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Chroniques du regard 2013-2014, No4: Bach : le mal nécessaire de Mario Veillette

aDSC01666La longue traversée : Dans cette chronique du regard, l’objet observé est mon propre spectacle « Bach : le mal nécessaire ». Cette fois-ci, mon regard est donc porté sur un produit qui m’habite depuis des mois et sur une chorégraphie que je connais par cœur. Je porterai un regard autoréflexif et parlerai surtout du processus artistique et créatif qui m’a permis d’amener le projet à terme. « La longue traversée » est le titre d’une section du spectacle. Ce titre sied aussi très bien au processus de création ayant mené au spectacle.

Amorces : La recherche, basée sur la musique de Bach, a été amorcée il y a trois ans. Elle s’est ensuite poursuivie par intermittence (dans une série de rencontres allant de 2 à 10 jours) avec différents groupes d’interprètes plus ou moins familiers avec mon œuvre. Finalement, elle  nous a conduits jusqu’à une résidence de création-production en septembre dernier, dans la Salle Multi de Méduse, le lieu qui accueille le spectacle final.

Ce ne sont pas tous les créateurs qui travaillent de la même manière mais, pour ma part, j’ai toujours les antennes un peu ouvertes et, quand une idée créatrice surgit (thèmes de chorégraphie, format de spectacle, méthodes de travail, …), je la prends en note et la garde en réserve pour utilisation éventuelle dans un futur projet. Quand un projet se matérialise, je commence par fouiller dans mes notes. Lorsque j’ai pris la décision de travailler sur la musique de Bach, j’ai donc commencé par rechercher quels fils s’étaient tendus malgré moi pendant que ma créativité était en jachère, entre deux projets concrets. Ces fils ont ensuite été triés et ramassés pour devenir piste. Il fallait ensuite clarifier la piste, l’éclairer, la débroussailler, s’y attacher, la suivre, l’élaguer, en faire une autoroute. En cours de recherche, il aura ensuite fallu tester la piste (directions, forces d’attraction, capacités évocatrices), ajouter les éléments manquants, vérifier mes capacités d’adaptation au projet ainsi que la viabilité (faisabilité) de celui-ci.

Départ : Dès le départ, je voulais travailler avec la musique de Bach, dans des arrangements classiques, mais aussi avec des arrangements faits par un compositeur contemporain (qui serait sur scène avec les danseurs ou pas? La question s’est posée.).  Je voulais également travailler l’idée d’un groupe de personnes. Pour moi, sept était le nombre idéal de participants. Enfin, dès les premières rencontres, la décision fût prise de tout miser sur la danse, donc de garder la scène nue : pas de décor, pas de projections, pas d’accessoires, pas de scénographie, … comme dans mon spectacle précédent « Père et mère ».

J’aime prendre mon temps lors des recherches et créations. J’aime aussi prendre du recul entre les sessions de travail, question de renouveler mon regard. Il fût donc décidé assez tôt qu’on se rencontrerait en plusieurs étapes, pour des durées différentes, à préciser chaque fois selon les besoins et, surtout, tenant compte qu’il fallait accorder les horaires de 8 pigistes.

Affluents : Tout en travaillant sur les chorégraphies du spectacle (en collaboration avec les danseurs), j’ai eu la chance de faire partie du comité de professionnels qui se rencontrait périodiquement afin de développer la charte des compétences du métier de chorégraphe[i]. Cette recherche affutait ma vigilance en studio et dans la préparation/mise en œuvre de la chorégraphie. Je pouvais dorénavant nommer clairement mes activités et leurs tâches associées tout en identifiant mes forces et mes faiblesses. En puisant dans la liste des onze champs de compétences, je pouvais me répéter le mantra : « Un chorégraphe doit être capable de … »[ii]

Tout au long du travail, je me suis aussi parfois référé aux guides classiques de création chorégraphique, quelques-uns plus anciens traitant surtout de la danse moderne (The Art of Making Dances de Doris Humphrey; L’outillage chorégraphique de Karin Waehner ) ou d’autres plus récents (les leçons de William Forsythe[iii] à partir d’improvisations). Mais comme mon entraînement de chorégraphe à l’Université Concordia m’a surtout outillé en création post-moderne, disons que beaucoup de mes outils sont inspirés de Merce Cunningham (collages, intervention de la chance et du hasard, contraintes conceptuelles visant éventuellement l’organicité du mouvement, etc.).

Je suis aussi retourné visiter l’œuvre de chorégraphes qui sont inspirants pour moi : Lin Hwai Min[iv] pour ses fabuleux mouvements de groupe et la simplicité de son travail, Saburo Teshigawara[v] pour sa recherche qu’il nomme parfois post-butô et la grande Maguy Marin[vi] pour la connexion entre mes thèmes et les siens, en particulier entre mon projet Bach et sa chorégraphie Points de fuite.

Produit : Une fois le projet amorcé, c’est lors des rencontres en studio (mon étape préférée) que le plaisir a débuté et que les découvertes ont commencé à se faire. Un  projet artistique, pour moi, doit porter sa grande part de nouveauté et d’inconnu car un projet dont le résultat est exactement ce à quoi on avait rêvé est signe qu’on n’a pas été attentif ou sensible aux accidents de parcours. Ils ne peuvent qu’enrichir le projet de celui qui sait bien les canaliser et je crois fermement qu’un travail de création n’est pas une voie pavée qui mène au Royaume d’Oz (la « Yellow Brick Road » toute tracée d’avance qu’on n’a plus qu’à suivre).

Quand je regarde ma planification originale, j’y retrouve des segments qui ont été travaillés en studio puis abandonnés, pour finalement revenir plus tard. J’y retrouve aussi des segments travaillés qui ont été évacués du projet et remisés pour une éventuelle utilisation future ainsi que des segments tués dans l’œuf. D’autres enfin qui sont apparus comme par magie lors des différentes improvisations ou recherches.

Des surprises, il y en a plein dans le spectacle final : beaucoup de courses, des utilisations inédites des voix et des sons, une théâtralité qui peut provoquer des malaises. On retrouve aussi des portés surprenants, des actions de prime abord anodines mais qui prennent une signification nouvelle, des relations riches en rebondissements dramatiques et des situations parfois loufoques.

Le tout est inclus dans une présentation (de 64 minutes, en 5 sections) qui mise sur la puissance du geste et de la simplicité. Une présentation qui ne cherche pas l’intensité mais consciente que cette intensité se dévoilera bien toute seule dans la vérité du geste.

