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Chroniques du regard 2014-2015 – Symphonie dramatique par Hélène Blackburn

Symphonie dramatique, c’est quoi?  C’est un spectacle chorégraphique créé en 2014 pour 8 danseurs, une rareté dans le monde de la danse contemporaine au Québec. Il faut profiter de l’énergie débordante de cette bande de jeunes danseurs professionnels et expérimentés, qui sont souvent plus de trente semaines par année en tournées internationales. Présenté au grand public en soirée, le spectacle est aussi offert en matinées scolaires.

Photo: Damian Siqueiros

Photo: Damian Siqueiros

C’est pour vous si vous aimez la danse qui a un thème précis: ici Roméo et Juliette, les amants de Vérone créés par William Shakespeare (1564-1616) et si vous aimez, comme le rapporte J. Lapointe dans L’œuvre tout public ultime: « la danse qui danse ».

C’est pour vous si vous voulez profiter d’un spectacle énergique, facilement accessible, avec des danseurs impétueux, très engagés physiquement et démontrant un sens théâtral affûté.

C’est qui? La compagnie Cas Public, basée à Montréal, existe depuis 1989. Lors de la saison 2012-2013, ils sont venus ici présenter les spectacles Gold et Variations S. Cas Public jouit d’une réputation internationale et certains spectacles de la compagnie ont été dansés plus de 300 fois. La plupart des spectacles de la compagnie a été présenté dans plusieurs festivals et salles réputées à travers le monde.

La chorégraphe, Hélène Blackburn, est fondatrice et aussi directrice artistique de la compagnie. Comme c’est le cas dans la majorité des créations contemporaine, la danse a été créée avec la précieuse collaboration des danseurs et, comme je le disais dans une chronique précédente, pour elle et son équipe, chaque période de création devient un nouveau voyage créatif dans lequel les artistes impliqués cherchent à renouveler leurs vocabulaires et à revitaliser leurs approches.

Symphonie dramatique, la nouvelle création de Cas Public est une coproduction internationale (Festival Méli Môme, l’Opéra de Reims, le Théâtre du Bic, l’Agora de la danse à Montréal, l’Opéra de Saint-Étienne et la Maison des arts de Créteil) et propose une transposition en mouvements des grands thèmes de l’œuvre de Shakespeare : histoires d’amour, combats à mener pour accomplir une destinée, séduction, désir et déchaînement des passions…

Il est difficile de s’ennuyer dans cette Symphonie dramatique. La mise en contexte est faite verbalement dès le début du spectacle; tout le monde y aura compris quels sont les enjeux dramatiques. Les sections (saynètes) sont très courtes et varient rapidement entre les formations de groupes, solos et duos. Les costumes noirs et blancs, typiques de la compagnie, sont modulés par des changements vestimentaires (alternance de vestons, chemises et t-shirts) ou de chaussures (souvent les danseuses portent des pointes). Les chorégraphies de groupes, très accessibles, sont souvent de facture moderne (tout le monde ensemble sur une ligne simple ou sur des lignes en quinconce) avec une pointe de gymnastique et les portés faits en duo utilisent un répertoire de mouvements néo-classiques. On retrouve aussi dans le spectacle quelques incursions post-modernes qui viennent surprendre les spectateurs et pimenter le déroulement du spectacle (ici, dans l’utilisation de la voix et de la bande sonore).

La musique puissante et originale du compositeur et échantillonneur Martin Tétreault intègre des thèmes et de courts segments de plusieurs compositeurs tels Berlioz, Tchaïkovski, Gounod et autres qui se sont aussi intéressés aux mythiques amants de Vérone. Elle porte les danseurs dans leurs multiples élans, ardents et fougueux, des différentes sections dansées, où chacun des interprètes peut incarner les pulsions et passions de Roméo et Juliette.

Il est à noter que les spectacles en matinées scolaires seront précédés, en lever de rideau, de la courte chorégraphie Voler par milliers de Mélodie Duchesne-Pelletier, gagnante 2015 du concours chorégraphique pour élèves du secondaire Marquer la danse.

Finalement, fidèle à mon habitude, je propose un petit tour sur le Web.
Allez satisfaire votre curiosité. Donnez-vous quelques points de référence supplémentaires sur Roméo et Juliette.

En versions ballet :
Classique avec Rudolf Noureev en tant que Roméo dans la scène du balcon (1966) avec Margot Fonteyn en Juliette ou en tant que chorégraphe (1977), ou en version ballet contemporain de Thierry Malandain (2010).

