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Chroniques du regard 2013-2014,  No6:  « Les mêmes yeux que toi » d’Anne Plamondon

Chroniques du regard 2013-2014, No6: « Les mêmes yeux que toi » d’Anne Plamondon

26 février 2014

Photo: Michael Slobodian

Dans Les mêmes yeux que toi, la danseuse et chorégraphe Anne Plamondon amène le public, corps et âme, dans un spectacle de danse théâtrale, poétique et accessible. Basé sur les luttes mentales de son propre père et présenté dans un espace scénique presque nu, le spectacle commence avec la danseuse se présentant comme la mémoire réincarnée d’un homme affligé, déambulant vers la folie (ici, assis sur le siège de son taxi). S’ensuit le périple d’une enfant devenue adulte, cherchant à comprendre ce qui se passait dans la tête de son père.

Tout au long du spectacle, en touchant sans cesse à cette fragilité, elle explore des zones grises et des aspects de la personnalité (exacerbés chez son père, mais qui nous habitent tous) causant souffrance et incompréhension. Les batailles, parfois symboliques, sont présentées par une interprète athlétique et virtuose mais comme si retenues à l’étroit, dans un corps trop petit pour contenir ces pensées illimitées.

Une danse théâtrale

La réputation de l’interprète d’expérience, devenue chorégraphe, est sans failles et  le spectacle, créé en 2012, nous arrive avec une excellente réception critique. Appuyée dans sa démarche par Marie Brassard (actrice, auteure et metteur en scène qui a agi comme œil extérieur), Anne Plamondon a pu mettre en corps un projet qui mijotait en elle depuis presqu’une décennie. Ce spectacle est-il de la danse théâtrale, de la danse-théâtre, du théâtre dansé ??? Laissons les experts se prononcer tout en essayant de faire une distinction dans ces différents types de production.

Danse théâtrale : Ensemble des danses destinées à être présentées devant public. La danse théâtrale se distingue des pratiques à caractère communautaire ou social comme les danses de société et les danses rituelles. Ne pas confondre avec le terme danse-théâtre. Source : https://www.lefrancaisenscene.ca/lexique

Danse-théâtre : Forme de danse fondée sur le mélange d’éléments chorégraphiques et dramaturgiques. Par exemple, les danseurs peuvent interpréter des personnages, combiner la parole, le chant, la danse et le jeu, évoluer dans un décor et utiliser des accessoires. Le terme allemand Tanztheater est également utilisé en français et en anglais. Synonymes : théâtre-danse, théâtre dansé, Tanztheater. Source : https://www.lefrancaisenscene.ca/lexique

Théâtre dansé : Dans les années 1980, la « nouvelle danse » française a oscillé entre « danse-théâtre » et « théâtre dansé », mettant l’accent tantôt sur une discipline, tantôt sur l’autre, notamment avec les travaux de Maguy Marin. Source : https://www.universalis.fr/encyclopedie/theatre-danse/

Théâtre gestuel : Ses comédiens évitent le langage codifié pour s’aventurer dans l’approche gestuelle, pure ou mélangée. Lorsque le théâtre gestuel est pur, il élimine toute référence au verbal. Quand il est mélangé, il utilise la voix comme geste vocal et non comme langage. Le corps théâtral y trouve ses lettres de noblesse. Source : https://www.6bears.com/formesdutheatre.html

Une danse d’introspection

La démarche autobiographique reliée à l’un des parents est assez courante en arts et plusieurs exemples scéniques directement reliés au père sont donnés en fin de chronique (Voir la liste des autres créateurs nommés plus bas). Chaque projet apporte une lumière nouvelle sur ce vaste champ exploratoire des relations humaines et sur la construction de la personnalité. Chaque projet témoigne de la sensibilité de son auteur. Pour la chorégraphe Anne Plamondon, ce thème de spectacle et sa mise en œuvre a certainement demandé une grande dose d’introspection et d’intérêt pour le récit autobiographique mais, attention, malgré l’honnêteté et l’implication personnelle dans le propos, il ne s’agissait pas de produire sur scène un exercice ou une démonstration de danse-thérapie[i], qui est une toute autre chose.