Pour terminer, je me permets de paraphraser Picasso : la confection (de ce spectacle) n’a pas été très longue mais la préparation m’a pris toute une vie.


 

[i] Le Regroupement québécois de la danse (RQD), en collaboration avec le Conseil québécois des ressources humaines en culture (CQRHC), publiait récemment le Profil de compétences du chorégraphe. Préparé par 19 chorégraphes-experts et un comité consultatif, le document se penche sur onze champs de compétences propres au métier de chorégraphe. Il vise notamment l’actualisation et la bonification des programmes de formation de niveau supérieur en création chorégraphique.
https://www.quebecdanse.org/images/upload/files/ProfilCompetencesChoregraphes.pdf

[ii] Onze champs de compétences, professionnelles et générales, qui représentent une fonction ou une responsabilité majeure dans le métier ont été ventilées en énoncés de compétence pour être ensuite « décortiquées » en tâches spécifiques ou en habiletés. Par exemple : pour concevoir une œuvre chorégraphique (champ de compétence), une personne doit être capable de (énoncés de compétence) : 1. Puiser dans son imaginaire; 2. Identifier une ou des idées maîtresses; 3. Développer une idée maîtresse.

 

[iii] Il existe sur Youtube une multitude de vidéos sur les techniques d’improvisation de Forsythe. Il aussi intéressant de l’entendre discuter de ses chorégraphies, comme par exemple sur  Synchronous Objects au https://youtu.be/xqlq3q5RMrc     (09 : 33)

[iv] Lin Hwai Min : (Compagnie Cloud Gate Dance Theater of Taïwan)
« Oculus » :  https://youtu.be/j2IgVWQ6Cy8    (10 : 11)
« Moon Water » :  https://youtu.be/LgP4YY4Ko8M    (04 : 14)

 

[v] Saburo Teshigawara :  Compagnie Karas  (post-butô)
« Para-Dice » :  https://youtu.be/AzTEt5s7B8A    (24 : 33)
« Mirror and Music » :  https://youtu.be/qrnz7641cBE    (01 : 07)

 

[vi] Maguy Marin :
« May b » :  https://youtu.be/_pVc210o-eY    (08 : 18)
« Groosland » :    https://youtu.be/J_KWpbXsNG I  (06 : 45)
« POINTS DE FUITE », réalisation Luc Riolon https://vimeo.com/40446304   (19 : 32)

Chroniques du regard 2013-2014, No3: compagnie Virginie Brunelle, Foutrement de Virginie Brunelle

foutrement-compagnie-virginie-brunelle-photo-tobie-marier-robitaille-cropUn an après nous avoir présenté Complexe des genres, Virginie Brunelle revient à Québec avec sa compagnie de danse. Cette fois-ci, pour présenter Foutrement, créé en 2010, un trio d’une grande intensité conjuguant danse et théâtralité. Cette chorégraphie d’environ une heure a déjà été présentée à maintes reprises depuis sa création et a aussi profité de quelques tournées : Maisons de la culture de Montréal, quelques villes d’Europe et Jeux de la francophonie (2009, au Liban, dans une version initiale).

Foutrement traite de l’infidélité à travers un énergique triangle amoureux : un homme et deux femmes s’entre-déchirent tout en cherchant inlassablement l’amour. Présentée en six tableaux aux ambiances lumineuses et musicales changeantes, sur une scène presque vide, la chorégraphie est composée de nombreux portés et utilise une gestuelle athlétique aux influences classique et contemporaine. La gestuelle est souvent empreinte de rage mais accompagnée d’une trame sonore très douce qui prend littéralement son sujet à contre-pied. Les costumes sont extrêmement simples : «Ça allait aussi très bien avec le thème de l’infidélité. Je voulais aller vers quelque chose de plus osé qui dévoile ouvertement les formes» [i], précise la chorégraphe.

Une chorégraphie dont on a loué le thème direct et cru : « À travers l’aventure sexuelle, l’illusion de l’amour persiste, le doute se mêle au désir et l’attirance devient obsession. Quand la passion l’emporte sur la raison, la confusion mêle amour et sexe, le jeu de la séduction s’ajoute au jeu de l’interdit. Tous en jouissent; tous en souffrent. »[ii] À la création du spectacle en 2010, les critiques dénotent un spectacle généralement très bien reçu malgré un bémol « Portés hauts et violents, chairs qui se fouettent, simulation de coït, mouvements de bassin, mains aux fesses et aux seins, souffles forcés: le matériau chorégraphique est très limité… Les interprètes tiennent la pièce avec fougue. Mais comme Brunelle retire l’affect pour exposer le sexe, sans érotisme et sans désir, le spectateur finit par se désintéresser de ce sacrifice affectif vain. »[iii] Comme tout artiste vigilant, Brunelle a su tenir compte de la réception du public ainsi que des commentaires et critiques en retournant en studio pour peaufiner la plus récente version de sa chorégraphie (version 2012 du Théâtre Quat’Sous), celle que nous verrons ici.

À vous maintenant de faire votre propre idée de la première œuvre longue, qui se veut très émouvante, de la chorégraphe Virginie Brunelle, souvent citée comme membre d’une génération montante de chorégraphes montréalais à surveiller. Des chorégraphes qui travaillent sur des thématiques très actuelles et qui savent faire un « mélange bien dosé de l’esthétique classique ponctué de trash contemporain ».[iv]

Questions d’esthétique

Souvent, je me fais demander si je fais de la critique. Hé bien, non, pas encore ! Mes chroniques peuvent parfois s’en rapprocher mais restent plutôt dans le domaine de l’esthétique, une branche de la philosophie qui, souvent, découle de l’histoire et parfois, mais pas nécessairement, précède la critique. Tout en présentant les faits concernant un spectacle, j’essaie d’en comprendre les composantes pour en décoder la construction. Je partage ensuite mes observations avec vous, spectateurs-lecteurs de chroniques, afin de vous donner des clés d’observation et de vous aider à développer votre « œil de spectateur » et vos capacités de mettre en mot l’analyse (peut-être inconsciente) que vous faites déjà en assistant à un spectacle de danse contemporaine, cet art si souvent décrié comme étant hermétique et inaccessible au commun des mortels.