En versions films :
La version de Franco Zeffirelli (1968) , celle de Baz Luhrmann (1996) , la version de Carlo Carlei (2013)  ou même celle d’Yves Desgagné (2006). Sans oublier l’adaptation géniale faite dans West Side Story et son merveilleux prologue.

En comédie musicale :
De Romeo Et Juliette (2001) de Gérard Presgurvic  à Giulietta E Romeo (2008) de Richard Cocciante.

En musique et chanson :
La version intégrale de la symphonie dramatique de Berlioz, un extrait de la composition Roméo et Juliette de Tchaïkovski, de celle de Nino Rota, sans oublier Charles Aznavour qui nous sérénade en italien (Noi andremo a Verona) que nous aussi, un jour, « Nous irons à Vérone ».

Chroniques du regard 2014-2015 – So Blue par Louise Lecavalier

Louise Lecavalier est à Québec pour présenter le spectacle So Blue. Créé par elle et dansé en compagnie de Frédéric Tavernini depuis sa création au festival TransAmériques en 2013, ce spectacle événement est très attendu. Mettant en vedette une véritable star, icône et égérie de la danse contemporaine québécoise depuis les années 1980, So Blue reçoit, partout où il passe, éloges et admiration.

Photo: André Cornellier

Photo: André Cornellier

C’est mon deuxième texte sur Louise Lecavalier depuis que je présente les spectacles de La Rotonde dans mes humbles chroniques. En relisant mon article de 2012 écrit lors de sa précédente visite avec Children et A Few Minutes of Lock, je ne peux que réitérer mon amour et mon admiration pour une telle artiste. Généreuse, vibrante, passionnée, tout en étant simple, ouverte et connectée sur la réalité humaine, elle se dit sensible au plaisir d’être toujours une débutante, une femme qui aime mieux apprendre que connaître. Pour mieux la connaître, une sympathique entrevue télé ou la captation en images d’une entrevue radio en anglais qui dévoile sa personnalité très attachante.

C’est le résultat d’une intense recherche gestuelle que l’on retrouve dans le spectacle So Blue. Une mise en spectacle de la redécouverte constante du mouvement humain et de ses possibilités. So Blue débute comme une mise en forme simple et précise qui pourrait être accessible à tous, n’eut été de la vitesse vertigineuse qui s’empare rapidement de chacun des gestes de Lecavalier. Tout cela se complexifie assez rapidement, dès les premières minutes. On y reconnait certains gestes tirés du ballet ou de l’entrainement du boxeur. Cette entrée canon essoufflerait la plupart des spectateurs, éblouis de la performance physique de la danseuse.

Accompagnée d’une musique rituelle et envoûtante et dans des éclairages magnifiques, sur un plancher découpé par des rectangles de lumières qui peuvent devenir des corridors discontinus, elle continue ensuite à évoluer sur un train d’enfer. Les mouvements deviennent plus intrigants, abstraits ou exploratoires. Par exemple, à un moment donné, à quatre pattes, elle gratte le sol comme un animal pris en cage, quadrupède ou insecte prêt à s’envoler. Après plusieurs minutes de cet entraînement spartiate, une pause. En fait, une pose de yoga : “At one point, she gathers herself into a long and perfectly balanced headstand, her breath audible in anguished gasps. She looks powerfully Zen and poignantly human.”(Judith Mackrell).  Quoi de mieux que trois minutes d’équilibre sur la tête pour se reposer du quinze minutes de régime infernal qui a précédé?

Je ne dévoilerai pas tous les détails mais je tiens à témoigner mon admiration devant l’absolu contrôle de l’interprète-chorégraphe sur chacun de ses gestes. Et quand elle contacte directement le public de son regard perçant, elle dégage un tel charisme et une telle immanence de la danse que j’en ai ressenti une émotion profonde, même en voyant le spectacle sur un écran d’ordinateur. Pour un praticien comme moi, qui a le même âge qu’elle et qui pratique aussi depuis quelques décennies, ce fût un plaisir rare de la voir, en quelques sortes, réinventer l’essence même de la danse.

Oui, la structure du spectacle est un peu décousue et pourrait bénéficier d’une ligne narrative ou d’un développement dramatique plus serrés mais l’intérêt n’est pas là. Il est dans la dépense physique, dans l’abandon à l’effort et, dans la deuxième partie du spectacle, dans la relation qu’elle peut créer avec son partenaire.

