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Carnet de création | Parades d’Alan Lake Factori(e) Sébastien Durocher

Carnet de création | Parades d’Alan Lake Factori(e)

En 2020, la compagnie de Québec Alan Lake Factori(e) débute une nouvelle trilogie artistique intitulée Le cycle des parades, qui comprend une œuvre in situ, une œuvre cinématographique et une œuvre scénique. La diffusion de cette première trace – l’in situ – devant faire partie de la saison 2020-2021 de La Rotonde, l’équipe s’affaire à créer dans les murs de la Caserne Dalhousie, située au Vieux-Port de Québec.

Annulées à deux reprises, les représentations n’auront finalement jamais lieu… C’est ce qu’on croyait jusqu’à ce qu’un heureux hasard de circonstances en permette enfin la présentation en mai 2022! Entre-temps, la troisième trace – l’œuvre scénique intitulée L’effritement des parades – aura vu le jour et été présentée dans trois villes du Québec.

Après un processus de création imprévisible, morcelé et allongé, on plonge dans le cheminement derrière cette œuvre unique, Parades!

 

Agenda de création

Mai-juin 2020

Travaux préparatoires par Zoom
Travail à distance entre Alan Lake et les interprètes sur un carnet de création, étape qui se fait habituellement en studio. Échange d’idées, d’inspirations, de lectures et d’images. Création d’un moodboard regroupant des sensations, des couleurs et des photos qui guideront ensuite la création. Discussions sur les éléments importants aux yeux des interprètes qui avaient dû être élagués des précédentes créations.

Septembre-octobre 2020

Huit semaines de création à la Caserne Dalhousie + une semaine de représentations
Début de la création du spectacle in situ dans la Caserne Dalhousie. Au terme de huit semaines de travail, une diffusion est prévue avec La Rotonde pour la semaine du 28 octobre. Toutefois, le 28 septembre, une deuxième vague pandémique force la fermeture des salles de spectacles à nouveau. Une tentative de reporter les dates de quelques semaines pour permettre la diffusion est envisagée, mais les salles de spectacle ne seront finalement rouvertes qu’en mars 2021.

Novembre 2020

Prolongation du temps de création à la Caserne
Sans diffusion, mais avec possibilité de poursuivre le travail de création, l’équipe profite d’une prolongation de l’accès à la Caserne pour œuvrer à la portion cinématographique du projet, la deuxième trace du Cycle des parades. Des tournages ont ainsi lieu avec l’intention de créer un film qui se décline en plusieurs chapitres.

Avril 2021

Deux nouvelles semaines de création à la Caserne + une semaine de représentations
Prévues depuis l’hiver, ces trois semaines à la Caserne étaient initialement planifiées pour travailler sur la troisième trace du cycle de création : l’œuvre scénique. Une nouvelle possibilité de diffusion avec La Rotonde restait dans les boîtes, à condition que les mesures gouvernementales le permettent. Devant l’enthousiasme de la réouverture des salles de spectacles en mars 2021, le plan de match change et l’équipe se remet sur la création de l’œuvre in situ afin d’enfin pouvoir la présenter au public!

Le lendemain de l’annonce publique de la tenue des représentations par La Rotonde, la Capitale-Nationale se reconfine. Une incertitude plane toujours quant à la réouverture des salles de spectacles à temps pour la semaine de représentations. L’équipe prend donc le pari de poursuivre la création en prévision d’une possible diffusion dans la semaine du 13 avril, qui n’aura finalement jamais lieu. Afin de clore cette étape et d’aller jusqu’au bout du processus, la Factorie présente tout de même 5 spectacles en 5 jours, comme prévu, mais sans aucun public. Elle en profite pour en faire une captation.

Octobre-novembre 2021

Présentation de l’œuvre scénique L’effritement des parades
La troisième trace du Cycle des parades est finalement la première à rencontrer le public. Un nouvel élément doit toutefois être pris en compte : l’interprète Esther Rousseau-Morin est enceinte. La partition est donc adaptée aux possibilités et contraintes de ce corps en changement, ce qui est artistiquement embrassé dans les thèmes abordés dans le spectacle (la fertilité, tout particulièrement).

La compagnie présente un total de 7 représentations au Théâtre Hector-Charland (L’Assomption), à Danse Danse (Montréal) et au Carré 150 (Victoriaville). Lors des représentations à Montréal, l’organisme Danse-Cité inaugure son projet d’audiodescription pour les publics amblyopes et aveugles.

Mai 2022

Trois semaines de création à la Caserne Dalhousie + une semaine de représentations
Avant que débutent les rénovations de la Caserne par le Théâtre jeunesse Les Gros Becs, le lieu est heureusement disponible de nouveau pour accueillir la Factorie! L’équipe s’y installe pour retravailler l’univers in situ et accueillir le public pour un atelier de mouvement offert par La Rotonde et quatre représentations (une coprésentation d’Alan Lake Factori(e) et de La Rotonde).