Cette analyse peut être séparée en plusieurs étapes avant d’arriver, éventuellement, à une critique. La première étape en est une d’observation et de description, et tout le monde en est capable, même la personne qui voit de la danse pour la première fois.

Trop souvent, le spectateur ne veut pas nommer ses observations ou impressions, de peur de se tromper, de ne pas utiliser le bon vocabulaire, de devenir trop savant ou alors de démontrer son inculture. Les activités de discussion suivant les représentations du vendredi sont là, entre autres, pour permettre ces lieux d’échange et ouvrir un partage qui va plus loin que « j’aime, j’aime pas ». Sinon, une conversation plus privée peut tout aussi bien faire l’affaire. Et je le répète, tout le monde en est capable.

Donc, afin de continuer à vous donner les moyens pour devenir des spectateurs de danse contemporaine toujours plus outillés, je ne veux pas vous dire quoi regarder mais plutôt comment regarder… Il est possible de se poser quelques questions élémentaires en regardant l’exécution d’une chorégraphie. Vous connaîtrez les réponses à ces questions relativement simples en sortant du spectacle et elles pourront favoriser l’émergence d’une discussion fertile sur votre rapport au spectacle.

1.- Quelles informations trouvez-vous dans le programme? Que suggère le titre?

2.- Comment était organisée la suite de danse (solos, duos, mouvements de groupe)?

3.- Reconnaissez-vous des mouvements, des expressions ou des motifs gestuels qui reviennent pendant le spectacle?

4.- Quelles formations ou trajectoires avez-vous remarquées (lignes, cercles, diagonales ou autres)?

5.- Comment pourriez-vous qualifier les mouvements utilisés (vigoureux, doux, maladroit, fluide, clair et précis, chaotique, détendu, pressé) ?

6.- Quels sont leurs rapports entre les danseurs? Comment se touchent-ils entre eux?

Cette étape de description pourrait être suivie d’analyse et ensuite d’évaluation (critique). Ces étapes seront détaillées plus tard, dans d’autres chroniques. D’ici là, ouvrez l’œil mais gardez aussi une place à votre sensibilité et aux émotions ressenties, c’est souvent là que vous serez touchés en premier.

Chroniques du regard 2013-2014, No2: Coup de Cœur Francophone et PPS Danse, Danse Lhasa Danse

danse-lhasa-danse-pps-danse-coup-de-coeur-francophone-photo-filippa-lidholmDanse Lhasa Danse est une création originale du chorégraphe Pierre-Paul Savoie en hommage à la chanteuse Lhasa De Sela. La chanteuse, auteur-compositeur et interprète (1972-2010) s’est profondément inscrite dans le paysage musical québécois malgré une trop courte carrière interrompue par un cancer alors qu’elle n’avait que 37 ans. Sa disparition a laissé un vide immense dans le cœur de ses amis et admirateurs mais son œuvre reste : trois albums de musique, dont le succès mondial La Llorona (1998) vendu à plus de 700,000 exemplaires.

Les compositions originales de Lhasa laissent filtrer leurs influences mexicaines ainsi que des accents tziganes et Klezmer. Elles ont été écrites en anglais ou en espagnol (ses langues d’origine) ou en français, sa langue d’adoption. À travers son œuvre, Lhasa a su marquer la scène musicale québécoise tout en allant conquérir le Canada, la France et de nombreux autres pays. Ses chansons, tout comme la soirée en hommage à l’artiste, arrivent à parler de choses essentielles avec beaucoup de justesse. Comme le souligne PPS en entrevue, ce spectacle « parle de la vie, mais aussi de la mort. Il parle de la grandeur de la vie. C’est un spectacle qui rend heureux, content d’être en vie … ».

Depuis sa création à Montréal et une première tournée en 2012, ce spectacle-événement a rencontré le succès partout où il a été présenté. Cette fois, en plus de s’arrêter de nouveau à Québec, la grande tournée de la saison 2013-2014 fera transiter les artistes de Laval à Halifax, bifurquant par la Côte nord, l’Ouest canadien, le bas du fleuve et le Nouveau-Brunswick…

La soirée se déroule tout en douceur, de manière informelle avec des enchaînements simples et efficaces. Chacun leur tour, les musiciens solistes, chanteurs ou danseurs viennent s’associer à une chanson pour la mettre en valeur par leurs talents d’interprètes. Tous travaillent dans un grand respect et on sent bien l’amour qu’ils portent à l’artiste et à son œuvre. Une fois le numéro terminé, ils sortent simplement de scène alors que d’autres rentrent. La soirée qui célèbre la disparue est éminemment agréable et sympathique et se déroule dans une atmosphère sereine.

Les danses qu’on peut y voir sont de tendances variées. Elles passent du flamenco contemporain à la danse néo-classique, empruntant parfois aux styles tango ou aux danses plus acrobatiques. Parfois nettement plus contemporaines, elles utilisent aussi un métissage d’éléments d’origines diverses, s’accordant parfaitement avec la musique de Lhasa de Sela, elle-même symbole d’intégration et diversité culturelle. Ce spectacle est par conséquent un excellent moyen de se familiariser avec un éventail de styles de danse contemporaine accessible, en plus de faire connaissance avec quelques compagnies montréalaises.

La direction artistique de l’évènement est assurée par Pierre-Paul Savoie et Louise Beaudoin, tandis que la direction musicale est de Denis Faucher.

Pour plus d’informations sur le spectacle :
ENTREVUE avec Pierre-Paul Savoie (directeur artistique) avant la tournée de 2012 : https://youtu.be/5L0xgG4y674   (04 : 50)

Pour mieux connaitre quelques artistes de danse qui participent au spectacle :
La compagnie La Otra Orilla, chorégraphies de  Myriam Allard,
(présentée durant la saison de La Rotonde 2011-2012):
dans El12 : https://youtu.be/1OfvfGYTmCk  (03 : 25)
et dans HomoBLABLAtus (2013) : https://youtu.be/daFJd-eiF3o   (03 : 10)
La compagnie Cas Public (chorégraphies d’Hélène Blackburn et Pierre Lecours)
(présentée durant la saison de La Rotonde 2012-2013).
GOLD :  https://youtu.be/n5cTJnTVi5A  (01 : 58)
VARIATIONS S : https://youtu.be/rp4x1vXSWRM   (01 : 17)
La compagnie Sinha Danse (Chorégraphies de Roger Sinha)
Loha (2000) https://youtu.be/8SnPR9MUFiE   (01 : 57)
Benches (2007)  https://youtu.be/UM4d4I1okeQ  (02 : 00)
Question de souffle et de vie (2011) : https://youtu.be/f_iWq4wn4PE   (02 : 01)
Sunya (2013) : https://youtu.be/o95YeEbnUs0  (02 : 00)
La compagnie Ezdanza (chorégraphies d’Edgar Zendejas) :
Extrait de Lhasa danse Lhasa : https://youtu.be/NG_C8rMEJuE  (01 : 12)
et https://youtu.be/60teXoKZRuU   (01 : 25)

Pour mieux connaitre les chanteurs du spectacle :
Lhasa de Sela – Pa’Llegar a tu Lado :  https://youtu.be/ThwGKsjiZiw   (06 : 51) Festival d’été de Québec 2005.