Apparaissant d’abord comme un géant auprès de la danseuse, Frédéric Tavernini intègre graduellement les mêmes impulsions qu’elle, les traduisant à travers son corps à lui. Ils se rejoindront parfois dans des danses sautillantes, rebondissantes ou faites de roulades, ou alors dans des mouvements similaires d’ouverture et de fermetures des bras, leur permettant de partager et de mettre en commun leur espace vital, partageant leurs kinesphères. Il deviendra ensuite vecteur ou même moyen de transport, dans un voyage qu’elle effectuera sur son dos mais sans toutefois profiter du repos que pourrait lui offrir un support si solide (elle tient tout au long ses jambes arquées, soulevées vers l’arrière). Dans la dernière scène, les immenses bras de l’homme deviendront enfin contenant, cadre et support permettant à Lecavalier de s’éclater encore, dans plusieurs directions.

Vous aurez compris que le spectacle est extrêmement exigeant pour les interprètes. Ce qui m’amène à traiter d’un phénomène un peu difficile à expliquer mais que vous pourrez facilement reconnaître et identifier. Le spectateur ressent des choses (dans son corps, dans sa chair) pendant que, selon la critique de Marie Juliette Verga : « Louise Lecavalier fouille son corps pour trouver la danse. Au plus près des muscles, des tendons, des os mais aussi du souffle. Déesse d’air et de pierre, elle offre de la danse pure et ébranle le spectateur en titillant la mémoire du mouvement archaïque et fondateur… ». C’est ici que l’on parle du phénomène de l’empathie kinesthésique, transfert d’informations, ressenti de chair à chair, entre la personne sur scène et celle dans la salle.

Ce champ d’étude propre à la phénoménologie se rapporte au phénomène au cours duquel le spectateur ressent dans son propre corps le mouvement de l’interprète. Christine Leroy y étudie, dans son texte « Empathie kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre » le phénomène à l’œuvre entre corps de l’interprète et corps du spectateur en mobilisant les concepts de « chair » en phénoménologie et d’« espace transitionnel » en psychanalyse. Elle y formule l’hypothèse de la nature médiatrice du corps mû sur scène, c’est-à-dire de sa vertu à révéler au spectateur ses affects inconscients sources de mouvement et d’émotion, rendant ainsi possible l’articulation de l’artistique au sensible à travers le corps-vécu (mû et ému). Dans « Corps mouvant « charnel » et phénoménologie de l’empathie kinesthésique » , elle souligne le paradoxe qui existe à constater la possibilité d’une « empathie kinesthésique » entre un individu « acteur » et un autre « spectateur », c’est-à-dire la transmission d’une émotion de corps à corps ou plutôt, de chair à chair : « … En se faisant spectacle, la danse comme le théâtre mettent en scène les désirs qui meuvent l’individu par-delà toute rationalité. Ce faisant, le spectateur dont l’attention est, toute entière, tendue vers la scène, s’éprouve comme « chair » vécue et mue au travers de l’interprète qui se fait support de la tension – et de l’attention – du spectateur. »

Grâce à la scène, le spectateur peut éprouver désir organique et tension motrice. Voilà certainement une des clés du succès indéniable de So Blue. Voir la danseuse et son partenaire bouger avec tant de vigueur et de dépassement initie en nous, spectateurs en apparence immobiles, un plaisir tout aussi vital de bouger pour continuer à nous sentir vivants et vibrants, sensibles à l’écho de la danse venue du fond des temps et actualisée pour nous par notre star nationale, Louise Lecavalier, que vous pourrez voir aussi dans la section « corps virtuose » de l’exposition Corps rebelles du Musée de la Civilisation, en cours jusqu’en février 2016.

Chroniques du regard 2014-2015 – Les Chaises par Pierre-Paul Savoie

Les Chaises de Pierre-Paul Savoie, c’est quoi? C’est un excellent spectacle qui devrait plaire à tous les enfants, de 8 à 88 ans !!!

C’est pour vous si vous aimez la danse-théâtre, les personnages, les mondes imaginaires et le surréalisme.

C’est pour vous si vous voulez voir l’adaptation chorégraphique d’un chef-d’œuvre mondial du théâtre contemporain.

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Photo: Rolline Laporte

 

La pièce de théâtre Les Chaises à l’origine du spectacle de PPS Danse co-présenté par La Rotonde et le Théâtre jeunesse Les Gros Becs, a été créée en 1952 par Eugène Ionesco (1909-1994). Qualifiée de tragi-comédie et de farce tragique, Les Chaises est un exemple patent du théâtre de l’absurde qui est, selon la définition trouvée sur théâtre-contemporain.net: «une dramaturgie dans laquelle le non-sens et le grotesque recèlent une portée satirique et métaphysique ». Nouveauté des années 1950 et porté entre autres par deux auteurs français toujours populaires sur les planches internationales, Samuel Beckett et Eugène Ionesco, le théâtre de l’absurde utilise de grands thèmes existentialistes (aussi retrouvés chez Sartre et Camus) pour colorer la vie des personnages souvent retrouvés errants, immobilisés ou figés dans le temps.

