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Chroniques du regard 2013-2014,  No9:  Tragédie d’Olivier Dubois

Chroniques du regard 2013-2014, No9: Tragédie d’Olivier Dubois

Photo: François Stemmer

Photo: François Stemmer

Dans cette chronique, je vais tenter d’éclairer le spectacle-événement Tragédie, qui arrive en ajout à la saison régulière. Après avoir présenté brièvement le propos de la pièce et le parcours du chorégraphe, je situerai Tragédie dans le corpus de créations d’Olivier Dubois car ce spectacle a été créé en totale cohérence dans la suite des recherches chorégraphiques de l’artiste qui n’a pas, « out of nowhere », eu le flash de mettre 18 danseurs nus sur scène pour attirer du public.

À voir si vous aimez : les spectacles-événements, les chocs esthétiques, l’énergie brute.

À ne pas manquer si vous avez aimé les récents spectacles de danse de : Hofesh Schechter[i], « Corps de Walk »[ii] et Batsheva[iii].

1.- Le spectacle :

Tragédie est une œuvre coup-de-poing devenue le coup-de-cœur de nombreux critiques. Dans ce spectacle d’une durée de 90 minutes, souvent qualifié comme étant le meilleur spectacle du festival d’Avignon en 2012, le chorégraphe français Olivier Dubois veut faire vivre aux spectateurs « l’expérience d’une humanité aveuglante, éblouissante… assourdissante »[iv]. Il souhaite que, lors de cette quête, une humanité transpire du corps des interprètes.

Sur une scène vide, neuf femmes et neuf hommes se présentent dans une nudité totale qui les débarrasse de toutes connotations historiques, sociologiques ou psychologiques. Dans une série d’allers et de retours incessants, qui commencent de manière militaire et dont les mouvements semblent sans intentions, ils arrivent à construire, avec des gestes très codifiés, une chorégraphie « manifeste, obsessionnelle, voire hypnotique où, dans un mouvement de sac et de ressac, ces femmes et ces hommes se fondent et disparaissent; le frottement de leurs engagements crée le fracas. »[v]

Présentée en trois parties (Parade, Épisodes et Catharsis) et rythmée par la pulsation musicale, métrique et techno de François Caffenne, la chorégraphie est surtout composée de divers martèlements du sol qui font que, à chaque pas des danseurs, la pression contre le sol s’accumule. Les phrases de mouvements répétitives créent une atmosphère tribale. L’exploit des danseurs est sportif et la montée du spectacle en crescendo tend vers le sacré et l’archaïque.

2.- Olivier Dubois, chorégraphe, a tout juste 40 ans. Arrivé à la danse professionnelle à 23 ans, il a dansé une dizaine d’années pour différents créateurs aussi diversifiés que Karine Saporta, Angelin Preljocaj, Jan Fabre[vi] et Sasha Waltz. De ses années de formation, il dit: « Je bouffais de tout, car il fallait non seulement que j’apprenne à danser mais que je comprenne aussi ce qu’était la danse ». Classé parmi les 100 meilleurs du monde par le magazine Dance Europe, il fonde sa compagnie (COD) en 2007. Depuis, il s’impose comme un chorégraphe exceptionnel[vii] et dirige, depuis le début de l’année et en succession de Carolyn Carlson, le Centre national chorégraphique de Roubaix. Entre autres projets, il prépare pour 2016, sur une commande du gouvernement néerlandais, un spectacle sur le peintre Bosch.

Influencé par le mouvement de non-danse qui a caractérisé certaines productions françaises pendant presque quinze années, Olivier Dubois « préfère se définir comme auteur plutôt que comme chorégraphe, c’est qu’il ne se considère pas comme un chercheur de mouvements. Pourtant, l’intensité du geste et la puissance de l’engagement sur le plateau sont finalement des éléments marquants de ses créations. »[viii]

3.- La cohérence de cette œuvre dans le cheminement du chorégraphe :

Dans plusieurs chorégraphies de Dubois, mais surtout celles qui composent le présent cycle composé de Révolution (2009), Rouge (2011) et Tragédie (2012), la création est considérée comme « un combat pour l’humanité, un combat monstrueux. L’humanité n’est pas une réalité mais un concept vers lequel on tend, une utopie pour laquelle il ne faut cesser de se battre. C’est comme si on devait conquérir sans cesse son propre territoire, ce territoire qui est juste devant chez soi, et qu’on laboure chaque jour, avec courage et ferveur, car il faut trimer pour que la récolte soit bonne…». [ix]

Après avoir exploré la chorégraphie pour un groupe de femmes utilisant les poteaux de pole-dancing[x] (Révolution) et le solo pour lui-même (Rouge), il continue dans cette trilogie à présenter des humains qui sont frénétiquement en marche, transportant leur vulnérabilité tout en questionnant leurs volontés d’insurrection, leurs capacités à se joindre à une communauté et leurs (désirs de) résistances.

Dubois teste parfois l’endurance des spectateurs face aux mouvements répétitifs (Révolution dure 2 heures sans intermission et la partie « Parade » de Tragédie dure 45 minutes.). Il n’a pas peur des temps d’attente (pour lui, l’ennui est important) ni de s’éloigner du propos principal (pour y revenir avec encore plus de force) car l’essentiel demeure, pour lui, le fait que les corps parlent et sont porteurs d’histoire.