Bïa et Lhasa de Sela – « Los Hermanos » :   https://youtu.be/V-_xzh2f5UM   (03 : 36)

Alexandre Désilets à Mange ta ville : https://youtu.be/KOSWh5FzWeo   (03 : 48)

Karen Young, M. Donato, N. Lachapelle, É. Auclair – TVJazz.tv  https://youtu.be/M8lTjmJY8Eo   (02 : 16)

Alejandra Ribera – Goodnight Persephone (Official Video)  https://youtu.be/DK-_faGfwNs   (04 : 02)

Pour plus d’informations sur Lhasa de Sela :
France Culture : La route de Lhasa par Elise Andrieu et Celine Ters (59 minutes).
www.franceculture.com/emission-une-vie-une-oeuvre-la-route-de-lhasa-1972-2010-2011-03-13.html

CBC Radio :  She moves between two worlds, réalisé par Madonna Hamel (54 minutes). En anglais.   www.cbc.ca/radio2/insidethemusic/2011/01/07/listen-again-she-moves-between-two-worlds/

CBC Radio : Remembering Lhasa,  animé par Jim Corcoran (54 minutes). En anglais. www.cbc.ca/apropos/episode/2011/01/02/january-2-8-2011—remembering-lhasa/

Chroniques du regard 2013-2014, No1: compagnie Alan Lake Factori[e], Là-bas, le lointain d’Alan Lake

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 Ma troisième saison des chroniques du regard

Encore une fois cette année, j’aurai le privilège de partager avec vous le fruit de mes réflexions par rapport aux spectacles présentés par la Rotonde. Mes textes découleront d’un premier visionnement du spectacle et souvent d’une entrevue avec l’artiste chorégraphe. Dès maintenant et jusqu’au spectacle The Tempest Replica, qui clôturera la saison à la fin mai, je partagerai avec vous (et continuerai à approfondir) ma connaissance du milieu et de la pratique si riche de la danse contemporaine.

Les thèmes des spectacles, les façons d’aborder un sujet ou un concept ainsi que les méthodes de création sont toujours mes sujets de prédilection. Dans mes articles de la saison 2013-2014, les spectacles continueront d’être mis en contexte et situés dans leurs courants esthétiques, artistiques ou sociaux.

Je réitère ici que je n’essaierai pas d’expliquer en mots les danses et les spectacles car, tel que mentionné dans mes chroniques des années précédentes (toujours accessibles sur le site de La Rotonde), la danse est une expérience sensible/émotive/artistique qu’il vaut mieux faire en direct, en assistant aux spectacles dans leurs lieux de diffusion, avec les artistes vivants devant soi.

Pour continuer à faciliter votre contact avec les œuvres chorégraphiques, cette année encore, je poursuis plutôt mon offre de fenêtres, de clés, de portes, de couloirs et de ports d’accès permettant des rencontres fructueuses avec les différents spectacles.

Là-bas, le lointain 

Pour commencer la saison, l’ardent et passionné Alan Lake présente Là-bas, le lointain, une œuvre qui témoigne de sa double formation en danse et en arts visuels[1]. Spectacle chargé émotivement, en reprise 18 mois après sa création, cette œuvre multidisciplinaire traite surtout d’une présence échappée, d’une disparition énigmatique.

Quatre personnages habitent la scène, le plus souvent en solos ou en duos, rarement tout le monde ensemble. Les sections sont courtes et les interactions, surtout au début, se font alors que les visages des danseurs restent à l’abri du regard des spectateurs. Les thèmes exposés oscillent entre l’oubli et le manque. Souvent pendant le spectacle, les personnages s’étreignent et habitent un temps le même espace spatio-temporel mais ils semblent rester séparés, comme s’ils arrivaient de dimensions différentes. L’ensemble de l’organisation scénique renforce le concept en jouant avec ce qui est proche et ce qui s’éloigne, flottant entre la présence et l’absence, oscillant entre le départ et l’arrivée.

Le spectacle est de facture contemporaine puisque non strictement chorégraphique : on y retrouve tableau vivant, film, danse et installation. Chaque partie fait écho aux autres et l’esthétique se propage d’un médium à l’autre, par ricochets. La compréhension d’une séquence trouve écho dans une autre et le chorégraphe espère que la sensibilité du spectateur à une partie intégrera et éclairera les autres éléments du spectacle, dans une concordance qui les reliera les uns aux autres. Il espère que l’élément X d’une partie donnée, par une série de détours et d’empreintes, restera en mémoire et aura un effet sur l’appréhension de la suivante.

Les installations scéniques du spectacle sont lourdes et chargées, toujours présentes et peu mouvantes (manipulées à vue par les danseurs). Les corps dansants sont à proximité du public et les images filmiques sont présentées comme les témoins d’un autre temps, d’un autre lieu, mais dans une causalité évidente. Cet ensemble compose dans la perception du spectateur une espèce de paysage dont les limites de chacun des éléments semblent se dérober, se délayer ou s’interpénétrer. Qu’est-ce qui appartient en propre à la danse, au film, à l’installation ? Chacun de ces éléments pourrait-il exister sans les autres ?