Une entrevue de fond (Radio-Canada, 1961) menée par Judith Jasmin avec Ionesco sur la création de la pièce de théâtre Les Chaises est disponible sur Internet : partie 1 (10:18), partie 2 (10:12) et partie 3 (05:06). Rappelons ici qu’Eugène Ionesco, qui fût élu « immortel » par l’Académie française est aussi l’auteur des célèbres pièces La Cantatrice chauve, La Leçon, Le Roi se meurt et Rhinocéros (présenté en 2013 au Théâtre du Trident).

À l’origine, Les Chaises est une pièce de théâtre pour adultes. Celle qui fût responsable de l’adaptation du texte original pour le rendre plus accessible aux enfants pour le projet de PPS est Lise Vaillancourt, romancière et auteure dramatique prolifique qui  a été, dans les années 1980, une des figures dirigeantes du Théâtre Expérimental des Femmes tout en participant à la fondation de l’Espace Go. Madame Vaillancourt est actuellement présidente du Centre des auteurs dramatiques ainsi que professeure à l’École Nationale de Théâtre du Canada et à l’Université de Sherbrooke.

Les personnages et l’argument : deux vieillards (âgés de 94 et 95 ans, complices depuis 75 ans) vivent reclus et s’ennuient. Entourés de dizaines de chaises, le Vieux et la Vieille s’accrochent l’un à l’autre, se soulèvent, se portent mutuellement. Avant de mourir, le vieux souhaite révéler à l’humanité un message universel. Pour y arriver, il invite de nombreux personnages invisibles qui se bousculent à la porte et un Orateur qui l’aidera à traduire ses pensées.

Les interprètes :

Sylvain Lafortune, diplômé de l’École supérieure de Grands Ballets Canadiens, il danse professionnellement depuis 1979. Pour plusieurs compagnies prestigieuses, il a interprété sur les scènes internationales tout un répertoire classique et moderne et, depuis 1999, travaille à la pige dans plusieurs projets de danse contemporaine (entre autres, récemment pour Estelle Clareton (S’envoler), Benoît Lachambre et Montréal Danse (Prismes). Enseignant et conseiller artistique pour l’École nationale de cirque de Montréal, il est aussi expert dans le travail de partenariat en danse.

Heather Mah, diplômée de l’Université Concordia, fait carrière en danse contemporaine (interprétation et enseignement) depuis le milieu des années 1980.

David Rancourt, diplômé de LADMMI en 2003, est aussi un professionnel multi-tâches de la danse : enseignant, répétiteur, conseiller artistique, membre de conseils d’administration…  Interprète très actif sur les scènes montréalaises autant qu’internationales. On l’a vu ici dans les récentes productions de Marie Chouinard, José Navas, et PPS danse. Il a été collaborateur chorégraphique pour Les Chaises et on le reverra à La Rotonde en mai, en tant qu’interprète dans Ravages d’Alan Lake.

La création d’une nouvelle version: Après avoir travaillé sur l’œuvre de Jacques Prévert (Contes pour enfants pas sages) Pierre-Paul Savoie s’est tourné vers l’adaptation pour enfants de la pièce Les Chaises faite par Lise Vaillancourt. En approfondissant sa recherche chorégraphique (interaction danse-théâtre et chant), il s’est inspiré cette fois du théâtre de l’absurde et de la tragi-comédie. La puissance de l’imaginaire s’y oppose à l’isolement et à l’ennui, dans un univers dansé marqué par la poésie clownesque. Des indications scéniques (didascalies) données par Ionesco dans le texte même ont été utilisées comme base pour certaines sections chorégraphiques et les formidables habiletés physiques et expressives des deux excellents interprètes du vieux et de la vieille ont grandement aidé à la mise au monde du projet.

Les ateliers d’initiation et de médiation culturelle sont importants dans tout le travail de PPS Danse. Dans le cas de cette création, le processus artistique et le travail de recherche ont été nourris par une série d’ateliers avec des aînés sur le thème de l’ennui (à la base même de Les Chaises de Ionesco).

