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The You Show, Crystal Pite à son meilleur

Chronique du regard no 7, saison 11-12

Dans The You Show, on peut vite reconnaître certains éléments-clés des spectacles de Crystal Pite: une danse énergique avec des interprètes de haut calibre, un accent chorégraphique mis sur le mouvement et sur les interactions, des échanges de poids intrépides et périlleux, effectués à partir de positions désaxées de la verticale. Tout cela en incluant beaucoup de changements de niveaux, à travers des passages au sol rapides et fréquents.

Comme souvent dans les chorégraphies de la compagnie Kidd Pivot, une narration aide les spectateurs à bien identifier les personnages sur scène, leurs relations et leurs questionnements. Cette fois, c’est à travers des textes dits par les danseurs ou en voix off que leur histoire est présentée (verbalement) tout autant que développée à travers le langage de la danse. Ce spectacle, présenté dans une scénographie dépouillée, principalement découpée par les éclairages, est composé de quatre chorégraphies, surtout des duos. Des organisations de groupes, toujours aussi impressionnantes, arrivent en fin de spectacle.

Pour créer et motiver les mouvements, Crystal Pite aime utiliser les manipulations: actions de tenir un objet dans ses mains lors d’une utilisation quelconque. On en retrouve divers types dans ses danses: manipulations physiques de partenaire(s) pour la création de duos, de trios ou de mouvements de groupe; manipulations par un danseur de certains de ses propres membres qui sont alors tassés, replacés ou déplacés. «Quand (l’interprète interviewé) parle de manipulation, il parle d’un style particulier d’exploration du mouvement. Par exemple, un danseur peut manipuler une partie du corps d’un autre danseur pour induire le mouvement, ou un danseur peut pousser sa propre jambe avec sa main pour lui faire faire un pas devant. Un bon nombre d’artistes de la danse, depuis longtemps et dans différents genres, ont utilisé cette exploration mais Pite, cependant, a réussi à l’intégrer dans une technique qui maintient et entretient la spontanéité de l’improvisation. Ce qui crée l’illusion scénique à laquelle le public se raccroche: une impression conjointe de contrôle et de liberté.» 1 Enfin, on retrouve aussi, dans d’autres spectacles de la compagnie Kidd Pivot, la manipulation d’objets comme la marionnette du récent Dark Matter2.

Pour continuer cette chronique, j’introduis une nouvelle section: Réponses concrètes à des questions imaginaires (mais plausibles!)

1.- Pourquoi aller voir ce spectacle? Pour y voir de la danse qui bouge, bien exécutée de surcroît, et avec de la substance dans le propos, qui se tient et qui est bien développée. On y va parce que c’est de la visite rare, de la visite de qualité, dans un spectacle contemporain, auquel on peut facilement comprendre quelque chose. Et encore une fois, parce qu’un spectacle de danse, il faut le voir en chair et en os, en sueur et en essoufflements. Ne pas se limiter aux autres plateformes (télévision, cinéma, Internet). C’est sur scène que ça se passe.

2.- Qui est Crystal Pite? Chorégraphe à la signature distinctive, Crystal Pite, a été pendant de nombreuses années membre du Ballet de Francfort, sous la direction de William Forsythe. Fondatrice de la compagnie Kidd Pivot, dont le siège est à Vancouver depuis 2001, elle est aussi chorégraphe associée en résidence au Nederlands Dans Theater3 et au Centre national des Arts à Ottawa, en plus d’être très demandée tout autour du globe. (Si vous ne connaissez pas ces noms, je vous assure qu’on parle ici de ligues majeures!)

3.- Sans vendre les punchs, dis-moi encore de quoi est composé ce spectacle: The You Show, c’est 90 minutes de danse, divisées en quatre parties. Le spectacle présente des scènes de longueur variables (entre 8 et 30 minutes) pouvant répondre à la question: « Qui es-tu, toi? » Les danseurs, tous excellents, ont quitté Francfort, en Allemagne, où la compagnie a déposé ses pénates, pour venir présenter ce petit bijou de chorégraphie. Avec une danse de très haut calibre, ce spectacle est un voyage au cœur de la psyché humaine. On y voit, avec différentes lunettes d’approche, des adultes en train de négocier avec les affres de la vie quotidienne, son lot de drames et de problèmes relationnels, des thèmes qui seront reconnus de tous. Les différentes ambiances, très claires d’un point de vue dramaturgique, trimbalent le spectateur, souvent avec humour, de l’angoissant au cauchemardesque, de l’onirique au plus comique.

