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Chroniques du regard 12-13, no 6 : Gold d’Hélène Blackburn et Pierre Lecours avec la précieuse collaboration des danseurs

CAS PUBLIC
Depuis près de 25 ans à la tête de la compagnie CAS PUBLIC, Hélène Blackburn s’est toujours engagée dans une recherche chorégraphique évolutive qui l’a amenée à créer une série de spectacles variés, s’adressant aux adultes autant qu’aux enfants ou aux adolescents. Avec cette compagnie québécoise qui jouit d’une réputation internationale, elle multiplie les efforts pour promouvoir la danse actuelle auprès du public et contribuer ainsi à son développement. Certains spectacles de CAS PUBLIC ont été dansés plus de 300 fois et la plupart d’entre eux ont été présentés dans plusieurs festivals et salles réputées à travers le monde. La compagnie travaille présentement sur un projet de co-création et de coproduction avec la Chine. Un projet ambitieux qui la tiendra occupée pour les prochaines trois ou quatre années. Une collaboration qui impliquera les membres de la compagnie ainsi qu’un chorégraphe et une troupe de danseurs chinois.

Pour Hélène Blackburn et son équipe, chaque période de création devient un nouveau voyage créatif dans lequel les artistes impliqués cherchent à renouveler leurs vocabulaires et à revitaliser leurs approches, afin d’approfondir chaque fois le propos du spectacle. Les thèmes choisis se retrouvent toujours traités avec vigueur, originalité et, le plus souvent, avec une pointe d’humour. Les danses sont exigeantes et demandent toujours, de la part des interprètes, un engagement physique intense ainsi qu’un sens théâtral bien affûté. Même quand elle présente un type de spectacle ciblé pour une clientèle spécifique (spectacle pour enfant de tel âge ou pour tel type de clientèle), elle souhaite que tous les spectateurs puissent en profiter. Que les grands profitent d’un spectacle pour enfant tout autant que leurs rejetons, comme c’est ici le cas pour le spectacle GOLD, annoncé comme étant pour toute la famille (4 ans et plus).

GOLD
Dans GOLD, les deux chorégraphes Hélène Blackburn et Pierre Lecours, avec la précieuse collaboration des danseurs1, s’inspirent de la richesse baroque des Variations Goldberg de J-S Bach2 pour faire naître, dans un environnement visuel dépouillé, un spectacle plein de poésie et rempli d’effets en trompe-l’œil.

La chorégraphie pour cinq danseurs intègre tour à tour écrans mobiles, projections vidéo et objets concrets de la vie quotidienne des enfants. Avec beaucoup de surprises et au grand plaisir des spectateurs, la chorégraphie donne corps à la musique dans une série de scènes très courtes, le plus souvent séparées par des passages au noir. Par son énergie et ses trouvailles scéniques, le spectacle plaira aussi aux adultes. Ils pourront, en plus d’être subjugués par la magie de certains tableaux, apprécier les différentes intégrations des thèmes constituants de l’art baroque, comme les tensions entre la nature telle quelle et la représentation de celle-ci, ainsi que l’utilisation des illusions.

Le spectacle commence avec classe et dans une simplicité visuelle qui sera présente tout au long du spectacle. Sur une série d’écrans mobiles sont parfois projetées diverses images (paysages, personnages). Sur scène, on retrouve des objets réels (balles, chaises, etc…) qui deviennent la base de jeux scéniques très bien construits, utilisant parfois la jonglerie, toujours effectués avec humour et légèreté. Les différentes parties du spectacle, toujours divertissantes, présentent un éventail d’utilisation de la bande sonore et une multitude de façons de bouger. Elles promènent le spectateur du «soft shoe» aux danses de rue, font appel aux habiletés gymnastiques des interprètes ou imposent parfois aux danseurs des mouvements des extrémités qui suivent exactement la cadence effrénée de la musique.

Les danses sont caractéristiques du style de la compagnie: des portés assez sages, des mouvements souvent dissociés aux articulations et une présentation qui se fait parfois en deux duos simultanés avec canons simples (toujours efficaces). Dans la trame sonore, un peu de folie est associée à la déconstruction (intégrant ici des sons que tout le monde reconnaîtra sans peine) qui amène à son tour des brisures de rythme dans la danse. Le découpage précis de la lumière, qui peut par moment rappeler les notes de piano, est remarquable.

LES VARIATIONS GOLDBERG
Pour les enfants, comme pour les grands, la musique de Bach à la base du spectacle peut être une merveilleuse porte d’entrée vers la musique dite «classique». En plus d’être facile d’approche, cette œuvre est encore très présente un peu partout. Sans pouvoir la nommer, presque tout le monde risque d’en avoir entendu des extraits sur la bande sonore de nombreux films. Il existe d’innombrables enregistrements de cette musique3. De plus, on en retrouve extraits et mentions dans plusieurs autres domaines artistiques: du cinéma à la littérature4, en passant par la danse et de multiples émissions de radio et de télévision.

Cette musique est composée d’un air et de ses trente variations, incluant des canons combinés à toutes sortes d’intervalles et de mouvements, faite pour être jouée sur un ou deux claviers. Une légende (de moins en moins crédible) veut qu’elle ait été composée pour apaiser les nuits d’insomnies d’un certain comte Keyserling, ambassadeur de Russie, qui demanda à Bach une suite de morceaux au «caractère plutôt calme et plutôt joyeux, afin qu’ils le pussent récréer pendant (ses) nuits de repos».5 La légende dit aussi que, pour le remercier, le comte lui fit cadeau d’un gobelet d’or empli de cent louis d’or.