On retrouve dans le spectacle certains éléments caractéristiques du théâtre de l’absurde: refus du réalisme, lieu imprécis, irréalité du temps qui passe, climat de fin du monde, utilisation du langage parfois ridicule, rappel de la condition humaine dans son absurdité…

En marge du spectacle

Pierre-Paul Savoie est un chorégraphe qui a beaucoup créé. Parmi les autres œuvres majeures de sa compagnie, nous retrouvons Bagne, une première version pour 2 hommes en 1993 (chorégraphie et interprétation: Jeff Hall et Pierre-Paul Savoie) qui a ensuite été transformée en une version pour femmes (créée en 2000 pour les interprètes Carole Courtois et Sara Williams). Une troisième version de la chorégraphie est prévue pour bientôt. Contes pour enfants pas sages et Danse Lhasa Danse ont aussi connus de grands succès.

Et en terminant, fidèle à mon habitude, je propose un petit tour sur le Web afin de satisfaire votre curiosité et donner quelques points de référence sur d’autres adaptations de la pièce Les Chaises :

Tout d’abord, le merveilleux extrait (05:09) d’un téléthéâtre réalisé par Roger Iglesis en 1962 (vous pourrez acheter l’intégrale) ainsi qu’un extrait (02:20)  de la mise en scène récente de Luc Bondy.

Ensuite, un entretien radio (1975, 14 minutes) de Claudine Chonez avec Ionesco intitulé « Les Chaises ; Le Réel et l’Imaginaire ».

Plus une version danse-théâtre de la compagnie Théâtre du corps mise en scène et chorégraphiée par Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault, créée à Avignon en 2014 et présentée en deux formats: tout public (1h10) ou jeune public (50 minutes).

Enfin, une exploration théâtrale de la pièce par la troupe Belarus Interactive Theatre Moustache (40:37) ainsi qu’une version opératique (41:34) présentée en Californie en 2012 par Kevin Zhang.

Chroniques du regard 2014-2015 – Idiom et Ruminant Ruminant

Programme double : IDIOM de Jennifer Dallas et Bienvenue Bazié (Kemi Contemporary Dance Project) et RUMINANT RUMINANT de Brice Noeser

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Photo: Frédéric Chais

 

Le spectacle, c’est quoi : ce sont deux duos indépendants l’un de l’autre, d’une quarantaine de minutes chacun. Ce sont quatre interprètes d’origines diverses qui vous feront voyager dans leurs créations, leur imaginaire et leurs processus créatifs.

C’est pour vous si vous aimez : accompagner pas à pas une danse en évolution (Idiom) ou en création devant vos yeux (Ruminant Ruminant).

C’est pour vous si vous voulez : suivre des artistes dans la démonstration claire de leurs savoir-faire (Idiom) et suivre des artistes dans les jeux et problèmes qu’ils s’imposent, tout en s’amusant sur scène (Ruminant Ruminant).

IDIOM est l’œuvre collaborative entre Jennifer Dallas, danseuse, chorégraphe, professeure et directrice artistique de la compagnie Kẹmi Contemporary Dance Projects basée à Toronto et le danseur burkinabé Bienvenue Bazié (notes biographiques ici).

L’œuvre présente les fruits d’une rencontre entre leurs mondes respectifs. Créée en 2011, elle métisse les codes gestuels en visant l’abolition des frontières afin de célébrer le langage physique dans son universalité et célèbre le plaisir qu’on peut y retrouver malgré les différences culturelles et sémiologiques.

Dans un espace ouvert (contrairement à leur collaboration précédente dont la scénographie était composée de bancs devenant frontières et barrières), les bases gestuelles de la rencontre sont simples. Sur une musique du compositeur John MacLean, la danse se construit par accumulation de détails et la construction chorégraphique est facile à suivre pour le spectateur.

Riches de multiples expériences de collaborations interdisciplinaires et interculturelles (en plus du Burkina Faso, la chorégraphe a aussi travaillé en Afrique du Sud, en Israël, au Niger et en Russie), les danses de Jennifer Dallas s’intéressent toujours aux interactions humaines et questionnent les conceptions du soi et de l’autre.

Ancré dans le phénomène contemporain de mondialisation, son corpus d’activités l’amène à explorer différents manières de partager amitiés et découvertes et à trouver différentes occasions et partenaires pour présenter ses créations. En tournée, la compagnie Kemi aura présenté le spectacle Idiom à Montréal ainsi qu’à Ouagadougou (Burkina Faso) et dans quelques villes ontariennes.

RUMINANT RUMINANT de Brice Noeser, est créé en collaboration avec Karina Iraola : danseuse-comédienne, interprète et chorégraphe montréalaise.

Dans une ambiance théâtrale et dénudée, la scène et la salle sont fortement éclairées. La présence des interprètes y est celle de gens normaux et naturels. Leurs actions le sont un peu moins.