1. Amy O’Neal, 3 Perspectives on Crystal Pite/Kidd Pivot Traduction: M.V.

2. Kidd Pivot/Crystal Pite|Dark Matters

3. Répétition de la récente création de Crystal Pite pour Nederlands Dans Theater 1

 

 

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Parlons Gaga (pas la lady…)

La création chorégraphique Hora, présentée par la Compagnie Batsheva, est le produit d’une méthode de recherche et d’entraînement mise au point par le chorégraphe Ohad Naharin. Une méthode qu’il nomme Gaga*. Avant de développer sur ce sujet, suivons très brièvement le parcours du chorégraphe, ainsi que celui de la compagnie Batsheva, basée à Tel Aviv, Israël.

Bathseva / Naharin

À sa création, en 1964, la Batsheva Dance Company était une filière de la « American Modern Dance » (voir le dernier paragraphe du texte). Puisant son répertoire dans ce bassin stylistique, elle a d’ailleurs été la première compagnie extérieure à danser les œuvres du répertoire de Martha Graham sous la supervision artistique de Graham elle-même. Ensuite, sous différents directeurs artistiques, la compagnie s’est enrichie d’un répertoire varié émanant d’importants chorégraphes américains et européens. Depuis 1990, Ohad Naharin en est devenu le directeur artistique. Entraîné à Batsheva, celui-ci y a dansé les premiers rôles des œuvres de Graham au milieu des années 1970 avant de partir danser à New York, au sein de la compagnie Graham, dans les années 1980. Chorégraphe, entre autres, pour le Nederlands Dans Theater, sa gestuelle est très tôt reconnue pour la richesse de ses textures et la fluidité émanant de la colonne vertébrale de ses danseurs. En revenant à Batsheva, grâce à ses visions artistiques, à sa signature chorégraphique unique et à son langage gestuel révolutionnaire, il réussit à élargir la voie qu’empruntait déjà la compagnie israélienne afin qu’elle soit propulsée dans son rôle actuel, qui en fait une des plus recherchées dans le monde de la danse contemporaine. Depuis une dizaine d’années, la compagnie se consacre à la diffusion des œuvres de Naharin et des membres de sa compagnie.

Gaga

Gaga = séances d’entraînement proposées par Naharin, attisant la curiosité des participants et drainant leur imaginaire tout en leur permettant de découvrir une panoplie de nouvelles façons de bouger. Les recherches gestuelles et méthodes d’entraînement quotidiens à travers Gaga carburent à la recherche de nouvelles possibilités expressives et à l’éveil de la sensibilité dynamique des danseurs. Une séance de Gaga dure une heure. Elle est faite sans utilisation de miroirs, ne contient pas de mouvements ou de séries de pas spécifiques à reproduire, ni de séquences à répéter. Il faut simplement réagir aux indications (instructions) verbales de l’enseignant, qui s’additionnent les unes sur les autres et qui amènent l’attention vers certaines parties du corps ou vers certaines actions, dynamiques ou qualités spécifiques. Une séance-type (elles sont aussi accessibles aux non-professionnels) commence souvent par 10 minutes de mouvements simples de balancements d’une jambe à l’autre ou « de flottaison », comme si on était immergé dans l’eau. Durant la séance, la danse se développera par étapes successives, en intégrant plusieurs actions. Les participants travailleront différentes qualités de mouvements et différentes sources (initiations) dans le corps. La danse peut, par exemple, commencer à partir des lunes (à la base des doigts ou des orteils) ou à partir de la « lena » énergie du bas-ventre avant de se disperser dans tout le corps.
Dans la compagnie Batsheva, les danseurs sont activement sollicités à travers tout le processus créatif et le résultat de leurs recherches sont utilisés dans les répétitions et les créations chorégraphiques. Durant les répétitions, les danseurs, libérés de leur entrainement préalables et de leurs préférences stylistiques par le Gaga, sont moins préoccupés à reproduire une image précise qu’à travailler à partir de la sensation, de l’élan ou de l’énergie du mouvement… et encouragés à pousser sans cesse dans ce qu’ils font. Leurs menus gestuels se composent de qualités de mouvements tels doux, tranchants, forts, ronds, retenus, tremblotants… Les danseurs développent ainsi, dans leurs séances de travail, tout un attirail de textures qu’ils peuvent ensuite appliquer dans les performances.