Les Variations Goldberg (BWV 988), composées au plus tard en 1740, sont la partie finale de l’œuvre pour clavier de Bach. «Elles sont d’une richesse extraordinaire de formes, d’harmonies, de rythmes, d’expression et de raffinement technique, le tout basé sur une technique contrapuntique inégalable.»6

EN COMPLÉMENT
Pour les curieux, en complément de programme et utilisant un esthétisme tout à fait différent, je suggère la version déjantée de la compagnie Marie Chouinard (2006) : bODY_rEMIX/les vARIATIONS GOLDBERG, aussi dansée sur la musique des Variations Goldberg jouée par Glenn Gould, cette fois remixées par Louis Dufort. Cette version ne s’adresse pas aux enfants. À défaut de se procurer le DVD, on en trouve plusieurs extraits sur Internet.7


1 Il faut rappeler que ces crédits reviennent encore trop peu souvent aux danseurs-interprètes et que le processus de création le plus fréquemment utilisé en danse contemporaine demande aux interprètes, suite aux mises en situation des chorégraphes, de générer eux-mêmes les séquences de mouvements.
2 Dans une version enregistrée par Glenn Gould et revisitée par le compositeur Martin Tétreault (assemblages et recompositions des variations 8, 14 et 21).
3 Il en existe au moins 70, dont quatre différents par Glenn Gould, qui chantonne tout en jouant du piano. « Petit historique des enregistrements des Variations Goldberg de Bach » par Morley Davidson.
4 Les Variations Goldberg (1981) de Nancy Huston.
5 Johann Nikolaus Forkel (trad. Felix Grenier), « Sur la vie, l’art et les œuvres de Johann Sebastian Bach », Leipzig, 1802.
6 https://fr.wikipedia.org/wiki/Variations_Goldberg
7 Compagnie Marie Chouinard. Une bande annonce (1 : 52) au https://youtu.be/fS1uDnIPTvo
Un extrait (10 : 01) au https://youtu.be/AtKd5s0zmiw
L’intégrale (55 : 50) au https://youtu.be/GNh9488y0WI


La Rotonde accueille, avec la collaboration du Musée de la civilisation, GOLD le 17 mars, à 14 h et 16 h, dans l’auditorium Roland-Arpin.

 
 
 

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Chroniques du regard 2012-2013, no 5 : Fleuve | Espace danse, 73° Nord de Chantal Caron

Espace intérieur

Dans la Salle Multi de Méduse, la compagnie Fleuve | Espace danse propose une expérience un peu hasardeuse: celle de transférer en salle, dans une boite noire et sans aucune scénographie, une chorégraphie créée à l’origine pour être dansée sur le rivage du fleuve St-Laurent.

L’œuvre présentée, 73° Nord, fait partie d’un corpus de danses in situ que Chantal Caron présente depuis quelques années, avec grand succès. Créées à partir des inspirations émergeant du cadre de vie de la chorégraphe, les danses tirent leurs origines d’éléments observables sur le bord du fleuve: mouvements de vagues, actions des vents, bruits de bateaux… des éléments qui enrichissent aussi les performances extérieures lorsqu’elles sont présentées sur les berges.

Mais, surtout, ce sont les grands oiseaux migrateurs (leurs rassemblements, mouvements de masse ou individuels, destinées et combats pour la survie…) qui allument la créativité de la chorégraphe. Dans 73° Nord, en plus de transposer en danse sa vision de la matière vivante, du varech, des rouleaux de mer, des oisillons qui doivent casser la coquille pour pouvoir grandir, Chantal Caron présente des personnages qui apprennent à regarder l’autre et l’environnement. Dans la création de cette danse, comme dans la vie des oiseaux, les interprètes ont dû trouver leurs rôles (mâle ou femelle, dominant(e) ou pas). L’identification des personnages a ensuite été utilisée pour définir la trame dramatique du spectacle (duos, duels, etc.). Le résultat intègre aussi un rapport au combat pour la survie des oiseaux migrateurs, ceux-ci devant affronter tout au long de leurs vies la nature et ses contraintes, les vents, les humains et autres prédateurs.

Les interprètes de la chorégraphie sont pour la plupart des pigistes montréalais, collaborateurs expérimentés et fidèles aux œuvres de Chantal Caron. Pour cette création, ils ont eu un accès directs aux éléments d’inspiration de la chorégraphie (observation des oiseaux et des rivages) sur vidéo et lors de séjours à St-Jean-Port-Joli. La plupart d’entre eux ont déjà dansé dans l’étape préliminaire du projet (Île des ailes, 2011), présentée en extérieur, ainsi que dans la version in situ de 73° Nord présentée l’été dernier.

Cette fois, sans scénographie autre que celle créée par les danseurs évoluant dans l’espace scénique, la version en salle se dévoilera sous un nouveau jour. Pour soutenir le transfert, la chorégraphie continuera d’être accompagnée de musique et d’environnement sonore rappelant l’ambiance du lieu de conception et de création, intégrant entre autres quelques enregistrements de bruits de vents, de vagues et de mats de bateau. Le défi, pour la chorégraphe et les interprètes, sera alors de réussir à transmettre en salle la même poésie que celle ressentie par le public lors des présentations extérieures, avec tout le merveilleux que peut comporter l’environnement de St-Jean Port-Joli.

Selon les paroles même de la chorégraphe, le défi est de taille et pose deux questions: La transposition, dans une boite noire, d’une œuvre créée à la base pour être présentée sur le rivage du fleuve (chorégraphies dansées sur l’infini du ciel, grandiose de la nature, odeurs, atmosphère) permettra-t-elle au public en salle à ressentir la même chose devant le spectacle? La proposition en salle sera-t-elle trop figurative?