Dans (et malgré) une structure très établie, la chorégraphie se créée devant les yeux du public car le spectacle comporte de nombreuses surprises. Pour les interprètes, cela inclut des jeux de tâches follement impossibles à effectuer, question de surcharger le cerveau, quitte à provoquer quelques courts-circuits. Pour le public, cela inclut un travail de décodage des informations offertes, qui sont souvent plus complexes qu’au premier abord, mais aussi parfois totalement gratuites.

Cela peut parfois être très amusant pour les interprètes comme pour le public mais aussi, à d’autres moments, un peu désorientant. C’est là la force et le potentiel écueil du travail de Brice Noeser. Selon le communiqué de presse de la Rotonde, les deux interprètes  «… jouent à creuser le vide, vider le plein et remplir les mots, les pensées et les mouvements de contraintes, de problèmes ou de sens. Ils réfléchissent à des stratégies pour s’encombrer, s’emmêler, surcharger leurs corps et leurs esprits de propos labyrinthiques et de nœuds dansés. Dans cette pièce, où il joue avec le concept du silence dans la parole et dans la danse, Noeser s’intéresse au sens et au non-sens des mots et des mouvements et s’interroge sur le langage pour tenter de comprendre et sonder l’être humain. »

Et selon le dossier de presse de TangenteRuminant Ruminant…  « ça ne parle pas de bovins, ça ne parle pas d’amour, ça ne parle pas anglais, par contre ça parle chez soi, en studio, sur scène. Ça parle de tout et de rien, ça danse aussi, ça peut même chanter… un festival de jeux et d’interactions qui s’apprivoisent, le temps de comprendre où ça s’en va ».  Pour se faire une idée encore plus précise, voir une courte entrevue effectuée lors du travail de création.

C’est avec les conseils artistiques de Catherine Tardif  que nous revient sur scène Brice Noeser. Lui qui présentait Farfadet’s Last Round durant la saison 2009/2010 de La Rotonde pour ensuite devenir interprète pour la chorégraphe Estelle Clareton dans Je ne tomberai pas – Vaslav Nijinski, S’envoler (présenté par La Rotonde en 2011), S’amouracher ainsi que dans une nouvelle production pour jeune public qui sera sur scène à l’automne.

Lui qui a aussi travaillé dans la nouvelle création Paradoxe de Danièle Desnoyers (Cie Le Carré des lombes) ainsi qu’avec Peter Quantz pour la compagnie Montréal Danse.

Le spectacle, composé de séquences et de gestes gratuits et décalés (mais le sont-ils vraiment?), est aussi inspiré de l’univers de différents créateurs tels les chanteurs Philippe Katerine et Serge Gainsbourg, et des univers présentés dans les spectacles récents Les Rois du Suspense de Grand Magasin et Germinal de L’amicale de Production présenté au Carrefour de Théâtre 2014.

Comme le notait un critique lors des premières représentations en décembre dernier, Brice Noeser est : « … un chorégraphe qui défie nos attentes à tout moment dans une pièce où l’on ressent une grande liberté».

Chroniques du regard 2014-2015, no 4 – Grouped’ArtGravelArtGroup, Usually Beauty Fails de Frédérick Gravel

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Photo: Denis Farley

Usually Beauty Fails de Frédérick Gravel

C’est quoi :

Usually Beauty Fails est un spectacle de danse contemporaine hybride et non conventionnel préparé dans la mouvance de la jeune génération des chorégraphes montréalais. On le nomme ici concert de danse, ce qui implique la fusion intime d’un concert de musique rock et d’un spectacle de danse. Créé en novembre 2012, ce spectacle a déjà une quarantaine de représentations à son actif et récolte des éloges partout où il passe, autant en Amérique du Nord qu’en Europe. Il sera présenté trois soirs au Grand Théâtre de Québec.

C’est pour vous si vous aimez : les œuvres hybrides, la musique rock et les spectacles un peu irrévérencieux.

C’est pour vous si vous voulez : rester à jour dans les nouvelles tendances en danse contemporaine et suivre un chorégraphe qui a actuellement beaucoup de succès partout où il passe.

C’est qui ?

Diplômé universitaire en danse, Frédérick Gravel a créé récemment les pièces Gravel Works (extraits vidéos via YouTube  et Vimeo), Tout se pète la gueule, chérie (extraits vidéos via Vimeo), Usually Beauty Fails et  Ainsi parlait… , toutes créées à Montréal et ensuite présentées en France et en Europe. Il est cofondateur du collectif chorégraphique La 2e porte à gauche et aussi membre de Circuit-Est, un centre chorégraphique situé à Montréal. Visionnez le reportage vidéo où dans le cadre des 25 ans de Circuit-Est, le chorégraphe Frédérick Gravel, parle des services et des implications du centre chorégraphique dans l’univers de la danse contemporaine. Il est aussi auteur d’un mémoire de maîtrise intitulé:  Le rôle de l’artiste dans la société démocratique (UQAM, 2010).