Hora

Dans la chorégraphie Hora, la méthode de création découlant de Gaga permet aux danseurs d’amener leur personnalité et leur individualité sur scène (dans des chorégraphies dont ils ont le plus souvent généré le vocabulaire à travers leurs recherches) engageant leurs pensées, leurs émotions tout autant que leur corps. Pendant les entraînements et les périodes de création, ils apprennent en plus à apprécier les difficultés du travail, à (re)découvrir leur passion du mouvement et à la connecter avec les efforts nécessaires, retrouvant leur animalité, leur disponibilité et l’utilisation efficace de leur imagination. Un danseur de Batsheva déclare : « Naharin donne des règles à suivre, mais donne aussi toujours la liberté de ne pas suivre les règles ». Les danses de Hora, nées de ce processus, sont exécutées par 11 interprètes passionnés qui évoluent accompagnés d’une bande sonore hautement originale, dans des solos, petits groupes et plus grands ensembles. À voir, pour le plaisir des yeux et des oreilles.

 
Histoire de la danse 101

Danse moderne, post-moderne, contemporaine, actuelle, nouvelle danse, …, n’est-ce pas toute la même chose ? Chaque qualificatif, chaque adjectif n’englobe-t-il pas tous les autres ?
 
La danse moderne, parfois nommée « American Modern Dance », est le résultat d’une époque bien précise (1930-1960) et comprend deux techniques principales (technique Graham et technique Humphrey-Limon) qui sont encore enseignées un peu partout sur la planète. D’un point de vue historique, elle a été suivie par le post-moderne (dans les années 1960) et ensuite par toute une série de qualificatifs qui ont eu des durées d’utilisation plus ou moins longues. Le temps passe et chaque nouveau nom caractérise donc une danse qui prend souvent ses racines dans la précédente (en continuité ou en rupture). L’avenir nous dira si les dénominations suivant post-moderne survivront, ou laquelle sera retenue par les historiens mais ce qu’on peut toujours se demander par rapport à la danse contemporaine c’est : « la danse contemporaine de qui ??? »

Finalement, une question : « Un spectacle de danse contemporaine peut-il légitimement inclure dans son vocabulaire des éléments de folklore et danses traditionnelles (flamenco, kathakali, Baratha Natyam, …), des éléments de théâtre ou de cirque, du vocabulaire codifié (ballet classique, danse moderne, danse ethnique, danse de rue), …? » Réponse courte : OUI.

* Sources : Deux articles de Deborah Friedes Galili. “Inside Basheva”. Dance Magazine, février 2012, pp.24-28 ainsi que Batsheva Dance Company: From Graham to Gaga

« Gaga est une nouvelle forme d’acquisition de connaissance et de conscience à travers le corps. Gaga est une nouvelle voie d’apprentissage et de renforcement de l’organisme, ajoutant flexibilité, endurance et agilité tout en libérant les sens et l’imagination. Gaga conscientise les faiblesses physiques, éveille des zones endormies, expose les fixations physiques et offre des voies pour leur élimination. Gaga encourage le mouvement instinctif, relie les mouvements conscients et subconscients. Gaga est une expérience de liberté et de plaisir. » (Ohad Naharin) Traduction : M.V.

 

 

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Métissages, hybridations et autres fusions

Cette chronique du regard sera indirectement reliée à la présentation, par La Rotonde, du spectacle de flamenco el12 de la compagnie La Otra Orilla car ce choix de programmation peut susciter un certain questionnement. Le flamenco n’est-il pas une forme de folklore? Quel est l’intérêt de l’inclure dans une saison de danse contemporaine? Quels sont les liens possibles entre cette danse très marquée culturellement (dont les codes sont si facilement et immédiatement reconnaissables) et le monde plus «pointu» de la danse contemporaine (dont les codes et usages peuvent être un peu plus difficiles d’approche)? Pour essayer de répondre à ces questions et étayer les réflexions connexes à la présentation de ce spectacle, parlons un peu «pureté, décloisonnement, mélange des arts et arts du mélange» avant de présenter plus précisément certaines expériences de métissage du flamenco avec d’autres formes de danse ou d’autres pratiques artistiques.