Pour le public, c’est le fait s’assister au spectacle qui permettra de répondre à ces deux questions. Cette expérience sera d’ailleurs enrichissante à deux types de spectateurs: ceux qui ont vu le spectacle sur le bord du fleuve et qui pourront comparer les deux types de présentations. Les autres, ceux qui découvriront le spectacle en salle, pourront apprécier une distillation et une intégration des éléments d’inspiration (vent, vagues, etc.) travaillées en résidence, tout juste avant la série de présentation, mais sans la présence immédiate de ceux-ci. À eux de se laisser porter par la danse dans un environnement plus austère.

Danse in situ

Afin d’éclairer la lanterne de certains lecteurs, je présente ici deux extraits de textes qui amènent quelques pistes pour la définition de la danse in situ, une pratique assez courante en danse contemporaine et que l’on retrouve parfois au cœur même de certains festivals ou autres manifestations artistiques:

La danse contemporaine issue des expériences des avant-gardes et des ruptures des années soixante-dix est, depuis quelques années, de plus en plus présente hors des théâtres et des studios. Ses formes sont multiples et croisent Hip Hop et butô, acrobatie et gestes de métier, danse de couple et simple déambulation. Son inscription dans l’environnement architectural et humain en révèle la texture et favorise un rapport renouvelé avec les spectateurs.

«À s’aventurer dans des lieux impréparés, rues, places, bords de fleuves, «délaissés», urbains, parcs, manufactures et autres territoires des flux et des activités non artistiques, les danseurs s’exposent à un certain nombre d’inconforts: conditions climatiques, dureté des sols, présence visuelle et sonore de l’environnement, attention flottante des spectateurs, quasi-impossibilité d’utiliser les ressources de la lumière…»1

«Les questions liées au rôle et à la place du public dans l’œuvre de danse contemporaine et celles liées à l’espace de création et de représentation, sont au cœur des démarches de la danse in situ. Elles me semblent à ce titre être révélatrices des problèmes soulevés lorsque la danse sort du théâtre et de l’espace conventionnel occidental du spectacle d’art vivant. A priori, avec la création chorégraphique in situ, le chorégraphe façonne autrement le geste dansé et conçoit autrement l’espace frontal. Par conséquent, il élabore une relation différente entre l’espace de réception et l’espace de représentation telle qu’habituellement fragmentée dans nos théâtres.»2

Quelques liens

Et finalement, fidèle à mon habitude, je propose quelques liens Internet pour peut-être vous rapprocher un peu plus du travail de la compagnie Fleuve | Espace danse, pour vous offrir une porte d’entrée au spectacle 73° Nord, ou simplement pour titiller votre imaginaire.

1.- Ce ne sont pas directement les oiseaux migrateurs qui ont inspirés Chantal Caron mais plutôt leurs «cousins» asiatiques : Danse des grues du Japon

2.- Pour s’émerveiller du monde des oiseaux, une très impressionnante volée d’oiseaux dans le ciel : La dance des oiseaux

3.- À mon avis, un des plus beaux oiseaux au monde (le paradisier) dans ses techniques de drague : Le paradisier : techniques de drague

4.- Pour une autre utilisation de la nature du bord de mer. Voir, dans le film de Raoul Ruiz (1986), l’extrait allant de 46:00 à 51:00 qui présente une section de la chorégraphie Mammamme de Jean-Claude Gallotta (On trouve le film sur la deuxième ligne en partant du bas).


1EXTÉRIEUR/DANSE Essai sur la danse dans l’espace public par Sylvie Clidière et Alix de Morant.

2Le public dans l’œuvre de danse in situ: entre représentation et participation, quelle posture acquiert-il? Par Léna Massiani

 
 

 
 

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Chroniques du regard 2012-2013, no 4 : Autour de Fluide – Formation professionnelle des danseurs

Sept interprètes composent la distribution de la chorégraphie Fluide: tous sont de jeunes professionnels cumulant quelques années d’expérience. Ils travaillent pour la compagnie Le Fils d’Adrien danse mais aussi dans leurs projets personnels ou avec d’autres compagnies de danse québécoises. Presque tous sont issus de nos écoles de formation professionnelle supérieure en danse contemporaine. Trois d’entre eux ont été formés ici même, dans la ville de Québec. Dans cette chronique, je ferai un bref portrait de ces centres québécois de formation, des endroits qui restent méconnus du grand public. Ensuite, lors de ma prochaine chronique, parlerai du cheminement-type d’une jeune personne intéressée à devenir danseur professionnel.

Les quatre écoles supérieures de formation professionnelle en danse contemporaine au Québec sont les suivantes: L’École de danse de Québec (L’EDQ), L’École de danse contemporaine de Montréal (L’EDCM), l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et l’Université Concordia.1 Tous ces centres offrent des formations alliant, dans différentes mesures selon les établissements: classes techniques, cours d’interprétation, apprentissages d’œuvres de répertoire ou contemporaines, participation à des créations chorégraphiques, expériences de scène, ateliers de gestion de carrière, entraînements connexes, conférences, échanges interscolaires, voyages… Les étudiants qui suivent le programme régulier y passent trois années.

Les interprètes de Fluide qui y ont été diplômés2

Arielle Warnke St-Pierre (L’EDQ, 2002)
Brice Noeser (L’EDQ, 2006)
Alan Lake (L’EDQ, 2007)

Esther Rousseau-Morin (L’EDCM, 2007)

Marilou Castonguay (UQAM, 2004)
Alexandre Parenteau (UQAM, 2004).

