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Chroniques du regard 2016-2017 – (Very) Gently Crumbling – Grand Poney Dominique T. Skoltz

Chroniques du regard 2016-2017 – (Very) Gently Crumbling – Grand Poney

Jacques Poulin-Denis, chorégraphe et artiste pluridisciplinaire de la compagnie Grand Poney, présente un quatuor de femmes d’une durée de 50 minutes dont le titre évoque l’effritement, l’écroulement ou la tombée en ruines. La chorégraphie (Very) Gently Crumbling est présentée comme une expérience (une étude de comportements) effectuée dans un futur indéfini et peut être associée, par sa présentation scénographique, à certaines créations de science-fiction.

Photo: Dominique T. Skoltz

Photo: Dominique T. Skoltz

(VERY) GENTLY CRUMBLING c’est pour vous si vous aimez les spectacles imaginatifs et originaux, les univers utopiques, décalés et futuristes.

(VERY) GENTLY CRUMBLING c’est pour vous si vous êtes intéressé par le développement de l’humanité et l’évolution de la société.

(VERY) GENTLY CRUMBLING c’est pour vous si vous aimez les questionnements traités avec humour.

Le spectacle

Après avoir présenté le spectacle Gently Crumbling en 2011, Jacques Poulin-Denis a continué à creuser certains thèmes touchés dans cet opus (conditionnement, aliénation, futilité de la vie humaine…).  Suite à cette première aventure, il créait en 2015 une nouvelle mouture de cette exploration sur la déchéance. Celle-ci s’intitule (très) logiquement (Very) Gently Crumbling.

« Il s’agit là d’une comédie noire, d’un game show cruel, d’une expérience scientifique absurde. On l’aura deviné, il s’agit de l’existence humaine… » commentait S. Verstricht, à la suite du premier Crumbling. Ce commentaire s’applique aussi parfaitement à cette deuxième excursion dans un univers dont les héroïnes font face à leur entropie.

Après une ouverture qui présente avec humour, dans une semi-obscurité, une créature presqu’impossible à définir (est-ce un mutant, mi-baudruche et mi-monstre marin? Est-ce une espèce de créature microscopique magnifiée plusieurs milliers de fois?), la table est mise pour le dépaysement.

Sur scène, dans un environnement futuriste, quatre femmes habitent un espace ouvert, à l’éclairage changeant. Sont-elles humaines ? Ou plutôt des robots… des automates… des androïdes ? Quelle est cette voix qui semble diriger les mouvements et les actions des danseuses, voire leurs pensées et leurs destinées ?

Photo: Dominique T. Skoltz Sur la photo: Katrine Patry, Claudine Hébert, Anne-Marie Jourdenais et Caroline Gravel

Photo: Dominique T. Skoltz
Sur la photo: Katrine Patry, Claudine Hébert, Anne-Marie Jourdenais et Caroline Gravel

L’allure humanoïde des interprètes, leurs costumes (uniformes), leur utilisation du visage (allumé mais figé) et la qualité machinale du mouvement peuvent aisément permettre de situer l’action dans un futur dystopique. Tout est propre, tout est net. Comme dans un laboratoire, tout semble désinfecté et purifié.

Au début, les activités des personnages sont assimilables à une séance de relaxation-méditation dirigée comme il en existe une multitude d’exemples. Une voix off, préenregistrée, contrôle et dirige la séance. Les textes d’Étienne Lepage sont lus par SIRI. Sans questionnement d’aucune sorte, les personnages suivent les consignes. La voix du maître est là. Il n’y a qu’à suivre.

Les réflexes sont conditionnés, voire pavloviens. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… avant que tout ne se dérègle : la machine s’emballe et devient folle. Les paroles perdent graduellement leur cohérence, les consignes deviennent aliénantes, impossibles à suivre ou carrément absurdes. Toujours sans questionnement, les personnages continuent à réagir. Leurs réactions deviennent aussi absurdes que les consignes. L’univers s’écroule. Jusqu’où cela va-t-il continuer?

La fiction futuriste présentée sur le plateau ne semble pas si éloignée de la réalité quotidienne du début du XXIe siècle et, dans ce spectacle, le spectateur est amené dans un univers abstrait, peuplé de hasards et d’incohérences cognitives mais aussi d’espoir, de survivance et de résilience.

Le chorégraphe

On a connu Jacques Poulin-Denis à Québec comme interprète dans Junkyard/Paradis référence de Mélanie Demers (Compagnie Mayday) mais pas encore comme chorégraphe. Artiste et artisan pluridisciplinaire des arts de la scène (compositeur, chorégraphe, metteur en scène et interprète), il est actif depuis plus de dix ans dans des projets auxquels il participe ou qu’il génère. Des projets qui font valser les frontières entre danse, musique et activités théâtrales.

Sa vision des choses est humaniste et son regard est imaginatif. Il en résulte souvent des œuvres présentant un côté loufoque. La plupart du temps, les personnages qu’il met en scène, que ce soit lui-même ou quelqu’un d’autre, font preuve d’une vulnérabilité certaine mais aussi d’une puissance indéniable.