Dans la pratique artistique, hybridation, métissage et mélange des arts sont : «trois termes qui renvoient aux croisements des arts, à leur interaction, aux rencontres, aux dialogues, aux emprunts, aux connexions, dans une tentative de renouveler les pratiques, d’étendre l’art, d’élargir les horizons.¹». Nous ne sommes plus dans un monde où tout est toujours blanc ou noir, où chaque forme d’art doit sagement rester cloisonnée dans ce qu’elle a toujours été. Non! La réalité éclate et les certitudes s’échappent. Le monde de la danse contemporaine, dans un souci d’inclusion, fait place aux expérimentations qui font évoluer la pratique et le flamenco, par sa nature même, peut devenir un exemple vivant de l’art du métissage, de l’évolution constante d’un art dans sa forme et dans son essence.

Recherche d’expression de la vie même, le flamenco (le plus ancien et le plus noble des exotismes européens, selon André Levinson), se taille une place de choix dans le paysage culturel mondial et international, jusqu’à devenir partie intégrante du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO, 2010). Dès son origine, il était point de rencontres de différentes cultures. Deux films de Carlos Saura Flamenco (1995)² et Flamenco, flamenco (2010) peuvent faire découvrir aux néophytes les origines arabo-musulmane de cette forme d’art et sa transmission à travers les siècles par le peuple Gitan, originaire de l’Inde, qui lui donne un style tout en conservant certains éléments de la culture d’origine (danse autant que musique). Pendant ses siècles de transhumance et de mélange culturel, le flamenco a été forgé de pratiques où les points de vue se sont interpellés, enchevêtrés et entrecroisés en se faisant écho. Et aujourd’hui, à travers plus de 50 types de danses et variations, on assiste encore et toujours à une explosion des émotions (passionnelle, sexuelle et émotionnelle) de l’artiste flamenco sur son visage et à travers tout son corps.

Dans le flamenco, comme dans toute autre expérience de métissage, pas question de suprématie d’un genre, d’une couleur, d’une race. L’influence va dans les deux sens. Tout d’abord, cette forme spécifique de danse a su intégrer dans sa nature même les éléments divers rencontrés dans différentes cultures. Dans l’autre sens, elle devient source d’inspiration pour de nombreux artistes qui œuvrent avec d’autres styles de danse ou d’autres disciplines et formes de pratique artistique, allant du cirque au théâtre et aux arts visuels, en passant par la musique et le chant.

Voici en bloc quelques exemples de métissage du flamenco avec d’autres styles de danse. Ils sont parfois surprenants et vont peut-être en décoiffer quelques-uns (mais je suis là pour ça!!!) prouvant la variété, l’originalité et la richesse de certains métissages de la danse Flamenco (Veuillez noter que ces extraits n’ont aucun lien avec le spectacle el12 de La Otra Orilla.) :

1. Flamenco et Tap Dance : Eleanor Powell dans le film Matador (1942)

2. Flamenco et butô : Kazuo Ohno et La Argentina

3. Flamenco et nouvelles technologies : Phasespace.com, danse par Debbie Deas)

4. Hip-hop et Flamenco : 2 ramas.hip hop flamenco. AFRICA TIERRA OLVIDADA

5. Bharatanatyam et flamenco : Cie Tour de Babel – Ainsi soit-Elle – Juillet 2007

6. Fusion Bharatanatyam, flamenco et musique classique européenne

Votre recherche, continuée de manière autonome, vous permettra de découvrir une quantité innombrable d’autres spectacles et expérimentations, que je vous laisse examiner par vous-mêmes. Vous y repérerez des résultats stupéfiants, des artistes qui travaillent vraiment dans un esprit de métissage et de fusion ainsi que d’autres qui n’utilisent le flamenco que pour pimenter un peu leur spectacle, ou pour colorer leurs danses en lui donnant un peu d’esprit et de passion.