C’est avec tous ces éléments d’introduction que je vous invite à voir  Là-bas, le lointain, à vous en imprégner en laissant votre regard voguer s’une scène à la suivante, d’un aspect de la construction chorégraphique à un autre. En vous laissant libre de vos jugements et appréciations car le chorégraphe contemporain laisse une part de responsabilité aux spectateurs. Il expose sa matière sans en forcer le sens. C’est au spectateur de faire travailler son regard, comme l’explique Alain Mons :

« Le regard devient nomade, mobile, ambulant et se constitue comme interface. Il est ce qui devine, s’insinue entre les choses et produit de la fente ou de l’interstice dans le réel présent et représenté. Dans la circulation des images, dans l’échange des lieux, le regard opère des passages incessants entre ce que nous percevons, ce que nous entrevoyons et ce qui nous reste inaccessible, visuellement du moins. » « Les lieux du sensible », Alain Mons,  © CNRS éditions, Paris, 2013. p. 243


[1] Les activités créatives de Alan Lake Factori[e] Land s’articulent en deux volets distincts : le premier est consacré à la création chorégraphique pour la scène et le deuxième permet la réalisation d’œuvres chorégraphiques dans des médiums variés : films, installations, sculptures…Ce cycle productif instaure un système de recherche, de création propre à la compagnie. Sans ordre particulier, d’une pièce peut découler un film et inversement, d’une installation peut naître une écriture chorégraphique… (Note tirée du site https://www.alanlake.net/  )

Chroniques du regard 2012-2013, hors-série : Marquer la danse

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C’est à l’automne 2011 que le concours Marquer la danse a été lancé. Dans le cadre des Journées de la Culture, La Rotonde recevait alors un atelier de notation chorégraphique dirigé par Caroline Paré, instigatrice du projet et enseignante en danse au niveau secondaire. Cette première présentation accueillait une quarantaine de personnes. Elle se voulait une expérience participative où les idées, les mots et les dessins des personnes présentes pouvaient devenir mouvements et danses. Guidés par un animateur et des exemples, ils pouvaient demander aux danseurs d’exécuter des séquences de mouvements créées par eux, sur différentes ambiances musicales aussi choisies par eux. Après une exécution de la part des danseurs (Mélanie Therrien et Fabien Piché), les gens du public pouvaient ensuite intervenir à nouveau dans la partition. C’est cette expérience de transcription des idées, mots et dessins en mouvements dansés qui a ensuite été offerte par Caroline Paré aux élèves du secondaire (Collège de Champigny) dans son édition pilote de 2012.

La deuxième édition du concours (année scolaire 2012-2013), ouverte au niveau national, permet une nouvelle fois aux élèves du secondaire de s’initier à l’écriture chorégraphique, dans un but de démystification de la création en danse et de développement de l’aisance à en parler. En plus d’une bourse en argent, les participants peuvent encore une fois espérer remporter un prix des plus prestigieux: le gagnant participera à la réalisation et à la diffusion de sa danse dans un cadre professionnel. Entouré et supervisé par des artistes d’expérience, il pourra faire cheminer et approfondir son projet chorégraphique lors d’un stage de réécriture suivi de plusieurs heures de répétition avec des danseurs professionnels et, pour terminer le processus, la danse gagnante sera présentée en lever de rideau d’un spectacle de danse diffusé par La Rotonde lors de sa saison régulière.

Marquer-la-danse-2012-2013-photo-Kader-Chiguer-4JE TE LAISSERAI DES MOTS
Le projet gagnant de l’édition 2012-2013 est celui de Sarah Therrien, élève en 5e secondaire au Collège Champigny. Dans sa chorégraphie pour trois interprètes intitulée Je te laisserai des mots, la jeune femme jette un regard inquisiteur sur la vie adulte et les relations humaines. Dans une installation scénique utilisant différents accessoires symboliques qui passent du concret à l’intangible, elle présente des réactions différentes et souvent opposées aux mêmes stimuli qui sont présentés par un personnage agissant comme Deus ex machina, manipulant les objets et dirigeant l’action des personnages. La chorégraphie traite aussi du vide, des réactions possibles face au manque, surtout quand le temps commence à compter. La jeune chorégraphe semble poser les questions: «Quand tout disparaît, qu’est-ce qui reste? Et à quoi on se raccroche pour continuer?»

Le projet chorégraphique gagnant a suivi le même processus que tous les autres projets soumis. Lors de l’édition 2012-2013, le concours a reçu la participation d’élèves en provenance de trois écoles. Les élèves devaient présenter un projet pour une danse de 5 minutes, écrit et illustré avec leurs mots, leurs tracés et leurs dessins. Les professeurs pouvaient trouver les informations nécessaires à l’accompagnement dans une trousse et un cahier d’information.

Dans le cas du projet gagnant, c’est suite à un atelier donné par Mme Paré que Sarah Therrien s’est inscrite au concours. Dans cet atelier, il était demandé aux élèves d’imaginer une danse à l’écoute d’une musique, à la vue d’une toile, à l’observation ou au ressenti d’un mouvement, ou encore suite à l’invention d’un récit dansé. Tous les projets soumis ont été classés par un jury composé de professionnels de la danse œuvrant dans le milieu de Québec. Trois projets finalistes ont été retenus pour une fin de semaine de réécriture.

En janvier 2013, les trois finalistes du concours d’écriture chorégraphique se sont retrouvées pendant toute une fin de semaine au Grand studio de La Rotonde. Pendant la première journée, elles ont travaillé à tour de rôle sur différentes étapes du projet, parfois actives, parfois observatrices du travail d’une collègue. C’était le moment charnière où les élèves-chorégraphes partageaient verbalement leurs projets et faisaient s’incarner la danse par des danseurs professionnels, qui en devenaient alors muses et interprètes.

Accompagnées dans le processus de création par un chorégraphe et pédagogue d’expérience (Mario Veillette) et l’instigatrice du projet (l’enseignante Caroline Paré), elles ont su diriger les danseurs (Anne-Pier Dion, Isabelle Gagnon et Fabien Piché) dans la bonne humeur et un esprit de complicité. Elles y ont expérimenté, dans un temps restreint et un horaire serré, un processus de création fait de prises de décision et de choix parfois déchirants et sont reparties en fin d’après-midi en ayant, chacune, travaillé directement avec les danseurs environ une heure et 45 minutes.