Les centres de formation

L’École de danse de Québec (L’EDQ) est le seul centre de formation professionnel dans l’est du Québec. Son programme de formation, affilié au Cégep de Sainte-Foy, répond aux critères nationaux et internationaux en ballet et en contemporain. Depuis 45 ans, L’EDQ offre des programmes de formation professionnelle (DEC, AEC) et des cours de formation grand public. En formation professionnelle, elle offre cinq programmes en partenariat avec des établissements d’enseignement de la région de Québec allant de la formation de niveaux primaire et secondaire à la formation de niveau supérieur menant à un diplôme collégial. L’EDQ a été précurseur en offrant le premier programme professionnel de mise à niveau, un pré-requis parfois nécessaire aux jeunes intéressés à la formation professionnelle. Le programme de niveau collégial accueille chaque année une vingtaine de personnes en première année de formation.

L’École de danse contemporaine de Montréal, fondée en 1981 et auparavant connue sous l’acronyme LADMMI, est affiliée au Cégep du Vieux Montréal. Elle offre aussi différents programmes de formation: DEC, AEC, cours préparatoires, ateliers récréatifs pour grand public, etc…

L’Université du Québec à Montréal (UQÀM) offre un programme de Baccalauréat comportant deux concentrations: pratiques artistiques (création, interprétation) et enseignement. L’UQÀM offre aussi des programmes de cycles supérieurs en danse (2e et 3e cycles: DESS en éducation somatique, programme de maîtrise en danse, doctorat en études et pratiques des arts).

L’Université Concordia offre aussi un programme de baccalauréat. Celui-ci est conçu pour les étudiants qui s’intéressent principalement au processus de création. Fondé par Elizabeth Langley, une dame toujours active dans le domaine de la danse qui célébrera ses 80 ans en 2013, le programme vise à former des danseurs et des chorégraphes en mettant l’accent sur la découverte et le développement de la créativité. Les étudiants ont la possibilité d’y monter leurs propres chorégraphies, qu’ils interprètent ou non avec leurs camarades du programme de danse, ainsi que de collaborer aux spectacles des autres étudiants de l’Université en arts de la scène.

Lequel choisir?

Chacun de ces centres de formation embauche des enseignants et professeurs possédant une vaste expérience professionnelle (directeurs de leur propre compagnie, chorégraphes) toujours actifs dans le milieu. Les étudiants y sont exposés à diverses esthétiques du mouvement et visions artistiques. Certains de ces enseignants sont également des chercheurs en danse ou dans des domaines connexes. Le choix d’une institution au profit d’une autre est tributaire de plusieurs facteurs: enseignement collégial ou universitaire? Vivre à Québec ou à Montréal? Attirance vers un style d’entraînement plutôt qu’un autre (car les techniques enseignées varient d’une école à l’autre). Je conseille aux personnes intéressées de visiter les endroits choisis, et pas seulement les sites Web. Les occasions de portes ouvertes sont nombreuses. Surtout, je conseille d’aller voir les productions de ces écoles. Les occasions de voir les étudiants sur scène sont nombreuses pour chacune des institutions et restent pour moi un excellent moyen d’orienter son choix.


1 Il existe aussi une formation supérieure en ballet classique, offerte à Montréal (L’ESBQ). Sur un autre niveau, on retrouve également des programmes collégiaux pré-universitaires (Saint-Laurent, Sherbrooke, Montmorency, Drummondville). S’ajoute à ce système une vingtaine d’écoles de formation spécialisée en danse soutenues par le MCC ou Patrimoine canadien, répartie sur tout le territoire québécois, de Port-Cartier à Chicoutimi, en passant par Gatineau, Lévis et Trois-Rivières.

2 George-Nicolas Tremblay est diplômé en théâtre et a cumulé différentes formations dans des écoles loisirs et des stages intensifs d’été d’écoles de formation professionnelle (L’ÉDQ, STDT, Ballet National). Il a dirigé et dansé dans sa compagnie, Shème danse, au Saguenay. Sa carrière d’interprète s’est poursuivie à Montréal où il a obtenu des contrats en passant des auditions et en prenant des classes professionnelles.

 

Le Grand Théâtre de Québec et La Rotonde présenteront Fluide les 11-12-13 novembre prochain dans la salle Octave-Crémazie.

 
 

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Chroniques du regard 2012-2013, no 3 : Le mentorat

Cette année encore, les jeunes chorégraphes présenté(e)s par La Rotonde dans le cadre d’Émergences chorégraphiques sont associé(e)s, dans leur processus de production, à une personne d’expérience : un mentor chorégraphique. Cette année, le rôle m’échoit. J’en suis ravi car, en plus du plaisir de travailler avec ces jeunes artistes, cela me donne un excellent sujet de chronique.

Le virage mentorat est de plus en plus présent, autant dans l’administration publique que privée, chez ceux qui ont le souci du développement de leurs ressources. Il est aussi mentionné et encouragé dans le Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021, publié par le Regroupement Québécois de la danse ainsi que dans le Plan de développement de la danse professionnelle à Québec, plan quinquennal publié par le Conseil de la culture des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Dans le but d’une compréhension commune, le rôle de mentor mérite d’être circonscrit. Nadeau et Labre(1), dans un court texte très éclairant, illustrent trois rôles très proches l’un de l’autre qui sont parfois confondus: coach, mentor ou tuteur. Selon ces auteurs, c’est à travers les questions posées par l’accompagnateur que le rôle se définit.

Pour le coach, la question pourrait être: «Comment puis-je vous être utile dans votre recherche de devenir meilleur?» Ici, le coach ne se pose pas comme étant un expert dans le contenu à développer, mais plutôt comme expert dans le processus de développement de la personne face à ses difficultés. L’accompagnement s’y retrouve structuré autour d’objectifs précis de développement ainsi que d’indicateur de résultats.