Pour terminer ce billet, je vous encourage encore une fois à venir découvrir sur scène le prochain spectacle de La Rotonde, qui vous présente, dans un cadre contemporain, l’intégration d’une danse plus que millénaire.

Et en vous laissant, pour stimuler une fois encore votre esprit de découverte, je vous lance deux exemples supplémentaires, actuels et québécois, de métissages. Cette fois-ci, les artistes nommés utilisent notre propre folklore et histoire pour créer des spectacles : la compagnie [ZØGMA] permet de redécouvrir le folklore québécois, ses mythes et ses légendes dans lecture actualisée et un nouvel esthétisme du folklore; la compagnie SANS TEMPS danse, quant à elle, fusionne de façon inédite, surprenante et originale la danse percussive, la gigue québécoise et la danse contemporaine. Bonne découverte!

 

1 Dominique BERTHET, Recherches en Esthétique, « Hybridation, métissage, mélange des arts »

2 Le film « Flamenco » est disponible sur Youtube. Carlos Saura – Flamenco pt1

Lettre d’amour à Louise Lecavalier

L’été dernier, lorsque j’ai été approché pour écrire les Chroniques du regard, j’ai regardé la programmation de la quinzième saison de La Rotonde, y cherchant des pistes d’écriture, débusquant les plus instinctives qui pouvaient surgir de la simple lecture de la liste des spectacles et artistes programmés pour 2011-2012. Dépendant du spectacle de référence, plusieurs avenues se sont immédiatement ouvertes : accentuer le travail des interprètes, présenter les jeunes de la relève, traiter de la construction chorégraphique… Mes articles précédents sont basés sur ces différents sujets. Mais comment aborder le prochain spectacle ? En creusant mon flash de départ, cristallisé dans le titre « Lettre d’amour à Louise Lecavalier ».

Je l’aime. Rien d’original ici. Il suffit de faire la recherche de son nom sur Google pour trouver les 147 000 liens qui y sont proposés. Dans la majorité de ces rubriques, après avoir fait la (longue) liste de ses activités professionnelles, les auteurs parlent de sa fougue et de sa passion de la danse, mais aussi de sa gentillesse dans la vie, de sa générosité et de sa simplicité en entrevue. Et c’est un fait, Louise Lecavalier est ainsi. Pour ma part, c’est surtout sa sincérité qui me touche et, à chaque fois, c’est la candeur qu’elle a gardée, qu’elle présente à tous égards, qui met un sourire dans mon visage. L’entendre parler en personne ou la regarder en entrevue*, me réjouit et ouvre des canaux vers mon cœur. Nous œuvrons dans le même univers professionnel et je l’aime pour différentes raisons :

J’aime… la star. Son nom est invariablement entendu si on enquête sur les connaissances générales (minimales chez la plupart des gens) concernant la danse contemporaine québécoise. Figure emblématique, elle a su marquer la scène, autant québécoise qu’internationale, de sa présence incandescente et lumineuse. Ses mouvements dansés (dont la fameuse vrille horizontale) sont devenus iconiques. Elle est devenue le modèle à suivre pour une génération de danseurs, tout en faisant une collection de prix et reconnaissances amplement méritée. Comme toutes les vraies grandes stars, elle est d’une grande humilité, peuplée de doutes et d’incertitudes, mais continuant sa route en utilisant chaque expérience afin d’aller toujours plus loin et plus profondément dans son art. Le public général la connaît et le milieu de la danse québécoise la suit, l’encourage et profite, à différents niveaux, de l’excellence du parcours de Louise Lecavalier.

J’aime… l’interprète. Travailleuse infatigable et collaboratrice exigeante des personnes avec qui elle travaille, Louise Lecavalier est toujours avide de nouveaux défis. Généreuse et capable de s’absorber complètement dans un projet en cours, elle est une interprète de rêve. Athlétique et audacieuse, elle a su réorienter ses méthodes d’entraînement et de répétitions pour causes de blessures et de remplacement de la hanche. Ce qui lui permet d’être encore, passée la cinquantaine, tout aussi fascinante, sincère, personnelle et humaine (et au maximum de sa forme) dans les œuvres qu’elle présente. Elle sait profiter des heures de travail en studio pour questionner son art, se reconnecter avec un certain esprit de l’enfance, renouveler son regard sur les choses et activer un sens de la redécouverte quotidienne. De plus, sa capacité à intégrer ses grands acquis professionnels et techniques, dans chacun de ses projets, se matérialise toujours avec beaucoup d’authenticité et un grand sens artistique.