Mentoré par le chorégraphe d’expérience Daniel Léveillé, dont la compagnie se donne la mission de « soutenir la création, la production et la diffusion sur le plan régional, national et international des œuvres et projets artistiques…, et supporter la réalisation de projets d’artistes qui provoquent et relancent la recherche et la pratique de la danse contemporaine »,  Frédérick Gravel est entre autre mis en vedette dans le film de Guillaume Paquin  Aux limites de la scène avec deux de ses collègues chorégraphes de la même génération, ceux qui  bousculent et provoquent la danse contemporaine: Dave St-Pierre, parfois décrit comme l’enfant terrible de la danse québécoise et Virginie Brunelle qui présentait récemment à La Rotonde Complexe des genres et Foutrement.

Comme le dit Fabienne Cabado dans un article du Voir, « Frédérick Gravel est l’un des pionniers de cette génération de chorégraphes qui veulent briser l’image élitiste de la danse contemporaine pour en élargir le public. Son truc: faire du spectacle une fête en emmenant son band sur scène et s’adresser au public entre deux tounes pour parler avec humour et intelligence de l’art et de la vie. Il est sympathique, la musique de ses shows est emballante et sa danse est des plus actuelles: physique, énergique et sensuelle. Ayant tout pour plaire, il s’affiche comme une étoile montante sur la scène internationale. »

Sur scène, seront présents :  Stéphane Boucher, Francis Ducharme, Frédérick Gravel,  Vincent Legault, Brianna Lombardo, Frédéric Tavernini, Jamie Wright. Comme la chorégraphie roule depuis deux ans et que la majorité des interprètes en danse contemporaine sont des pigistes, la distribution de tournée est légèrement différente de celle de la création, ce qui s’intègre bien dans le processus de Gravel qui parle alors de «successeur» dans un rôle et non de «remplaçant» en ajoutant que: « c’est organique. Chacun apporte sa couleur et nourrit le projet… Pour les danseurs, personne ne remplace exactement un autre. On trouve la pièce qui va avec le nouveau casting, on se passe des partitions dansées un à l’autre pour équilibrer les présences sur scène de chacun et garder le truc vivant. » Extrait de maculture.fr.

C’est comment ?

Créé à Montréal en novembre 2012 et soutenu par les producteurs de Danse Danse, Usually Beauty Fails s’inscrit en ligne directe avec les productions précédentes de Gravel, ovationnées ici et en Europe. On y retrouve, selon Émilie Côté « la signature du chorégraphe: des créations hybrides, entre un spectacle de danse et un show rock. Des numéros qui se succèdent comme des chansons. Gravel danse, chante et joue du clavier. Il s’adresse à la foule entre les pièces, tel un chanteur. »

Donc, durant près de 90 minutes, trois musiciens et six danseurs s’activent avec une énergie pop-rock dans un spectacle structuré en différentes scènes. Le déroulement est ponctué des interventions verbales de Gravel et le spectacle est typique de l’approche du Grouped’ArtGravelArtGroup, c’est à dire très collectif. Le chorégraphe est sur scène avec sa bande. Parfois, il danse. Parfois, il parle. Parfois, il joue de la musique ou chante.

Tel qu’expliqué dans une longue entrevue (en anglais) réalisée au Danemark en mai 2014, la chorégraphie aborde différents thèmes : éveil et perspective des spectateurs, la beauté qui peut décevoir, la séduction, le fait de donner une voix aux artistes, de faire de l’espace, d’être aussi « live » que possible et de faire des liens avec l’inévitable culture pop.

Au fil des représentations, le projet reste ouvert et malléable. Si la forme générale est bien arrêtée, elle reste désinvolte, éclatée par moments et s’adapte aux aléas. Les représentations, qui questionnent aussi l’état et la présence des danseurs (Cathia Engelbach parle de « l’immobilité apparente – de celles qui renferment un frisson sous-jacent »), contiennent toujours un élément de recherche. Dans une série d’avancées et de reculs, le spectacle évolue sans cesse et, tout en gardant un esprit de fête, Gravel veut sans cesse continuer « au moins trois choses qui font du bien : toucher le spectateur « à la tête, au cœur et au sexe ». Extrait de M le magazine du Monde.

