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Chroniques du regard 2013-2014,  No12:  Kidd Pivot, The Tempest Replica de Crystal Pite

Chroniques du regard 2013-2014, No12: Kidd Pivot, The Tempest Replica de Crystal Pite

Kidd Pivot Frankfurt Rhein Main "New Work"

Crystal Pite est une chorégraphe prolifique œuvrant dans les ligues majeures de la danse contemporaine. Elle danse et chorégraphie depuis plus de vingt ans. Fréquentant les meilleurs[i], elle dirige aussi la compagnie Kidd Pivot, basée à Vancouver, qui avait présenté « The You Show » dans la saison 2011-2012 de la Rotonde[ii]. Les sept danseurs de la compagnie sont de nouveau à Québec pour présenter une audacieuse adaptation dansée d’une pièce de théâtre écrite par Shakespeare en 1611.  Le spectacle « The Tempest Replica » (chorégraphié en 2011 par Crystal Pite, ensuite retravaillé en 2013) est présentée en codiffusion par La Rotonde, le Grand Théâtre de Québec et le Carrefour international de théâtre.

1.- La pièce

Classique parmi les classiques, La tempête  de Shakespeare (1564-1616) est décrite comme : « une tragi-comédie abordant la noirceur de la nature humaine (tant « primitive » que « civilisée ») de manière apaisée, une pièce pleine d’ironie où cohabitent avec bonheur un comique truculent et une poésie aérienne ». [iii] Si le public manque souvent de référence face à cette œuvre (quoique plusieurs versions récentes aient été présentées[iv]), on verra que pour remédier à cette lacune et afin de bien camper la compréhension de la trame narrative de la pièce, Crystal Pite utilise un moyen ingénieux.

La pièce originale de Shakespeare est en 5 actes et compte une vingtaine de personnages. On y suit : « Prospero, le duc de Milan, déchu et exilé par son frère, (qui) se retrouve avec sa fille Miranda sur une île déserte. Grâce à la magie de ses livres, il maîtrise les éléments naturels et les esprits ; notamment Ariel, esprit positif de l’air et du souffle de vie, et Caliban, être négatif, symbole de la terre, de la violence et de la mort. Usant de magie et d’illusions, Prospero crée une tempête qui fait s’échouer le bateau du roi et du duc usurpateur de Milan. Il fait alors subir aux naufragés diverses aventures destinées à venger leur traîtrise, mais qui se révéleront initiatiques pour tous. Dans une mise en miroir entre nature et artifice, Shakespeare entraîne comme jamais le spectateur dans le dédale et l’illusion du théâtre, pour mieux le prévenir contre les miroitements du réel et les mirages de la raison. »[v] (Texte intégral en anglais  et en français. [vi])

Très  riche d’interprétations, la pièce ne doit pas être réduite à sa lecture uniquement politique ou devenir une métaphore de la colonisation (Shakespeare a écrit cette pièce à l’époque des grandes explorations et des découvertes de nouvelles terres par les empires européens). Elle est surtout « une réflexion quasi métaphysique  sur le pouvoir et la liberté des hommes dans ce monde, dont seul l’amour semble sortir vainqueur… faisant s’affronter trois  pouvoirs : le pouvoir réel des rois de ce monde, celui de l’amour et celui de l’illusion. »[vii]

2.- Le spectacle

Donc, afin que le public comprenne bien dans quel univers se situe le spectacle, celui-ci est présenté en deux parties successives, présentant deux mondes parallèles, possédant le même ADN dramatique mais aux esthétiques complètement différentes.

Dans la première partie, d’une trentaine de minutes, on raconte l’histoire. Une exposition des différentes parties de la pièce de théâtre de Shakespeare est faite à partir de pantomimes, de personnages masqués, de projections et de jeux d’ombres. Le mouvement semble tiré d’arrêts sur images où, par exemple, une tête penchée d’une certaine manière peut dévoiler au public la nature et les intentions de personnage. Tous les personnages, à l’exception de Prospéro, sont sans visages, tout en ayant un signe distinctif permettant de les identifier : couronne, épée, robe, …

En deuxième partie du spectacle (environ 40 minutes), la danse apparaît. Les personnages sont désormais des personnes réelles, qui bougent d’une manière opposée à ce qui a été présenté depuis le début. La chorégraphe ayant raconté l’histoire en première partie, elle peut ici laisser libre cours à la danse, explorer les trajectoires émotives dans le corps des danseurs ainsi que la transposition gestuelle des relations entre les personnages. Des relations intenses pour Prospéro, autant avec lui-même qu’avec les monstres et sa famille ou avec ses désirs de pouvoir et de vengeance, en opposition avec l’amour qu’il porte à sa fille. « Les danseurs prennent des gestes et des positions connues du public. Ils les exagèrent, les concentrent, les isolent, les élèvent pour que ce qui reste et se retrouve sur scène soit au-delà des mots. »[viii] Pour la chorégraphe, il s’agit d’« une très belle histoire du choix de l’amour au-dessus du pouvoir et de la vengeance ».