Bref, je t’aime Louise. J’aime ce que tu es. J’aime ce que tu représentes. Grâce à ta carrière extraordinaire et à ton charisme évident, tu es devenue la figure de proue du milieu. Car si le milieu de la danse contemporaine était comparé à un bateau (ce qu’il est parfois), c’est à l’avant de celui-ci qu’on te trouverait, non pas capitaine, mais figure de représentation identitaire.

* Par exemple, voir la magnifique entrevue (faite en 2005, en anglais seulement) sur le site du Centre National des Arts

 

 

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Petit guide de lecture chorégraphique / Partie 1

S - Flak -José Navas - photo Michael SlobodianParfois, pour apprécier une œuvre d’art, il faut en connaître quelques codes. Dans le cas de la chorégraphie S, de José Navas présentée par la Compagnie Flak, la connaissance de quelques éléments esthétiques et aussi de quelques principes de composition chorégraphique pourront vous permettre de décoder plus facilement ce très beau spectacle, afin de mieux l’apprécier.

Le travail du chorégraphe

Une chorégraphie, ça ne nait pas tout seul, en s’organisant par magie, sans peine ni travail. Une fois le processus mis en branle (à travers une idée, un concept, une envie, …), le travail commence. Et c’est en studio qu’il se produit. Plusieurs manières de faire existent. L’une d’elle est de faire collaborer les interprètes à la mise au monde de la danse. Dans cette méthode, très fréquente en danse contemporaine, le chorégraphe propose aux interprètes des idées, des mises en situations, des mouvements ou même des séquences de mouvements élaborées par lui. Les interprètes répondent ensuite à ces stimulations en créant des mouvements dansés qui seront organisés par le chorégraphe. Les interprètes travaillent de manière très généreuse et les mouvements, générés par les eux, sont ensuite organisés afin que la danse puisse servir efficacement le propos de la création. Le travail du chorégraphe est de diriger les interprètes dans la bonne direction et de choisir les qualités de performance souhaitées, les vitesses d’exécution, les orientations, les mises en espace et les regroupements (entre autres!).

Petit guide de lecture chorégraphique

Partie 2 : Collaboration Chorégraphe-Interprètes
Partie 3 : Héritage Cunningham
Partie 4 : Le spectacle S
Partie 5 : À vous de jouer

S - Flak - José Navas - photo Michael Slobodian

 

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Petit guide de lecture chorégraphique / Partie 2

S - Flak -José Navas - photo Michael SlobodianCollaboration Chorégraphe-Interprètes

Les séquences créées par les danseurs peuvent ensuite être raffinées, par l’interprète et le chorégraphe, et être transférées à un ou plusieurs autres interprètes. Les séquences dansées peuvent être multipliées, soit pour être dansées par un plus grand nombre d’interprètes simultanément, soit pour être répétées par le même danseur, en y incluant peut-être des variations. Ces séquences plus élaborées peuvent devenir partie d’un duo, trio ou chorégraphie de petit groupe. Dans l’organisation générale d’une chorégraphie de groupe, on retrouve habituellement des alternances de solos, trios, mouvements de petits groupes et mouvements d’ensemble, selon l’ordre qui convient au spectacle (cette décision revient au chorégraphe). Idéalement, quand cette méthode de collaboration chorégraphe-interprètes est utilisée, le programme de la soirée en fait mention en donnant le crédit de création autant au chorégraphe qu’aux interprètes.