Pour le tuteur, la question pourrait être: «Comment pouvons-nous nous entraider?» Elle implique une relation d’entraide et une coopération spontanée. Ce type de relation se retrouve surtout entre des personnes de même niveau, qui pourront se faire progresser mutuellement.

Pour le mentor, la question pourrait être: «Comment puis-je vous aider à progresser?» Elle vise un transfert de connaissances et d’expériences pour permettre l’avancement, tant sur le plan personnel que professionnel de la personne accompagnée. Le mentorat implique le développement d’une relation de confiance mutuelle et un intérêt réel du mentor envers son protégé. Le mentor conseille et transmet ses savoirs. Il injecte dans la relation le meilleur de ses expertises, expériences et connaissances.

Dans le cadre du mentorat chorégraphique offert aux jeunes artistes par La Rotonde via Première Ovation, l’approche est transgénérationnelle et vise directement la préparation d’un spectacle. (Il faut noter que le mentorat s’applique aussi, parfois, dans un travail de recherche ne menant pas nécessairement à une production scénique.) Le développement professionnel et personnel de ces jeunes arrivants dans le milieu artistique professionnel de Québec est la principale visée du processus d’accompagnement.

En premier lieu, le travail du mentor chorégraphique consiste à accompagner les jeunes en studio, à les questionner pour qu’ils puissent d’abord bien saisir l’ampleur et les limites de leurs projets. Deuxièmement, il cherche à pousser leur réflexion pour qu’ils puissent arriver à mieux définir le propos spécifique de leur œuvre et concentrer leur point de vue. Ensuite, son travail consiste souvent à encourager les chorégraphes débutants à élaborer et pousser plus loin leurs idées de base. Il les aide à trouver les manières idéales de présenter sur scène l’incarnation de leurs idées et concepts. Enfin, et surtout, le travail du mentor consiste à offrir à tous les participants (chorégraphes, interprètes et collaborateurs) un miroir visant l’acquisition d’habitudes de travail fonctionnelles, efficaces et rentables.

Le thème commun pour beaucoup de mentors est qu’un mentorat productif ne commence pas par les réponses, mais plutôt par les questions justes.(2) Les commentaires et suggestions du mentor doivent faire fi de ses propres préférences esthétiques. Tout en dirigeant l’autre, le mentor doit se questionner lui-même et toujours garder en filigrane le respect de l’œuvre artistique en construction. Il n’est pas là pour imposer sa manière de faire, son style ou ses préférences. Et même si sa tâche comporte des éléments d’enseignant et de guide, la personne accompagnée n’a pas à être nécessairement d’accord avec les conclusions du mentor.

Il faut donc trouver les questions justes. Laisser émerger la «vérité» de la chorégraphie en construction. Parfois obliger le chorégraphe à se délester de certaines idées et l’amener à regarder froidement ce qu’il a devant les yeux, lui permettre d’en disséquer les éléments déjà présents pour y saisir l’essence du mouvement.

Des programmes de mentorat chorégraphiques existent un peu partout.(3) Ils sont offerts dans différents cadres et servent toujours le mêmes buts: croissance artistique, encouragement, stimulation de la communication d’une génération à la suivante. Le soutien aux jeunes artistes est idéalement offert avec conseils et support financier.

Les périodes de mentorat sont des occasions idéales pour courir des risques, pour apprendre et grandir. Elles sont le cadre idéal pour parler des nuances et des détails impliqués dans le développement d’une chorégraphie mais aussi dans l’apprentissage d’un métier. Les éléments abordés sont précieux et fragiles. Ils demandent un grand doigté mais leur examen est essentiel car la suite du travail, et peut-être même de la carrière, peut en dépendre.

 


(1) Coaching, mentorat, tutorat… Quelle est la différence?
Michel Nadeau, ACC et Danielle Labre CRHA. La presse, 11 décembre 2010

(2) What does it mean to have — and be — a choreographic mentor? Mary Ellen Hunt

(3) Différents programmes de mentorats:

NEW DANCE UK DANCERS’ MENTORING SCHEME

Alexandra Beller / Dance – Mentorship

The Cultch’s Ignite! Mentorship Program

The Dancer’s Mentor

 


Pour en savoir plus:

Le mentorat, la solution miracle?, article de Anaïs Chabot, publié dans La Presse, le 12 octobre 2010

Mentorat: à quoi s’attendre?, article deMartine Letarte, collaboration spéciale, publié dans La Presse, le 10 avril 2010

«Un « Donnez au suivant » professionnel», article d’Annie Drolet, publié dans La Presse, le 17 mai 2009

MENTORAT CULTUREL: INSCRIVEZ-VOUS AVANT LE 28 SEPTEMBRE 2012, paru sur le site du Conseil des arts de Montréal

Chroniques du regard 2012-2013, no 2 : Political Mother de Hofesh Shechter

Un spectacle à voir absolument.
Une excellente façon de s’initier à la danse contemporaine.

1. Danse politique ?

Il y a une dizaine d’années, j’ai participé à un séminaire intitulé Danse et socio-politique lors de mes études de maîtrise en danse à l’UQAM. J’ai pu m’y familiariser, sous la supervision de Iro Tembeck, historienne et grande intellectuelle, à une manière d’aborder la danse dans une approche transversale, tenant compte d’une foule d’aspects pouvant influencer tout autant la genèse et la création chorégraphique que le développement et la mise en marché des œuvres.