Les thématiques et premières inspirations de Parades

« Profondément imprégnés de l’environnement qui les entoure, ces humains s’engagent dans un insaisissable récit symboliste fait d’imaginaires trafiqués, d’ambitions érodées, d’idéaux désenchantés. Se déploie alors une danse qui, en sillonnant l’architectonie du lieu et en se mêlant aux éléments naturels, enchevêtre les mouvements jubilatoires liés aux fêtes païennes d’abondance et le sentiment d’urgence engendré par la crise environnementale. »
– Extrait tiré de la description de Parades

Deux inspirations mythologiques teintent le processus de création dès le départ. D’abord, le mythe de Perséphone, déesse grecque qui représente à la fois la fertilité et les enfers. Alternant entre vie sur terre et vie souterraine, dans les enfers, on lui attribue le cycle des saisons et le symbole de la vie et de la résurrection. Perséphone représente cette force des antagonistes : la délicatesse naturelle de la fertilité et le terreux feu de l’enfer. Vient ensuite le mythe de Sisyphe, celui qui reçoit le châtiment de devoir monter une roche au sommet d’une montagne, mais qui roule constamment en bas de la montagne. Il se doit de la remonter encore et encore, il est donc dans la répétition continuelle. Ces deux mythes ont servi d’inspiration à l’équipe, surtout de façon figurée. Plusieurs éléments scénographiques prennent toutefois racines dans le mythe de Perséphone : la germe de blé et la couleur rouge de la pomme-grenade, par exemple.

Pour celles et ceux qui auraient vu Le cri des méduses, Alan Lake présente la nouvelle œuvre comme une certaine suite à la première, mais 200 ans plus tard. On y retrouve une réminiscence des matériaux et on peut même reconnaître un élément de la dernière œuvre qui sert de début à l’autre, un peu comme dans une trilogie cinématographique.

« On a quelque chose qu'on sait qui va toucher le monde. »
- Esther Rousseau-Morin

Les spécificités d’une œuvre in situ

Les trois traces du cycle de création peuvent parfois être ardues à différencier. On distingue facilement l’œuvre cinématographique, créée pour la caméra et la diffusion à l’écran, mais qu’en est-il des œuvres in situ et scéniques?

Dans la pièce scénique, l’équipe doit créer un lieu fictif, mais qui est transposable partout. Le spectacle est créé pour passer d’une scène à une autre, en tournée, en recréant chaque fois l’univers dans une nouvelle salle de spectacle dite « traditionnelle ». Pour la pièce in situ, il s’agit plutôt d’un one shot deal : la pièce appartient uniquement au lieu dans lequel elle est créée. De façon générale, il faut même concevoir l’espace pour disposer le public, car il est inexistant. L’architecture de ce lieu fictionné devient alors une scénographie naturelle, qui influence grandement le travail de création.

« L’in situ, sa différence, c’est que c’est un espèce de condensé, parce que souvent on est dans le lieu, on le loue, et on n’aura pas tant de recul. On partage comment on a habité dans ce lieu-là pendant le court laps de temps de la création. Contrairement à une œuvre scénique où on a par exemple 4 semaines de résidence, on prend une pause, et on revient en studio une semaine. On a un recul là-dessus. L’in situ, c’est une course contre la montre : on arrive dans le lieu et on part de zéro. Qu’est-ce qu’on fait? Ça goale et on le partage très vite avec le public. »
— Alan Lake, créateur et chorégraphe

Exceptionnellement, avec le processus bouleversé de Parades, l’équipe aura pu profiter du recul qu’elle n’a pas l’habitude d’avoir dans ce type de création.

Côté gestuelle, elle reste semblable pour un même cycle de création. Il est donc possible de transposer la gestuelle d’une pièce à l’autre, à l’exception de ce qui appartient spécifiquement au lieu in situ. Et chez Alan Lake, la recherche du mouvement part généralement d’une contrainte physique ou de lieu, par exemple une rivière (lors d’une création en nature), la tension créée par des ceintures ou du mobilier scénique à déplacer.

« L'in situ, c'est une course contre la montre : on arrive dans le lieu et on part de zéro. Qu'est-ce qu'on fait? Ça goale et on le partage très vite avec le public. »
- Alan Lake

La création in situ, c’est comment en tant qu’interprète?