P1000708Le dimanche matin, une rencontre avec le musicien compositeur accompagnateur (Steve Hamel) visait l’intégration de la musique dans le projet. Après avoir présenté les possibilités et suivant les demandes ou suggestions des chorégraphes, le musicien a créé des accompagnements pour chacun des trois projets. D’autres périodes d’essais et de réajustements (environ une heure par projet) ont ensuite été effectués avant la présentation.
En après-midi, les trois finalistes de Marquer la danse 2012-2013, Anne-Frédérique Marcoux, Gabrielle St-Hilaire et Sarah Therrien, ont enfin eu le plaisir de présenter leurs projets devant une salle remplie, mais aussi devant le jury qui avait déterminé les finalistes (et qui avait maintenant la tâche de déterminer le projet gagnant). Chaque chorégraphie durait environ 5 minutes. Chacune découlait de l’imaginaire de la chorégraphe et développait sa propre signature. Vu la qualité et la singularité de chacun des projets, le travail décisionnel des jurées fût très ardu. Après une délibération argumentée et passionnée, le jury composé d’Annie Gagnon, Sonia Montminy, Maud Rusk et Arielle Warnke Saint-Pierre a rendu son verdict.
Faisant suite à la fin de semaine de réécriture et à l’issue de 10 heures de répétitions supplémentaires avec les interprètes, le répétiteur et le musicien, la chorégraphie « Je te laisserai des mots » sera présentée en lever de rideau des matinées scolaires de Variations S, une œuvre de la chorégraphe montréalaise Hélène Blackburn, interprétée par la compagnie de renommée internationale, CAS PUBLIC.

Marquer-la-danse-2012-2013-photo-Kader-Chiguer-5Marquer la danse reçoit l’appui de Telus, de l’Entente MCCCF / Ville de Québec et est associé aux Journées de la Culture. En 2013, Marquer la danse recevait le prix Isabelle-Aubin au Gala national des prix Essor, offert par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Ce prix est accordé annuellement à un projet qui se distingue par la place accordée à la fois aux arts et à la formation artistique tout au long de la réalisation du projet et est assorti d’une bourse de 2500$. Ce prix revient en 2013 à Caroline Paré du Collège de Champigny qui a initié le concours d’écriture chorégraphique, à La Rotonde qui a développé le projet en étroite collaboration avec Caroline et aux artistes de la danse de Québec qui se sont impliqués avec passion dans cette belle aventure.

 

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Chroniques du regard 2012-2013, no 9 : Compagnie Animals of Distinction, « Heart as Arena » de Dana Gingras

On communique directement avec les gens, de personne à personne. On peut aussi communiquer à travers les ondes radio. La communication implique la connexion et, pour recevoir une communication, il suffit de trouver la bonne fréquence. C’est à partir de cette prémisse et avec ce concept de réceptivité/transmission que les artistes de la compagnie Animals of Distinction ont créé la chorégraphie Heart as Arena de Dana Gingras.

Pour la mise en scène de cette idée, on trouve d’abord dans l’espace scénique une série de radios de style ancien installés dans les airs. Ils sont accrochés dans une forme arrondie qui délimite l’arène du titre. Ensuite, d’autres appareils seront répartis au sol de manière plus aléatoire. Ces radios émettent une série de musiques assez disparates, d’origines et d’esthétiques diverses, allant d’extraits de l’opéra Norma de Bellini à de la pop thaïlandaise (les connaisseurs de danse nostalgiques reconnaîtront même des extraits de la bande sonore d’In Paradisum1), en passant par des musiques plus industrielles et même des segments uniquement composés de statique et de bruits de fond.

Dès la première scène, les danseurs entrent en portant avec eux des radios, semblables à ceux qui resteront accrochés autours d’eux. Ils semblent chercher à syntoniser la bonne fréquence ou le bon poste, semblent chercher à obtenir la meilleure réception possible. Cette quête, ils continueront à la faire, en mouvements, tout au long du spectacle. La musique qu’ils recevront (ou provoqueront ?) fait partie d’un montage proposé par l’artiste Anna Friz (conceptrice de la bande sonore ainsi que du système de transmission).

Les danseurs, tout autant que les spectateurs, seront amenés à travers une variété de situations émotives. Tout au long du spectacle, les cinq danseurs s’attirent et se repoussent, tels des particules élémentaires. Après s’être abandonnés un temps dans un univers émotif donné, ils semblent ensuite être emportés malgré eux sur des trajectoires dictées de l’extérieur, comme connectés aux ondes venues d’ailleurs, traduites par les radios sous forme de musique.

Les scènes seront variées et les perturbations fréquentes. Les ondes reçues activent les danseurs de différentes manières faisant partie d’un large registre. Parfois les réactions sont électriques, très animées voire violentes. Parfois, les danseurs sont plutôt apathiques envers le monde qui les entoure.

Tout au long du spectacle, les signaux arrivent et se perdent rapidement. Cette mini-société semble chercher sans cesse, mais sans succès, à s’accorder à une fréquence idéale qu’ils ne recevront jamais. Les corps finissent par se contorsionner de manière un peu absurde, comme celui qui tombe en convulsion vers la fin du spectacle ou celui de Dana Gingras, dans la dernière scène, qui semble orienter de manière étonnante chacune des portions de ses extrémités à la recherche du signal « idéal » lui permettant de continuer sa vie.

Tous ces éléments sont présentés dans un spectacle d’un peu plus de 60 minutes. Les mouvements sont contemporains, les thèmes actuels et les danses fort bien exécutées. Ce spectacle est à conseiller pour tous ceux qui apprécient les présentations à l’esthétique surréaliste à la David Lynch (bizarre, atmosphérique, étrange et légèrement effrayant). Ils sauront apprécier la narration complexe et non-linéaire, le manque de repères temporels (sommes-nous en 1940, 1960 ou en pleine époque disco ?), les relations et les pairages un peu zombie, les couples qui se font et se défont, sans attachement ni déchirement. Ils pourront se délecter de l’impression globale d’un groupe de personnes rassemblées, dans lequel tout le monde parle mais où personne n’écoute ni ne communique avec les autres. Tout cela m’a un peu rappelé la série web Les Invités 2, son atmosphère de science-fiction, quand les morts se retrouvent dans un endroit inconnu dont ils ne connaissent pas les codes (ce qui était aussi le thème d’In Paradisum).

Dans tout ce bruit et cette fureur, les interprètes s’abandonnent à leurs envies primaires tout en continuant sans cesse leurs luttes de pouvoir entre eux. Les gestes sont souvent saccadés, les phrases de mouvements courtes et les pauses fréquentes. Comme s’ils revenaient parfois à la charge et essayaient de régler leurs conflits mais que, ce faisant, ils perdaient les signaux de ce qu’ils étaient en train de faire ou qu’ils perdaient les signaux de communication entre eux.