Les livres ayant imprégné la création de Tragédie : Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, La voix endeuillée de Nicole Loraux, La tragédie de Christian Biet et, bien entendu, La Naissance de la tragédie, de Friedrich Nietzsche, dont Dubois retient la phrase : «Par le chant et la danse, l’homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure : il a désappris de marcher et de parler et, dansant, il est sur le point de s’envoler dans les airs. Ses gestes disent son ensorcellement.»

Et finalement, pour la petite histoire, 1200 personnes ont auditionné pour faire partie de ce projet, qui a coûté 280 000 euros à produire. Pour un article sur le financement d’un tel projet : https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/07/04/le-long-et-difficile-chemin-d-un-danseur-voulant-danser_1728760_3208.html

4.- Les liens Internet :

Aujourd’hui, une grande collection de liens pour présenter l’œuvre foisonnante d’Olivier Dubois. Des bandes annonces, des extraits plus ou moins longs ou même des intégrales de spectacles. Gâtez-vous (et lisez aussi quelques « Avis de spectateurs » quand ils sont disponibles) :

« Tragédie » (2012) : https://vimeo.com/49372114   (03: 22)   Bande-annonce de Tommy Pascal.

« Souls » (2013): https://concert.arte.tv/fr/souls-dolivier-dubois-au-centquatre  (61 : 00). L’intégrale d’une chorégraphie pour six danseurs africains de six pays différents, filmée le 15.03.2014.

« Élégie » (2013)  https://www.numeridanse.tv/fr/catalog?mediaRef=MEDIA131009094724849  (12 : 30) Création d’Olivier Dubois pour le Ballet national de Marseille. 17 Danseurs.

« Prêt à baiser » (2012) https://phi-centre.com/fr/evenements/id/pretabaiser  Bande-annonce d’un duo performatif pour Dubois et un danseur de la compagnie. Sera présenté à Montréal le 29 avril.

 « Rouge » (2011) https://youtu.be/eXO4s6fHCfA   (09 : 18)  Extraits du solo d’Oliver Dubois.

« Le spectre » (2010) https://youtu.be/HpjGMUvxc1c   (03 : 52) Bande-annonce des Ballets de Monte- Carlo.

« L’homme de l’Atlantique » (2010). Extrait d’une série de duos sur des musiques de Frank Sinatra. https://www.numeridanse.tv/fr/catalog?mediaRef=MEDIA110111162137616   (02 : 57)

« Révolution » (2009) Chorégraphie pour 14 danseuses et autant de poteaux. L’intégrale dure deux heures, sans interruption. Partie 1 : https://youtu.be/hrdx26Zt8ko   (09 : 59)

Partie 2 : https://youtu.be/uvMA9000lcw   (08 : 07)

« Pour tout l’or du monde » (2006) https://vimeo.com/26963352  (29 : 56). L’intégrale du solo d‘Olivier Dubois.

5.- Pour terminer : Un dernier lien externe un peu hors-sujet.

Studies on Hysteria: https://vimeo.com/79744382  (07: 45)

Ce court-métrage amène le spectateur dans un monde inversé où la nudité est normale et le fait d’être vêtu est considéré comme étrange, voire criminel.


[i] https://www.grandtheatre.qc.ca/spectacles/hofesh-shechter-company-1454.html

[ii] https://www.grandtheatre.qc.ca/spectacles/carte-blanche-1457.html

[iii] https://www.grandtheatre.qc.ca/spectacles/batsheva-dance-company-1325.html?date=2012-02-28

[iv] Note d’intention retrouvée dans le programme de la première, présentée à Avignon en juillet 2012.

[v] Idem.

[vi] Sur le metteur en scène et chorégraphe flamand Jan Fabre, avec qui il a travaillé de 2003 à 2007 : « C’est mon maître, confie-t-il. Il a libéré l’artiste en moi, m’a aidé à grandir, à prendre une ampleur qui est la mienne. » https://www.lemonde.fr/culture/article/2013/01/03/olivier-dubois-un-feu-sans-artifice_1812596_3246.html

[vii] Pour un reportage éclair sur l’homme et sa carrière, voir « La minute du spectateur »  https://www.numeridanse.tv/fr/catalog?mediaRef=MEDIA130909180548440   (02 : 17)

[viii] https://www.104.fr/artistes/olivier-dubois.html

[ix] https://www.paris-art.com/interview-artiste/olivier-dubois/dubois-olivier/277.html

[x] « … la barre est d’abord un outil de travail. Au début de la pièce, elle sublime la danseuse qui la tient, la valorise, la rend belle puis au bout d’un moment, la notion de représentation disparaît, au bout d’une heure, la danseuse tient la barre seulement parce que c’est son travail… La barre est aussi un soutien, une béquille, un pilier et même une racine. C’est un objet qui me fascine, que l’on tourne, que l’on finit par polir… » https://www.paris-art.com/interview-artiste/olivier-dubois/dubois-olivier/277.html