Pour la chorégraphe, au début du travail sur ce projet, il s’agissait de « mettre en mouvement une première impulsion : transposer l’idée du naufrage dans un corps en mouvement. Comment porter cela sur une scène ? Puis-je en faire une chorégraphie ? Un projet fou, repoussé plusieurs fois, car le public connait moins cette histoire de Shakespeare et ne peut s’y référer aussi facilement qu’avec Roméo et Juliette. Pour y arriver, le récit a d’abord été réduit à une suite de gestes et de positions mis en place sous la forme d’un storyboard (la première partie du spectacle) pour ensuite chorégraphier les relations entre Prospéro et les autres personnages (la deuxième partie). »[ix]

3.- Quelques liens sur le Web :

Pour voir un extrait de “The Tempest Replica”  https://youtu.be/160_fRFWzlU   (03: 18)

Pour un article de fond sur l’artiste et sa carrière : https://www.telegraph.co.uk/culture/theatre/dance/10765274/Crystal-Pite-Every-time-I-ask-myself-why-am-I-doing-this-in-dance.html   

Pour un article de fond sur la mise au monde du projet « The Tempest Replica » :
https://m.theglobeandmail.com/arts/theatre-and-performance/taking-on-the-tempest-from-two-different-angles/article18492487/

https://youtu.be/lBPcr5lzHuw  (03: 02) Une courte entrevue sur Kidd Pivot et “Tempest Replica”.

https://youtu.be/cOjTd4Oa-js  (11: 40) Une conférence par la chorégraphe. Février 2014.

https://youtu.be/QG5S31Q7DPM   (38: 36) Une conférence intitulée “Crystal Pite: Conflict is Vital”.

https://youtu.be/gqqYCKSlCgs   (39: 30) Dance Talks: Gus Solomons jr on Crystal Pite’s Kidd Pivot.  Dance artist Gus Solomons jr shares his thoughts on choreographer Crystal Pite’s approach to dance and introduces her work “The Tempest Replica”.

4.- Ce qu’en disent les autres

“Pite is an image maker of rare distinction”  THE AUSTRALIAN

“Pite brings a refined lyricism which transforms everything she touches.” THE OBSERVER

“She is one of the most sought-after choreographers of her generation.” THE GLOBE AND MAIL

“The Tempest Replica : Hauntingly odd and original” (4 stars out of 5) THE TELEGRAPH


[i] Chorégraphe à la signature distinctive, Crystal Pite, a été pendant de nombreuses années membre du Ballet de Francfort, sous la direction de William Forsythe. Fondatrice de la compagnie Kidd Pivot, dont le siège est à Vancouver depuis 2001, elle est aussi chorégraphe associée en résidence au Nederlands Dans Theater, au Sadler’s Wells de Londres et au Centre national des Arts à Ottawa, en plus d’être très demandée tout autour du globe.

[ii] “The You Show” https://youtu.be/Z38suCkaISI   (02 : 44)  Bande-annonce officielle.

[iv] Plusieurs versions récentes…dont deux mises en scène de Robert Lepage (l’opéra de Thomas Adès, coproduction Festival d’Opéra de Québec et Metropolitan Opera de New York (2012), ainsi que la pièce de théâtre présentée à Wendake (2011), adaptée aux coutumes huronne-wendake) ; The Tempest (2010) film de Julie Taymor mettant en vedette Helen Mirren. Une version théâtrale a aussi été présentée au Trident, en 1998 et le texte du triptyque Coriolan, Macbeth et La tempête, transposé en québécois par Michel Garneau.

[vi] Vous en voulez plus en français : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Temp%C3%AAte  offre 4 différentes traductions.

[viii] Extrait d’une conférence par la chorégraphe (février 2014).  https://youtu.be/cOjTd4Oa-js  (11 : 40)

[ix] Entrevue sur le site du Sadler’s Wells Part 3  https://youtu.be/drHnBLi9TFc   (01: 34)