Sous la bannière de la compagnie Grand Poney, compagnie d’art interdisciplinaire fondée en 2009, il a créé une douzaine d’œuvres scéniques, chorégraphiques ou performatives, dont Cible de Dieu (2009) et La valeur des choses (2014), présentées à travers le Canada, aux États-Unis, en Europe  et en Asie. La compagnie se voue au développement d’une écriture scénique hybride et collaborative. Elle rassemble des artistes échangeurs d’idées qui façonnent un mode de création constamment renouvelé et ancré dans l’expérimentation de la danse, de la musique et du théâtre. Leurs productions s’appuient sur l’abstraction chorégraphique, la composition musicale et la dramaturgie théâtrale. Elles interrogent les rapports à l’autre et les moyens à utiliser pour rendre réel l’imaginaire.

En tant que compositeur de musique, il a créé deux albums ainsi que les trames sonores de plus de vingt productions chorégraphiques et théâtrales. « Quand il ne danse pas, le bachelier en musique électroacoustique compose. Dans Domestik, son concerto pour 18 appareils électroménagers, Poulin-Denis jouait du lave-linge et de la cuisinière, mais il sait manier des instruments plus classiques, telles la trompette et la guitare… Il a enregistré deux albums, dont Étude no 3 pour cordes et poulies, et coécrit, avec Martin Messier, Projet Pupitre, qui traduit en sons les gestes et matériaux de l’écriture ! » Source: A. Ducharme, L’Actualité.

Jacques Poulin-Denis anime aussi parfois des ateliers, donne des conférences, en plus de faire l’objet d’un reportage documentaire de Tamás Wormser intitulé Step Up!

Les collaborateurs et interprètes

Les interprètes sont Sophie Breton, Caroline GravelClaudine Hébert et Anne-Marie Jourdenais. La chorégraphie et la musique originale sont de Jacques Poulin-Denis. La conception des éclairages est réalisée par Alexandre Pilon-Guay. Les textes sont écrits par  Étienne Lepage. Les costumes sont de Veronica Classen. Jean-François Légaré agit à titre de conseiller chorégraphique.

Les critiques

« Plus physique et plus kinesthésique que les dernières créations du chorégraphe, (Very) Gently Crumbling donne à voir un plastique qui semble vivant et des humaines devenues machines. Tel un réquisitoire jamais littéral contre les maux de la modernité… une pièce formidable et très fine, savoureusement lucide. » N. NaoufalLe Devoir.

« Jacques Poulin-Denis met en scène une étude qui nous saisit directement au ventre. La vulnérabilité de ses quatre interprètes est poignante et vraie. [Elles] semblent s’abandonner complètement, à yeux fermés… C’est extrêmement fragile et tangible… L’œuvre de Poulin est non seulement riche par ses textures, la mouvance, la gestuelle et par les interprètes qui livrent un matériel complexe, et ce, avec brio, mais également par les textes saisissants d’Étienne Lepage et les éclairages fins et adroitement performés par Alexandre Pilon Guay. Une ambiance réussie »  G. Roy, DFdanse.

« Jacques Poulin-Denis aime se réinventer. S’il n’abandonne pas l’hybridité qui a toujours caractérisé son (ses) esthétique(s), faisant pencher la danse du côté d’une  forte théâtralité, il offre avec (Very) Gently Crumbling une œuvre bien différente de son précédent opus, La valeur des choses. » P. Couture, Voir.

« Écrits par Étienne Lepage, les textes portent un regard critique sur notre société aliénée. Jonglant finement entre la fatalité et le côté humoristique du sujet, le discours est récité par une voix robotisée… Toutes les composantes de la pièce forment ainsi un tout cohérent, allant de concert avec les intentions de Poulin-Denis. » C. Lepage Mandeville, pieuvre.ca.

“Surreal is the right word to describe Jourdenais when she donned an inflatable yellow suit with four legs that made her look like a cartoon dinosaur. Periodically the air was let out of the suit, which was then re-inflated.  The act of crumbling had its fun moments.” V. SwobodaMontreal Gazette.

Liens externes

Pour une autre oeuvre de Jacques Poulin-Denis: Face à face (2016) en collaboration avec Dominique T. Skoltz.

Afin de vous mettre en piste et trouver des clés pour bien comprendre l’univers de la science-fiction, je conseille de retourner d’abord à la lecture de Jules Verne (science-fiction écrite dans le passé = rétrofuturisme), de passer par Isaac Asimov pour comprendre les lois régissant les robots et androïdes. Et n’oubliez pas 1984.

Pour trois exemples de danses créées pour un futur imaginé, tirées de la série allemande des années 1960 Raumpatrouille Orion, c’est ici, ici et ici.

Voyez aussi le court-métrage Chronoscope (2013). Stop-Motion réalisé par M. Daoust, V. Laurin, É. Marcoux et D. Remiro.

Du côté télévision et cinéma, passez par West world (film USA,1973 ou série Télé HBO,2016), 100% humain et Ex-Machina.