Ainsi, lorsqu’une œuvre intitulée Political Mother croise mon chemin, que son créateur est un Israélien vivant en Angleterre et que, de plus, cette chorégraphie arrive avec une aura de succès international, mes oreilles se dressent et ma curiosité s’avive. Tout d’abord parce que, depuis quelques années, les danses qui arrivent en provenance d’Israël résonnent très bien chez le public d’ici qui accueille cette danse avec enthousiasme, s’y reconnaissant dans sa fougue, son énergie vitale, son côté actuel et innovateur. Le public de Québec a déjà pu apprécier, au cours des dernières années, les œuvres de Sharon Eyal et Ohad Naharin, ainsi que la compagnie Batsheva, pour laquelle a dansé Hofesh Schechter.

Pour un bref survol historique de la danse en Israël : Blogue de VÉRONIQUE CHEMLA / « Let’s dance ! Israël et la danse contemporaine » de Gabriel Bibliowicz et Efrat Amit

Deborah Friedes Galili, auteure du livre Contemporary Dance in Israël offre aussi le site Dance in Israel

Pour des nouvelles récentes :
CARNETS DE TEL AVIV #04 : DANSE CONTEMPORAINE EN ISRAËL
CARNETS DE TEL AVIV #05 / DANSE CONTEMPORAINE EN ISRAËL (2) : EMANUEL GAT, YASMEEN GODDER, RENANA RAZ, ET NOA WERTHEIM… LÂCHENT LES RÊNES

2. Shechter apolitique ?

Depuis son départ d’Israël pour s’installer en Angleterre, il y a une décennie, Hofesh Shechter, qui a composé la musique et chorégraphié le spectacle Political Mother, a connu un succès fulgurant et est devenu l’un des incontournables du monde de la danse contemporaine. Même s’il insiste sur le fait que son travail est apolitique et qu’il ne veut pas donner de leçons à qui que ce soit, son expérience et ses histoires de vie colorent ses créations. Shechter s’intéresse à des sujets difficiles et rarement abordés aussi directement dans les spectacles de danse: guerre, terrorisme et résistance politique. L’individu y est présenté sur scène comme élément d’une masse qui lutte, en quête de liberté, en combat contre l’oppression et «le système» et surtout contre la propagande. «Je l’ai éprouvé très jeune dans la vie – dans la famille et le pays où j’ai grandi, comprenant lentement la situation autour de moi. La propagande était partout… Tout le monde veut toujours vous vendre un truc – l’Ouest, l’Est, le monde arabe… Vous vous rendez compte que vous n’avez aucune idée de la vérité, de la réalité.» 1 Dépréciant l’égoïsme et l’avidité inhérents à toute propagande, il réalise dans Political Mother, une œuvre qui mélange ingénieusement répétitions de guerre, danses folkloriques israéliennes et rituels religieux. Tout cela en espérant que son travail ne soit pas la représentation d’une seule culture.

Sans prendre position pour ou contre ce qu’il amène sur scène (ce qui est déjà une prise de position en soi), il espère que le public connecte à ses spectacles parce qu’il y traite ses sujets simplement, à travers les émotions humaines et universelles reconnaissables par tous. Ce faisant, la danse de Schechter tire plusieurs de ses sources dans la culture populaire. Les positions de corps présentées sont riches, leurs interprétations variables. Un des thèmes gestuels de cette chorégraphie, les mains au-dessus de la tête, suggère parfois l’allégresse et l’adoration, parfois la supplication ou la reddition, parfois même la zombification des masses. Certains autres gestes, qui peuvent sembler bruts et primitifs, prennent toutes leurs forces dans la répétition et le martellement de groupe. Ils deviennent invitation à se joindre au groupe, dans cette danse énergique aux multiples ramifications.

3. Et la mère dans tout cela ?

Le titre porte un indice qui peut aider à saisir l’état d’esprit de la chorégraphie. Les mots «politique» et «mère» y sont en relation bizarre, surtout que l’auteur ne veut pas faire de politique, tout en s’amusant à en faire le titre de la chorégraphie! Toutefois, on peut y voir une forte connexion entre les deux termes. Ils intègrent en leurs significations même un sens de servitude: la politique formant les individus pour servir un système tandis que la maternité, faisant référence à quelqu’un qui se soucie et prend soin, oblige aussi, d’une certaine manière, une obéissance à ses lois et dictats. Dans le spectacle, on assiste en fait à la «juxtaposition de deux concepts – la mère et l’état – soulignant le sens de la dette due aux parents… Quand vous grandissez, vous avez d’abord vos parents, vos frères, vos sœurs, une famille. Et vous avez ensuite une tribu, qui vous donne elle aussi le sens de l’appartenance, le sens de la dette. Enfin, nous avons des nations et des pays. C’est en ce sens que j’ai trouvé la connexion entre la politique et la maternité (ou la condition parentale).» 2

Sujets de discussion :
1. Quelle est la différence entre LA politique et LE politique ?
2. “Not taking side, is that a political statement?” 3


1 Extrait de Time Out London – Interview: Hofesh Shechter (traduction libre)
2 Extrait de Los Angeles Times Blog : Dance review: Hofesh Shechter’s ‘Political Mother’ at UCLA Live (traduction libre)
3 Question posée par Hofesh Schechter dans l’entrevue : Skins “Maxxie Dance” (Max est un des personnages dans la série de télévision britannique Skins, que l’on peut voir entre autres sur TOU.TV)

Chroniques du regard 12.13, no. 1 – Complexe des genres

Première à nous présenter son œuvre cette année, Virginie Brunelle est une chorégraphe talentueuse qui, avec sa compagnie, entreprend cette année une première tournée québécoise. Comme beaucoup de ses jeunes collègues, elle fait partie d’une relève qui a fait ses classes à l’université. Elle ne fait donc pas partie d’une génération spontanée de créateurs, comme le public semble généralement le croire, mais découle plutôt des travaux de ses prédécesseurs. Elle reconnait spontanément l’influence de plusieurs chorégraphes montréalais actuels, Dave Saint-Pierre et Daniel Léveillé entre autres. Pour ma part, j’irais plus loin, la reliant jusqu’au Paul-André Fortier des années 1980 et aux bouillonnements effervescents du groupe Nouvelle-Aire des années 1970.

