making Dances de Doris Humphrey; L’outillage chorégraphique de Karin Waehner ) ou d’autres plus récents (les leçons de William Forsythe[iii] à partir d’improvisations). Mais comme mon entraînement de chorégraphe à l’Université Concordia m’a surtout outillé en création post-moderne, disons que beaucoup de mes outils sont inspirés de Merce Cunningham (collages, intervention de la chance et du hasard, contraintes conceptuelles visant éventuellement l’organicité du mouvement, etc.).

Je suis aussi retourné visiter l’œuvre de chorégraphes qui sont inspirants pour moi : Lin Hwai Min[iv] pour ses fabuleux mouvements de groupe et la simplicité de son travail, Saburo Teshigawara[v] pour sa recherche qu’il nomme parfois post-butô et la grande Maguy Marin[vi] pour la connexion entre mes thèmes et les siens, en particulier entre mon projet Bach et sa chorégraphie Points de fuite.

Produit : Une fois le projet amorcé, c’est lors des rencontres en studio (mon étape préférée) que le plaisir a débuté et que les découvertes ont commencé à se faire. Un  projet artistique, pour moi, doit porter sa grande part de nouveauté et d’inconnu car un projet dont le résultat est exactement ce à quoi on avait rêvé est signe qu’on n’a pas été attentif ou sensible aux accidents de parcours. Ils ne peuvent qu’enrichir le projet de celui qui sait bien les canaliser et je crois fermement qu’un travail de création n’est pas une voie pavée qui mène au Royaume d’Oz (la « Yellow Brick Road » toute tracée d’avance qu’on n’a plus qu’à suivre).

Quand je regarde ma planification originale, j’y retrouve des segments qui ont été travaillés en studio puis abandonnés, pour finalement revenir plus tard. J’y retrouve aussi des segments travaillés qui ont été évacués du projet et remisés pour une éventuelle utilisation future ainsi que des segments tués dans l’œuf. D’autres enfin qui sont apparus comme par magie lors des différentes improvisations ou recherches.

Des surprises, il y en a plein dans le spectacle final : beaucoup de courses, des utilisations inédites des voix et des sons, une théâtralité qui peut provoquer des malaises. On retrouve aussi des portés surprenants, des actions de prime abord anodines mais qui prennent une signification nouvelle, des relations riches en rebondissements dramatiques et des situations parfois loufoques.

Le tout est inclus dans une présentation (de 64 minutes, en 5 sections) qui mise sur la puissance du geste et de la simplicité. Une présentation qui ne cherche pas l’intensité mais consciente que cette intensité se dévoilera bien toute seule dans la vérité du geste.

Pour terminer, je me permets de paraphraser Picasso : la confection (de ce spectacle) n’a pas été très longue mais la préparation m’a pris toute une vie.


 

[i] Le Regroupement québécois de la danse (RQD), en collaboration avec le Conseil québécois des ressources humaines en culture (CQRHC), publiait récemment le Profil de compétences du chorégraphe. Préparé par 19 chorégraphes-experts et un comité consultatif, le document se penche sur onze champs de compétences propres au métier de chorégraphe. Il vise notamment l’actualisation et la bonification des programmes de formation de niveau supérieur en création chorégraphique.
https://www.quebecdanse.org/images/upload/files/ProfilCompetencesChoregraphes.pdf

[ii] Onze champs de compétences, professionnelles et générales, qui représentent une fonction ou une responsabilité majeure dans le métier ont été ventilées en énoncés de compétence pour être ensuite « décortiquées » en tâches spécifiques ou en habiletés. Par exemple : pour concevoir une œuvre chorégraphique (champ de compétence), une personne doit être capable de (énoncés de compétence) : 1. Puiser dans son imaginaire; 2. Identifier une ou des idées maîtresses; 3. Développer une idée maîtresse.

 

[iii] Il existe sur Youtube une multitude de vidéos sur les techniques d’improvisation de Forsythe. Il aussi intéressant de l’entendre discuter de ses chorégraphies, comme par exemple sur  Synchronous Objects au https://youtu.be/xqlq3q5RMrc     (09 : 33)

[iv] Lin Hwai Min : (Compagnie Cloud Gate Dance Theater of Taïwan)
« Oculus » :  https://youtu.be/j2IgVWQ6Cy8    (10 : 11)
« Moon Water » :  https://youtu.be/LgP4YY4Ko8M    (04 : 14)

 

[v] Saburo Teshigawara :  Compagnie Karas  (post-butô)
« Para-Dice » :  https://youtu.be/AzTEt5s7B8A    (24 : 33)
« Mirror and Music » :  https://youtu.be/qrnz7641cBE    (01 : 07)

 

[vi] Maguy Marin :
« May b » :  https://youtu.be/_pVc210o-eY    (08 : 18)
« Groosland » :    https://youtu.be/J_KWpbXsNG I  (06 : 45)
« POINTS DE FUITE », réalisation Luc Riolon https://vimeo.com/40446304   (19 : 32)