La recherche de soi présente dans le processus créatif du spectacle « Les mêmes yeux que toi » est passée par le corps et la sensibilité de l’interprète mais le résultat final ne présente aucunement une femme en thérapie ou une revendication quelconque pour une meilleure connaissance de la maladie mentale. Le résultat scénique est humain et sérieux mais moins grave que son point de départ.

Cette œuvre dansée est riche en proposition sensibles et présentée tout en délicatesses. Anne Plamondon y trouve sa place comme chorégraphe et prouve encore une fois qu’elle est l’une des interprètes les plus matures et intéressantes à voir sur scène, riche de toutes ses influences et expériences accumulées (ballet autant que danse moderne et danses urbaines).

Compléments d’information 

Pour vous aligner un peu sur le Web, voici quelques liens vers d’autres productions de danse dont le thème était aussi la recherche identitaire à travers la personnalité du père[ii]. Les œuvres sont présentées en ordre chronologique de création.

Kyle Abraham, Quarantine (2013) https://youtu.be/6M4f3aRB9gk  (09 : 25). Vidéo-danse dans laquelle un vieil homme regarde une plus jeune version de lui-même en train d’explorer un édifice autrefois utilisé pour la quarantaine lors des transports d’esclaves africains. Kyle Abraham est l’une des figures montantes de la danse contemporaine américaine. Sa compagnie sera présente à Montréal au début mars 2014.

Laurence Lemieux, Les cheminements de l’influence (2012). https://youtu.be/WwYpGIJBde8   (02 : 28).  Recherche identitaire qui passe par le père. Présentation spéciale de La Rotonde en septembre 2013.

Akram Khan, Desh (2011) https://youtu.be/59MsDSChSvM  (03 : 44). Un solo résultant d’une quête intime inspirée d’un voyage au Bangladesh, le pays d’origine de ses parents.

Helena Waldmann Revolver Besorgen (2010)  https://youtu.be/qkrZ5GrTaRY  (04 : 57). Un solo de théâtre dansé, traitant de la démence du père de Waldman, interprété par Brit Rodemund. Présenté en février 2014 par Danse-danse à Montréal.

Mario Veillette, Vieille pomme (2008) https://youtu.be/Wctvs9XtR_4  (03 : 25). Un solo basé sur le père en fin de vie. Première partie du spectacle « Père et mère ». Présentation La Rotonde, 2011.

Roger Sinha, Burning Skin (1992)  https://youtu.be/AlZ9vVs3ObM  (02 : 49). Un solo qui explore les racines ethniques du chorégraphe-interprète et revisite des pans entiers de sa propre enfance.

Martha Graham, Errand into the maze (1947)  https://youtu.be/ieMO1Z0UhGQ (14 : 28). Célèbre danseuse et chorégraphe américaine, elle est une des pionnières de la danse moderne américaine. Un important segment de ses créations chorégraphiques porte sur la mythologie grecque et ses personnages féminins.

Pour lire un peu sur les liens entre psychanalyse et danse : 

https://violainemouthon-champ-analytique.e-monsite.com/blog/solitude-danse-et-poesie-du-reel.html

https://www.blogg.org/blog-43342-date-2007-01-02-billet-l%E2%80%99inconscient_dans_la_danse___inconscient_de_la_psychanalyse_-507802.html

Pour creuser encore plus loin : 

Voir la revue Jeu LA TENTATION AUTOBIOGRAPHIQUE  Numéro 111 (2), 2004, p. 2-193  Sous la direction de Hélène Jacques.

Voir la collection des bandes dessinées/romans graphiques de Michel Rabagliati, dont le merveilleux Paul à Québec, prix du public lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême de 2010.


[i] « La danse-thérapie, apparue dans les années 40, est issue de la danse moderne et du courant humaniste du 19ème siècle. Si la danse moderne se base sur la nouvelle conception du corps, définie en 1860 par François Delsarte, proposant un modèle englobant corps-émotion-esprit-communication, la danse-thérapie s’étaye sur les différents courants psychanalytiques. » Dominique Séjalon, cité dans  https://www.psychanalysemagazine.com/developpement-personnel-la-danse-une-therapie-pour-soi.html

[ii] …la personnalité du père … ou les ascendants raciaux… ou les grandes figures mythologiques.