Comme le relate la danseuse Manon Levac dans le texte « L’Interprète-créateur » (Cahiers de théâtre JEU 119, pp.45-50) : Participer à une création de José Navas, c’est mettre au monde une œuvre qui se crée en studio dans un échange soutenu entre le chorégraphe et les danseurs, dans une approche incitative aidant à allier l’émotif, l’intuitif et l’intellect. « Le danseur y est autorisé à moduler une matière brute, à y insuffler un peu de son savoir-faire, de ses goûts esthétiques et, surtout, à opérer des choix simples et efficaces. » Cette méthode de travail aide à déployer l’imaginaire en mouvements et le danseur peut injecter dans son interprétation des bribes de sa vie intérieure, de son expérience personnelle, en plus de mettre en œuvre ses habiletés techniques et son sens du mouvement. Mais, en dernier recours, il reste que c’est le chorégraphe qui a autorité de choix, écartant parfois une variation favorite par l’interprète ou alors préférant une variation que la personne qui la danse n’aurait pas gardée.

Petit guide de lecture chorégraphique
Partie 1 : Le travail du chorégraphe
Partie 3 : Héritage Cunningham
Partie 4 : Le spectacle S
Partie 5 : À vous de jouer

S - Flak - José Navas - photo Michael Slobodian

 

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Petit guide de lecture chorégraphique / Partie 3

S - Flak -José Navas - photo Michael SlobodianHéritage Cunningham

Le spectacle que nous présente José Navas comprend la danse intitulée S, une chorégraphie abstraite. Celle-ci a été composée dans le silence. Elle ne comprend ni décors ni technologie élaborée. Elle met en scènes des danseurs dans toute leur (relative) simplicité, dans des costumes mettant en valeur la légèreté des mouvements et laissant voir la pureté des lignes. Dans ce travail, on retrouve une esthétique mise de l’avant par le chorégraphe américain Merce Cunningham (1919-2009). Ce chorégraphe, qui fut le lien vivant entre la danse moderne et le post-moderne a été un précurseur et un chercheur infatigable jusqu’à la fin de sa vie. Il a préconisé une rupture du lien entre la musique et la danse ainsi qu’une méthode de création utilisant souvent des éléments de chance et de hasards. Les créations de Cunningham étaient des chorégraphies abstraites, sans histoires, sans personnages, sans thèmes narratifs, souvent présentés dans une grande rigueur mathématique et dans une relation changeante et fluctuante entre la danse et ses composantes scéniques (éclairage, musique, décors et technologie de pointe).

Petit guide de lecture chorégraphique
Partie 1 : Le travail du chorégraphe
Partie 2 : Collaboration Chorégraphe-Interprètes
Partie 4 : Le spectacle S
Partie 5 : À vous de jouer

S - Flak - José Navas - photo Michael Slobodian

 

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Petit guide de lecture chorégraphique / Partie 4

S - Flak -José Navas - photo Michael SlobodianLe spectacle S

L’intérêt du spectacle de Navas passe par la beauté plastique des corps en action. On peut y apprécier l’articulation des squelettes (tout semble léger, sans efforts musculaires et les extensions se font toutes en douceur). La circulation des mouvements est portée par l’intériorité des interprètes. La respiration méditative emporte le danseur autant que le spectateur. Tout au long du spectacle, une grande place est laissée au silence. La danse comporte quelques rares changements de rythmes. L’accompagnement musical y est rare et fuyant et les pièces musicales d’Éric Satie sont courtes. La musique entre parfois comme au hasard, semblant rythmer la danse mais menant parfois une existence parallèle à celle-ci. Même, parfois, la musique existe brièvement sans la danse.

Dans les éclairages subtils, nous pouvons y apprécier la pureté des lignes et la qualité des arrêts sculpturaux. La charge spatiale arrive quand les danses sont multipliées par plusieurs danseurs mis en espace dans différentes orientations. Tout au long de la chorégraphie, Navas parvient à laisser respirer l’espace. Il y parvient à travers les quelques portés, les canons et variations, les mouvements de groupe en lignes, en trios croisés et en bancs de poissons. Parfois, la scène se vide complètement, nous laissant apprécier le silence, apprécier le vide.

Petit guide de lecture chorégraphique
Partie 1 : Le travail du chorégraphe
Partie 2 : Collaboration Chorégraphe-Interprètes
Partie 3 : Héritage Cunningham
Partie 5 : À vous de jouer

S - Flak - José Navas - photo Michael Slobodian

 

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