Un peu de tristesse se dégage aussi de l’œuvre à force de regarder ces personnages qui font des pieds et des mains pour se faire entendre de l’autre, sans y parvenir, quand tout le monde parle personne n’écoute…3

Quelques liens Internet concernant directement la chorégraphie Heart as Arena
1. Une des bandes annonces du spectacle. Elle peut donner une idée d’une des nombreuses ambiances du spectacle. (02:31)
2.- Et un court reportage de Radio-Canada TV (Colombie-Britannique) sur le spectacle (01:45)

Liens vers d’utres productions de Dana Gingras
3.- Vidéo officielle pour la chanson Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) du groupe Arcade Fire. https://youtu.be/awHWColYQ90 (05 :41)
4.- Dances for Dzama, chorégraphie de Dana Gingras
5.- Aurelia, court-métrage chorégraphié et coréalisé par Dana Gingras (03: 05)
6.- Extraits de Smash Up! (saison 2008-2009 de La Rotonde) (01: 22)
7.- La performance devant public What is Mine is Yours (2010) (05 : 07) durant laquelle un duo mange des citrons à même la bouche de l’autre. Et une courte version filmée de What is Mine is Yours
(01 : 06)


1 Pour voir la première partie de In Paradisum, chorégraphie de James Kudelka créée en 1983, sur la musique de Michael J. Baker. Reprise ici par la Compagnie Coleman Lemieux en 2010. (07 : 42)
2 La Web-série Les Invités sur TOU-TV
3 François Dufort, ANALOGIES HEART AS ARENA DE DANA GINGRAS (COMPAGNIE ANIMALS OF DISTINCTION)

Chroniques du regard 2012-2013, No 8 : Compagnie Danse K par K, Trois paysages de Karine Ledoyen

Du vent dans les voiles

Dans sa nouvelle chorégraphie Trois paysages, Karine Ledoyen continue à s’intéresser à la mise en scène de l’élément Air, qui était aussi le titre de sa création précédente. Sa recherche passe cette fois par l’utilisation d’une machine merveilleuse qui fait office d’installation scénique. C’est ici l’élément le plus imposant et le plus intrigant du spectacle. Créée par le compositeur de musique Patrick St-Denis, il s’agit en fait d’une machine éolienne animée par des ventilateurs.

La structure est en elle-même une magnifique installation. Comment ne pas être hypnotisé par ce mur aux multiples utilisations? Ce mur puissant, pourtant léger et malléable, qui participe à la musique du spectacle et qui, par sa modulation dans l’espace scénique, crée des zones très différentes d’une section (paysage) à l’autre.

Présentée d’abord comme étant un mur tranquille pouvant devenir écran, la structure dévoile graduellement ses possibilités grâce aux feuilles la composant, qui bougent dans des mouvements aléatoires ou ordonnés. Des mouvements de vagues ou sériels qui sont parfois parallèles, parfois symétriques. Cette structure, dans ses mouvements, est très bien intégrée et mise en relation avec le reste du spectacle. Mais, dans ce spectacle, il y a plus.

Car le spectacle est une réussite. Et je m’explique en présentant ici un regard plus critique qu’à l’ordinaire. Pour ma part, je trouve qu’enfin Karine Ledoyen a trouvé la manière de faire «respirer» le spectacle. Ayant toujours été un peu étouffé par l’exubérance de ses propositions et l’esthétique qu’elle nous proposait, j’ai aussi toujours trouvé prématurés les commentaires critiques lus ou entendus qui parlaient de «toucher au sublime» ou de «maturité artistique» dès 2008.

Mais dans ce spectacle, une clarté et une simplicité s’imposent. Pour la première fois, dans mon œil, l’installation scénique est en osmose avec le reste. La danse, la musique et la scénographie s’appuient mutuellement sans s’écraser. Un élément de risque (et de surprise pour un spectateur) est aussi rajouté à chaque représentation, avec succès. Cet élément, crucial pour le bon déroulement du spectacle, rajoute un attachement émotif de la part des spectateurs pour ce qui se passe sur scène. La chorégraphe, en collaboration avec le metteur en scène Alexandre Fecteau, a su faire bon usage de tous ces éléments dans une intégration qui fonctionne. Une intégration qui laisse voir et ressentir les trois différents paysages, chacun dans son propre découpage.

La danse évolue tout au long du spectacle. Commençant au ras du sol pour devenir plus aérienne, elle est très proche du Contact-improvisation dans l’utilisation des échanges de poids et dans la construction des portés. Les quatre interprètes y utilisent fort bien leurs techniques, notamment Sara Harton dans son solo. Il faut aussi retenir le magnifique duo de Fabien Piché et Ariane Voineau, qui installe la danse dans une verticalité plus «courante».

Il s’agit donc, à mon avis, d’un excellent spectacle pour découvrir Karine Ledoyen dans une nouvelle étape de sa carrière. Pour les gens qui la découvriront, ils seront sûrement fascinés par l’installation de cette structure extraordinaire et par le soin de sa mise en scène. Pour les gens qui étaient un peu rebuté par ses œuvres précédentes, qui contenaient plus que leur part de kitsch, d’esthétisme populaire, de vacuité de propos et de surcharge rose bonbon, elle a enfin trouvé un chemin plus sobre et dépouillé. Elle commence à laisser aux choses le temps d’arriver et de se produire (ambiance méditative). Elle laisse le spectacle respirer et évite, le plus souvent, la surcharge qui caractérisait souvent ses productions précédentes.

Une production efficace.

On espère que cette œuvre pourra lui donner du vent dans les voiles.


Quelques liens internet

a) Pour mieux connaître Karine Ledoyen:

Une brève entrevue accordée par Karine Ledoyen lors de la création du spectacle à Montréal en février dernier. (3 minutes)

L’émission Archipel, des productions TLMSF, afin de mieux connaître l’univers de la chorégraphe. (58 minutes)

b) Pour présenter d’autres créateurs qui s’intéressent aussi aux différentes utilisations des murs en danse ou qui présentent des questionnements proches de ceux de Ledoyen:

Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui. Le chorégraphe y présente des jeux de constructions éphémères, questionnement sur l’horizontalité et la verticalité, structures et l’espace qui bougent autours des danseurs. (en anglais – 5 minutes)

(Pour rafraichissement de la mémoire, Cherkaoui a présenté au Grand Théâtre de Québec, au cours des dernières années, les chorégraphies Babel et Sutra)

– Ici, dans Paso doble de Josef Nadj, les murs, on les refaçonne. Une utilisation du mur plus performative, en collaboration avec le plasticien Miguel Barcelò.