Ses spectacles sont très dansés, athlétiques et énergiques. Ils se situent dans un courant montréalais assez proche de la danse-théâtre «apparue au milieu du XXe siècle, en Allemagne avec l’expressionnisme allemand (…) sous le nom de Tanztheater. C’est Pina Bausch et sa compagnie le Tanztheater Wuppertal, qui en furent dès 1974 les grands promoteurs en Europe. Dans les années 1980, la nouvelle danse française a oscillé entre danse-théâtre et théâtre dansé, mettant l’accent tantôt sur une discipline, tantôt sur l’autre.» (Extrait de Wikipedia, projet d’encyclopédie collective établie sur Internet.)

Suivant cette lignée, les chorégraphies très actuelles de Virginie Brunelle permettent l’existence et l’expression de personnages dans des situations «dramatiques». Dans Complexe des genres, selon les différents tableaux, Brunelle essaie de mixer l’approche concise, crue et clinique de Daniel Léveillé avec la narrativité de Pina Bausch (voir les liens vidéos). La scénographie y est dépouillée. On retrouve sur scène des personnages qui se débattent principalement pour établir des relations de couple.

Les rapports à l’autre y sont souvent présentés de manière archétypale. L’autre, dans ce cas-ci, c’est le membre du sexe opposé, celui qui pourra devenir partenaire. Les tensions et les ambiguïtés des rapports sont dansées à travers des mouvements à caractère cru et émotif. Les très nombreux portés semblent souvent périlleux. Ils présentent la femme toujours prête à s’abandonner, à se mettre en danger et à la merci des hommes. Les partenaires sont souvent interchangeables. Les histoires de l’un peuvent être continuées avec un nouveau partenaire, ou par un autre duo qui vient prendre la place du premier.

Un spectacle à voir et à discuter avec vos partenaires potentiels ou actuel(s)!

Liens Internet
Attention : Scènes de nudité

Entrevue Virginie Brunelle à l’émission «Mange ta ville» à propos du spectacle Les cuisses à l’écart du coeur

Extrait de la chorégraphie « Complexe des genres »

Un exemple du travail de Daniel Léveillé

Bande annonce du film de Wim Wenders « Pina »

Intégrale du nouveau spectacle sans titre de Dave St-Pierre

Pour le plaisir, un duo plus classique de William Forsythe

À lire: «Danse contemporaine et théâtralité» (1995) de Michèle Febvre.

 

Voir la page du spectacle Complexe des genres

Chroniques du regard de La Rotonde, ma deuxième saison

Cette année encore, pour ma deuxième série de chroniques du regard, je partagerai avec vous une passion. Une fois de plus, avant la présentation de chaque spectacle, j’aurai le privilège de m’arrêter à ceux-ci pour y extraire certains éléments de base qui supporteront une réflexion élargie sur un univers très complexe et très simple à la fois: celui de la danse contemporaine.

Chaque spectacle, chaque créateur présenté lors la saison 2012-2013 pourra déclencher en moi ces réflexions et j’en partagerai les résultats avec vous. Les thèmes des spectacles, les façons d’aborder un sujet et les méthodes de création seront mes sujets de prédilection et cet automne, de manière plus spécifique, je parlerai de filiation des genres, de l’émergence en art, de la danse dans un contexte socio-politique, de mentorat et de l’écologie du milieu de la danse.

L’univers de la danse contemporaine en est un de mouvements. Il peut s’exprimer dans une panoplie de genres et de styles. La danse peut prendre une multitude de formes et les spectacles, un assortiment de formats. Les représentations de danse demandent parfois un abandon total de la part du spectateur ou, à l’opposé, gagnent à être accompagnées d’un effort de compréhension intellectuelle. Une variété de regard peuvent être posés sur la danse: parfois historiques, parfois critiques, contenant parfois des notions d’esthétique et de philosophie…

 

Pour ma part, au-delà des sautes d’humeur ou des mouvements instinctifs que peuvent provoquer chez moi certains spectacles, au-delà des courants qui teintent toute une série de productions, je tenterai encore cette année de réfléchir pour trouver différentes manières d’accompagner consciencieusement les spectateurs. Accompagner tout autant les personnes qui entreront pour la première fois dans une salle de spectacles pour assister à une présentation de danse contemporaine que les spectateurs fidélisés qui pourront suivre dans leur évolution certains chorégraphes et danseurs aperçus lors des saisons précédentes de La Rotonde.

Tout au long de la saison, les chroniques seront forgées de ma subjectivité, nourries et aiguisées par mes expériences de créateur, d’enseignant et de spectateur aguerri. Mon regard, je l’espère, sera toujours aimant.

 

 

Lire la chronique à propos de Complexe des genres

Chronique no 8 – Ganas de vivir

Pour ma dernière chronique de la saison, je vous entretiendrai du spectacle d’Élodie Lombardo, co-directrice de la compagnie Les sœurs Schmutt. Tout en présentant le spectacle Ganas de vivir, je ferai des liens avec quelques autres spectacles vus cette année, essayant d’en rappeler les bons souvenirs tout en détaillant certains éléments observables qui font qu’une œuvre de danse soit se distingue d’une autre, soit se rattache à un style de création, une esthétique, un mode conceptuel ou représentationnel.

