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Chroniques du regard 2014-2015, no 2 – Danse K par K, Danse de garçons par Karine Ledoyen

Chroniques du regard 2014-2015, no 2 – Danse K par K, Danse de garçons par Karine Ledoyen

28 octobre 2014

danse-de-garcons-danse-k-par-k-photo-david-cannon-8Présenté au Théâtre Le Périscope, Danse de garçons est la reprise d’un spectacle présenté avec grand succès par le Carrefour International de Théâtre de Québec en 2013.  Le titre est tout à fait descriptif. Il y a de la danse (les amateurs ne seront pas déçus) et il y a des garçons. Ils sont sept, ils sont intenses, ils sont sincères dans leurs démarches et leurs corps sont totalement investis dans le mouvement.

C’est pour vous si vous aimez les organisations ludiques et la dépense d’énergie faite sans retenue, ainsi que les interprètes sur scène qui incarnent leurs propres personnages, c’est-à-dire des humains dans leur réalité (qui se rencontrent, s’apprivoisent ou se confrontent les uns les autres).

C’est pour vous si vous voulez voir, dans un nouveau cadre, une flopée de jeunes comédiens talentueux qui ne parlent ici « qu’avec leurs corps ».

Les garçons, c’est qui ? Ce sont six comédiens actifs sur les différentes scènes actuelles (Charles-Étienne Beaulne, Jean-Michel Girouard, Éliot Laprise, Jocelyn Paré, Jocelyn Pelletier et Lucien Ratio), tous sortis du conservatoire d’art dramatique de Québec entre 2005 et 2011, auxquels s’ajoute Fabien Piché, danseur professionnel diplômé de L’École de danse de Québec en 2010.

Danse de garçons, c’est quoi ? C’est une série de jeu et de joutes qui se succèdent pendant presqu’une heure. Dans des actions parfois proches de la performance, les scènes se développent en alternant les aspects ludiques et explosifs, voire épiques et fantastiques de la représentation théâtrale. Les échanges entre les interprètes se font parfois à sept, parfois en plus petits groupes, mais servent toujours de base à une rencontre complice entre individus. « Cela démarre avec une séance de réchauffement remplie de testostérone et du simple plaisir d’amplifier la masse de son corps vers l’épuisement. Cela glisse et roule et se frappe et s’accroche comme des électrons fous qui remplissent la fosse. » Source: Alain-Martin Richard, Jeu.

On y retrouve « … des courses folles, des relais énigmatiques, des jeux d’adresse, des luttes et des rixes où la sueur coule à flots, les muscles se tendent et les corps se crispent et se palpent ne nous laissent aucun répit. » Source: Josianne Desloges, Le Soleil

La scénographie est très efficace. D’abord présenté comme une pile de bois, de vrais madriers sont manipulés de différentes manières par les interprètes. Parfois éléments de décor, parfois accessoires, ces lourds bouts de bois demandent un effort physique véritable pour être bougés ou transportés et les dangers dans leurs manipulations sont réels. Dans une alternance de tableaux lents ou plus explosifs, ils deviendront indices de territoire à habiter ou de limites à ne pas franchir, symboles d’armes ou véritables supports pour des mouvements d’équilibre. Ils serviront, tout au long du spectacle, à définir le décor, transformable et modulable, selon les différentes scènes. « S’ils aiment construire, ils prennent également un malin plaisir à détruire, à créer le chaos. Faisant office de décor, les madriers font un boucan d’enfer, se révèlent lourds, demandent une bonne force physique pour les déplacer. Le danger de se blesser est bien réel. Les interprètes souhaitaient un engagement fort, une vraie mise en danger. Ici, rien de métaphorique : une grosse planche de bois sur la tête, ça fait mal ! Le parcours du spectacle suit le parcours du bois, qui devient tour à tour radeau, patinoire, route, langue, labyrinthe, chemin de croix… » extrait du Cahier pédagogique accompagnant le spectacle.

Petit historique des hommes qui dansent

De tout temps, dans tous les pays et dans toutes les civilisations, les hommes ont dansé entre eux (sans les femmes!). On retrouve des danses chamaniques utilisées pour différents types de cérémonies (Kecak dans le film Baraka) et des danses pour entraîner les soldats (la pyrrhique de la Grèce antique) et les préparer à la guerre, autant chez certains amérindiens que chez les soufis turcs. On retrouve des danses qui ont fait office d’instruments de socialisation pouvant aider la noblesse dans son insertion à la cour  et, dès le XVIIe siècle, on retrouve des danseurs de ballet qui sont professionnels dans leur pratique. Les rôles de ces derniers ont évolué passant, à travers les âges, d’interprètes de rôles féminins à « porteurs de danseuses romantiques » pour redevenir danseur étoile dans toute sa légitimité, comme Guillaume Côté. Cette légitimité du danseur vedette est d’ailleurs célébrée lors de gala comme “Kings of Dance”.

D’autre part, on retrouve des danses créées pour être interprétées par les hommes entre eux, comme dans les lupanars argentins à la fin du XIXe siècle (voir un extrait de film où Valentino et Nijinski dansent un tango) ou directement dans les rues de Brooklyn dans les années 1960-70: le break dance et le hip-hop, qui continuent d’évoluer).

Aux États-Unis, Ted Shawn (1891-1972), un des premiers représentants de la danse moderne, a  créé une compagnie exclusivement masculine dont les chorégraphies mettaient de l’avant mouvements athlétiques et thématique « virile », comme dans « Kinetic Molpai » (1935). Chez nos voisins du sud, on retrouve aussi, maintenant, des programmes universitaires mettant l’accent sur le développement du danseur masculin.

Le spectacle Danse de garçons offre une atmosphère remplie de testostérone et de célébration de la vie dans laquelle on se rapproche d’une recherche d’authenticité et de découverte de soi à travers le mouvement et dans laquelle on s’éloigne des danses traditionnelles et des clichés sur la danse qui persistent malgré tout. Pour les clichés et les manières de les désamorcer, je vous invite à lire le chapitre 7 de Danser : enquête dans les coulisses d’une vocation de Pierre-Emmanuel Sorignet intitulé : « La danse, c’est pour les filles et les pédés ». Pour les stéréotypes du danseur strip-teaseur, il faut voir la bande-annonce de « Magic Mike » et la participation de concurrents à différents concours de popularité télévisés.

Pour terminer, avant de vous inviter une dernière fois à aller voir le spectacle Danse de garçons qui ne sera présenté que quelques jours, je vous recommande l’extrait d’un autre spectacle, créé récemment pour et par de jeunes hommes. Issu d’une autre culture, le spectacle de Radhouane El Meddeb Au temps où les Arabes dansaient…  mélange cabaret, danses traditionnelles et music-hall en proposant un spectacle festif, généreux et ouvert, en forme d’ode à la liberté.