« J’aime que le lieu in situ soit une entité en soi. C’est comme entrer dans un nouveau monde où tout est possible. »
— Odile-Amélie Peters, interprète

« Ce qui est agréable, c’est qu’on est dans l’espace dès le jour 1. Il y a de nouvelles opportunités et idées qu’on n’a pas dans une boîte noire (un studio de création), c’est super stimulant! C’est comme une maison dans laquelle on peut s’installer et explorer : le lieu a déjà son énergie, il aligne la création et fait définitivement partie de l’âme de la pièce. »
— Esther Rousseau-Morin, interprète

« C’est un grand terrain de jeu! Ça complexifie, mais ça augmente aussi les possibilités. La beauté c’est qu’on s’installe dans un endroit où personne d’autre ne passe. »
— David Rancourt, interprète à la création

« Je crois que les défis ont surtout été vécus par Alan, les collaborateurs et les différentes équipes techniques. Devant tant de possibilités, il fallait faire des choix difficiles qui allaient être déterminants pour les possibilités créatives. Je leur lève mon chapeau bien bas, ils ont mis en place un terrain de jeu extrêmement stimulant. »
— Fabien Piché, interprète

« C’est comme si on avait passé la saison avec un pied sur la pédale de gaz, et un autre sur la pédale de frein. Les deux bien appuyés en même temps… »
- Fabien Piché

La création en temps de pandémie

On dit souvent que la contrainte est un tremplin pour la création. Mais est-ce de cette façon que l’équipe de la Factorie a vécu la création de Parades?

« J’ai l’habitude de travailler avec la contrainte : physique, d’espace, de température (en extérieur), des accessoires, des matières, etc. Mais à un certain point, cette nouvelle contrainte-là, elle ne devenait plus tremplin. Elle était nettement plus difficile. »
— Alan Lake, créateur et chorégraphe

Si vous connaissez le travail du chorégraphe, vous connaissez son amour pour la danse corps à corps, voire chair à chair, pour les duos et le travail de groupe. Il nous nomme d’ailleurs son envie de grande étreinte éternelle. Dans cette création, l’équipe a donc dû se diriger vers un autre type d’écriture, plus solo. Comment une communauté peut-elle cohabiter ensemble à distance? C’était l’un des défis, de garder le « contact » présent sans réel contact.

Une autre portion emblématique du travail de la Factorie, c’est l’utilisation des accessoires et des matières. Plus précisément, c’est le transfert et l’unification des matières qui rendent la démarche logique, le partage d’un interprète à l’autre. Utiliser la même eau ou le même argile? Impossible (jusqu’à tout récemment)!

« Je développe une démarche qui ne cadre définitivement pas avec les contraintes de la pandémie. Les idées étaient souvent bloquées par la contrainte, l’élan naturel était interrompu. Ça ajoutait toujours un travail en plus, et ça empêchait cette écriture normale, forte, juste. »
— Alan Lake, créateur et chorégraphe

Mentionnons que la compagnie avait déjà l’habitude de travailler avec des vinyles transparents dans ses précédentes créations pour séparer l’espace. Ils se sont soudainement rendus très utiles en temps de Covid!

Du côté des interprètes, le son de cloche est un peu différent : la situation a bel et bien été difficile, mais d’autres visions émergent. David Rancourt mentionne ne pratiquement pas s’être aperçu des contraintes. Il précise que c’est plutôt pour Alan que le défi se présentait, car c’est sur lui que les choix reposent et qui devait jongler avec les différentes mesures. Esther Rousseau-Morin parle plutôt d’une forme de deuil, surtout dans l’élan créatif, mais souligne que le processus de création plus lent aura été très bénéfique.

« Je pense que les mesures sanitaires ont ouvert des portes à des qualités physiques auxquelles je ne m’attendais pas. Surprenantes et satisfaisantes. De riches découvertes physiques et émotives en distanciation, tout en restant connectés les uns avec les autres. Rien n’est perdu. »
— Odile-Amélie Peters, interprète

« En allant de l’avant avec la création à l’automne 2020, on prenait le pari de faire face à des imprévus en cours de route. On voyait pleins de projets être reportés, convertis en captation à la dernière minute, ou tout simplement annulés. Il y avait même des diffuseurs qui ont décidé de ne présenter que des solos. Ce projet-ci a été un des seuls qui était mené avec l’espoir que tout allait se dégager pour que nous puissions présenter le fruit de notre travail devant public. C’est comme si on avait passé la saison avec un pied sur la pédale de gaz, et un autre sur la pédale de frein. Les deux bien appuyés en même temps… »
— Fabien Piché, interprète

Somme toute, l’équipe est très reconnaissante d’avoir eu la chance de travailler comme prévu (ou presque!) sur ce cycle de création en 2020 et 2021.

« Je suis plein de gratitude d’avoir pu continuer à créer, répéter et être avec mon équipe malgré les circonstances. On a continué à chercher, à trouver des choses, à parfaire la démarche, à poursuivre la trilogie, même s’il a été long avant de la présenter au public! » — Alan Lake, créateur et chorégraphe

« On a quelque chose qu’on sait qui va toucher le monde. »
— Esther Rousseau-Morin, interprète

Parades, l’œuvre in situ, est présentée par Alan Lake Factori(e) et La Rotonde du 26 au 29 mai 2022 à la Caserne Dalhousie (du Théâtre jeunesse Les Gros Becs), dans le Vieux-Port de Québec.

Spectacle

26, 27, 28, 29 mai 2022

Parades

Alan Lake Factori(e)