La saison 2011-2012 de la Rotonde a été de grande qualité, construite avec pertinence et cohérence, riche en diversité de styles et de genres. Elle a amené au public de Québec des œuvres d’origines diverses, autant locales qu’internationales, créées par des chorégraphes de différentes générations et présentant des feuilles de route souvent impressionnantes. En identifiant certains éléments du prochain spectacle et en les reliant aux spectacles précédents, vous pourrez organiser ces connaissances pour aiguiser encore plus votre œil de spectateur et pour peut-être développer votre cadre d’analyse de la danse et de ses composantes, si vous cherchez à mieux comprendre l’univers de la danse contemporaine.

Ganas de vivir est une chorégraphie de groupe créée en collaboration avec les huit interprètes. Mélangeant danse et théâtre, cette chorégraphie est présentée dans une scénographie élaborée. Accompagnée de chants et de musique jouée sur scène, elle est une espèce de danse macabre inspirée de séjours multiples au Mexique et de la relation qu’établissent les personnes de culture mexicaine et espagnoles avec leurs morts et avec la mort elle-même, une relation beaucoup plus légère que celle vécue au Québec. Une danse de la mort qui traite surtout de la vie, dans une ambiance irrésistiblement festive.

 
 

Tout en étant unique en son genre, Ganas de vivir possède des éléments que nous pouvons relier à d’autres spectacles vus en cours de saison. Comme la chorégraphie de Crystal Pite (The You Show), Ganas de vivir est un spectacle très dansant. Il nous transporte dans un univers captivant, dans lequel il est impossible de s’ennuyer. De plus, ce dernier possède une touche d’humour ainsi qu’une étrangeté irrésistible. Comment ne pas s’intéresser à ces personnages qui sont frôlés par « la mort », personnifiée par une Caterina que nous ne connaissons pas sous cette forme au Québec mais dont nous reconnaissons l’archétype au premier coup d’œil?

La chorégraphie de groupe a été créée en collaboration avec les huit interprètes. C’est un mode de création très courant en danse contemporaine, retrouvé dans S’envoler d’Estelle Clareton ainsi que dans la chorégraphie S de José Navas, tel qu’expliqué dans ma chronique Petit guide de lecture chorégraphique (décembre 2011). De plus, le questionnement à la base de la chorégraphie de Clareton (l’idée de migration et de mélanges culturels) a aussi porté Élodie Lombardo dans son processus créatif, elle qui a créé ce spectacle dans un mélange de langues et de cultures, autant au Mexique qu’au Québec, en compagnie d’interprètes de trois continents. Enfin, comme dans S’envoler, nous retrouvons aussi dans cette une danse un groupe en train de se créer des rituels.

Si on essaie de relier Ganas de vivir au spectacle de Louise Lacavalier, nous pourrons retrouver chez les interprètes le même plaisir de jouer qui était présent dans la chorégraphie Children de Nigel Chamock. Ici, cette légèreté presqu’enfantine est présentée avec des costumes et accessoires qui rappellent certaines bandes dessinées.

Enfin, très important, et précieux quand ça arrive, la musique de ce spectacle est en direct. La présence sur scène du musicien-compositeur Guido Del Fabbro et la participation des interprètes à la musique et aux chansons est une importante composante du spectacle et, dans ce cas-ci, une excellente valeur rajoutée. Rappelez-vous l’importance et la place accordées aux musiciens dans les spectacles el12 de Myriam Allard et Hedi Graja et dans Ma sœur Alice de Daniel Bélanger. Rappelez-vous comment la musique en direct joue sur l’impact émotif de la réception d’un spectacle.

Les quelques éléments identifiés ici vous aideront peut-être à saisir le spectacle Ganas de vivir d’un œil plus affuté. En les nommant pour que vous puissiez vous les approprier, je vous encourage aussi à participer aux discussions avec les artistes qui sont organisées après les spectacles chaque vendredi de représentation. Une chance de faire entendre votre voix et d’entendre les artistes de la danse articuler leurs discours dans des mots.1

En terminant, je profite de l’occasion pour vous inviter à relire mes chroniques précédentes et à y réagir. Je vous encourage aussi à continuer à explorer l’univers de la danse contemporaine qui est, comme aurait pu le dire Rostand : «C’est un roc!… c’est un pic!… c’est un cap! Que dis-je, c’est un cap?… C’est une péninsule!». Et, fidèle à ma bonne habitude, je partage avec vous quelques liens Internet plus ou moins directement reliés au spectacle. Ils sont là pour vous donner des pistes, pour attiser votre curiosité et pour vous donner des compléments d’information. Et puisque la force principale d’Internet, c’est le réseautage, de ce pas, je vous envoie ailleurs…

Concernant les rituels entourant la mort dans les civilisations mexicaines et espagnoles:
La mort au Mexique
– Les Espagnols, eux, avaient l’habitude de venir dans les cimetières pour y déposer du pain, du vin et des fleurs pour la Toussaint. Voir le début du film d’Almodovar Volver (2006), ainsi que les 3 premières minutes du Making of (en espagnol)
La danse de la mort (originaire du XIVe siècle) présentée durant la semaine sainte en Espagne. (Version de 2010)

Pour le plaisir:
La danse des squelettes de Walt Disney (1929)
BABELZONE – La chanson des squelettes

Une danse de mort pour les amateurs de ballet classique
Maya Plisetskaya à 61 ans qui danse “La mort du cygne”

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1. Comme a su si bien le faire la chorégraphe Mélanie Demers lors de l’événement Nous du 7 avril 2012

 

 

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Le spectacle Ganas de vivir fait partie de la programmation de l’évènement
Québec Juntos / Ensemble coordonné par Rhizome