– Ici, les murs on les escalade. Entrevue avec Vincent Poliquin-Simms un artiste originaire de Québec maintenant installé à Ottawa, qui présente sa compagnie d’art aérien Look Up.


Voir la page du spectacle

Chroniques du regard 2012-2013, No 7 : Compagnie Cas Public, «Variations S» d’Hélène Blackburn

CENT ANS DE SACRES

Un peu partout dans le monde, la saison de danse 2012-2013 est marquée par le centième anniversaire du Sacre du printemps, un ballet chorégraphié à l’origine par Vaslav Nijinski sur une musique composée par Igor Stravinsky. Présentée en première à Paris en mai 1913 par les célèbres Ballets russes de Serge Diaghilev, cette création reste encore de nos jours un événement phare du monde de la danse et de la musique. En rupture avec les créations de l’époque: «La chorégraphie avait un caractère novateur, tournée vers le sol et non vers l’immatériel. La musique était rugueuse pour l’époque»1, ce spectacle provoqua de violentes réactions au moment de sa création (émeute et batailles dans la salle, totale incompréhension du public) qui sont très bien montrées dans quelques films historiques2.

Du point de vue chorégraphique, ces réactions étaient dues au nouvel esthétisme proposé, situé loin des canons de l’époque proposés par les autres compagnies, et même loin des propositions précédentes des Ballets Russes (la compagnie présentait le Sacre lors de sa sixième saison). Du point de vue musical, le choc était dans la composition elle-même de Stravinsky, qui offrait au public une musique totalement révolutionnaire, considérée aujourd’hui comme l’œuvre qui a bouleversé les fondements de la musique et jeté les bases de la musique contemporaine.

Depuis un siècle, un grand nombre de chorégraphes se sont penchés sur ce point tournant de l’évolution artistique occidentale et de très nombreuses versions du Sacre ont été proposées. On en trouve au moins 180 versions différentes3 et chacun veut donner sa propre vision de cette histoire sacrificielle (car le Sacre original traite d’un rituel chamanique incluant le sacrifice d’une jeune vierge afin d’assurer pérennité de l’espèce, fécondité et renaissance). Comme introduction à la diversité des propositions chorégraphiques, je propose un document visuel sur Internet intitulé STRAVINSKY The Rite of Spring FOUR VARIANTS qui présente des extraits de quatre versions créées entre 1913 et 2008, dont une re-création de l’originale de Nijinski.

Parmi les œuvres des chorégraphes les plus connus à l’international, les versions historiques de Maurice Béjart (1959) et de Pina Bausch (1975) demeurent des incontournables. Cette année, de nombreux chorégraphes réputés, souvent associés à des compagnies majeures, s’y attaquent encore. Pour n’en nommer que trois: Sasha Waltz pour le Ballet du Mariinsky, Wayne McGregor pour le Bolchoï3 et Akram Khan pour sa propre compagnie.

Parmi les chorégraphes québécois et canadiens ayant créé leur version du Sacre, notons Marie Chouinard, Ginette Laurin, Daniel Léveillé et James Kudelka. Dans un domaine un peu connexe et plus près de nous, il ne faut pas oublier l’expérience performative de l’artiste catalan Roger Bernat présentée par le Mois Multi, en février 2012.

VARIATIONS S
Ajoutant à cette pléthore de propositions, Hélène Blackburn s’amène donc avec sa version intitulée Variations S, une chorégraphie énergique pour 9 danseurs (il seront 7 sur scène à Québec), en lien avec l’adolescence: son énergie, sa fougue et ses passions. En lien aussi avec les caractéristiques de cette étape de la vie: les extrêmes et les découvertes, les éveils et les sacrifices. Chaussés d’espadrilles, de bas, de pointes ou pieds nus, les danseurs ne lésinent pas sur la dépense physique. Ils accompagnent parfois la danse en comptant jusqu’à 7 (l’utilisation de comptes irréguliers fait partie de la révolution de Stravinsky) et se rencontrent dans une multitude de portés (néo-classiques dans leurs formes).

Le spectacle est technologique. Un disc-jockey est présent en fond de scène, à vue du public. Certaines de ses actions sont projetées sur grand écran. Ses manipulations et ajouts sur la musique originale de Stravinsky sont très efficaces et offrent une valeur ajoutée. Pendant de brefs moments, des percussions en direct rajoutent à l’ambiance encore un peu plus de l’excitation et de la turbulence propre à l’adolescence. Sur l’écran en fond de scène roulent parfois certains textes qui installent la trame narrative du spectacle. Y sont aussi projetés certains mouvements des danseurs captés en direct.

Le spectacle attire aisément l’adhésion du public, les ensembles chorégraphiques sont assez simples mais diablement efficaces. On peut aisément suivre les trajectoires chorégraphiques et les processus d’accumulation à la base des compositions. Le public peut aisément se connecter aux bassins qui se balancent et nous reconnectent avec le «Pelvic power» ainsi qu’à l’esthétique vidéo-clip de la finale (show de boucane, lumière bleue éclairant les danseurs en contre-jour, effet de «mob»).

Étant donné l’intégration culturelle de la musique de Stravinsky (elle est beaucoup moins choquante à nos oreilles qu’elle ne l’a été pour le public de 1913) et les interventions très efficaces du compositeur, Martin Tétreault, les apports technologiques ainsi que l’approche contemporaine et accessible de l’ensemble de la proposition, cet opus du Sacre ne provoquera aucun scandale chez-nous en 2013. Il assurera plutôt une identification de la part du public (jeune comme adulte) qui pourra se laisser emporter par une fougue printanière et une folle envie de bouger, ne serait-ce que pour sortir de l’hiver québécois trop long pour aller «exulter» un peu, comme dirait le poète.


1 Sylvie Jacq-Mioche, historienne et professeur d’histoire de la danse à l’École de danse de l’Opéra de Paris, citée dans Danses avec la plume
2 Voir le film français « Coco et Igor » de Jan Kouken (2009) ou le film américain « Nijinski » d’Herbert Ross (1980).
3 Cette création sera présentée au Québec dans les cinémas Cineplex le 31 mars 2013.


La Rotonde présente Variations S à la salle Multi de Méduse du 20 au 23 mars.

 

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