Le spectacle, qui peut aussi amener une série de questionnements sur le quotidien, est parfois analysé de manière très sérieuse, quand on dit par exemple qu’il s’appuie sur « une structure narrative qui fait fi de toute linéarité, de sorte à garder (le public) constamment actif, voire sur ses gardes. Devant son travail, démêler l’expérience réflexive de l’expérience sensible relève de la jubilation pataphysique ou de la distanciation brechtienne. Le spectateur glisse de l’une à l’autre, entre l’évidence des corps engagés dans l’action et le détachement critique mêlé à l’autodérision. À travers son approche, Frédérick Gravel cultive l’ambiguïté artistique, la transversalité culturelle et disciplinaire, l’ironie postmoderne. » extrait du site web Daniel Léveillé danse.

Au final, ne manquez pas l’occasion de voir ce groupe pour la première fois à Québec et profiter ainsi de ce spectacle très actuel, présenté récemment avec grand succès au théâtre de la Bastille à Paris, ainsi qu’en tournée à Rome, Seattle et Vancouver. C’est le spectacle à voir avant leur prochaine production à Montréal : un cabaret à l’Usine C (Première à la Nuit Blanche, suivie d’une série de représentations en mars).

Chroniques du regard 2014-2015, no 3 – Arielle et Sonia, Femmes-bustes par RootlessRoot + Les femmes de la Lune Rouge par Annie Gagnon

Photo : Emmanuel Burriel

Photo : Emmanuel Burriel

Le spectacle : deux interprètes d’expérience en danse contemporaine présentent un spectacle d’environ une heure vingt composé de deux duos créés expressément pour elles par des chorégraphes invités. Après 10 ans de terreau artistique au Musée de la Civilisation, elles souhaitaient développer un autre aspect de leurs activités chorégraphiques. C’est dans une recherche de mouvements authentiques et à travers un entraînement de « Fighting Monkey », qu’elles ont voulu explorer des zones très personnelles tout en restant connectées sur de profondes envies de se faire plaisir. Dans le travail de création/répétition, intenses et instinctives, elles y ont exploré les conflits, testé leurs limites et se sont préparées à recevoir des coups. En spectacle, elles dévoilent leur animalité et leur sensualité avec force et puissance brutes. Rien n’est joué. Tout est dans le ressenti!

C’est pour vous si vous aimez les danses intenses et bien ficelées, les scénographies épurées et un musicien « live » sur scène.

C’est pour vous si vous voulez profiter de la présence scénique de deux interprètes expérimentées, cherchant de nouvelles voies à leurs besoins d’expression, et découvrir deux univers chorégraphiques différents mais complémentaires.

La compagnie Arielle et Sonia :

Arielle Warnke St-Pierre et Sonia Montminy sont interprètes en danse contemporaine. Devenues professionnelles expérimentées et présentes sur les planchers de danse, de théâtre et de cirque de façon assidue depuis une quinzaine d’années, elles ont récemment changé le statut de leur collaboration (auparavant un collectif) pour fonder la plus jeune compagnie de danse contemporaine à naître dans la ville : la compagnie Arielle et Sonia. Toutes deux graduées en danse-interprétation à L’École de danse de Québec, elles sont très actives dans la communauté de danse de la ville de Québec.

Le répertoire de leur nouvelle compagnie sera composé de commandes chorégraphiques faites à différents artistes de la danse et leur premier spectacle (en tant que compagnie) fait une suite logique aux nombreuses collaborations entre les deux danseuses et le Musée de la Civilisation.  Depuis plusieurs années, en effet, les deux interprètes ont intégré les thèmes et concepts de différentes expositions dans des performances exécutées dans les salles même d’expositions diverses. Cette fois-ci, quoique les thèmes des chorégraphies y prennent leur origine, leur danse sort du Musée.

D’une part, le thème de la chorégraphie Les femmes de la Lune Rouge d’Annie Gagnon est tiré d’une exposition récente (Samouraï).  Une première version de cette chorégraphie, présentée dans les salles de l’exposition en 2013, cherchait à s’inspirer de  la dimension sacrée et des paradoxes de la féminité, du rituel et des cycles de transformation. La nouvelle version a continué le développement de ces thèmes mais amène le duo d’interprètes dans une direction légèrement différente et dans une mise en scène totalement renouvelée.

D’autre part, le thème de la chorégraphie Femmes-bustes, du duo Frucek/Kapetanea (RootlessRoot) est inspiré en partie de l’exposition en cours (Les maîtres de l’Olympe) mais celle-ci a été construite totalement à l’extérieur des salles d’exposition et ne fera l’objet d’aucune présentation dans les murs du Musée.

Les chorégraphes :

Depuis 2006, Linda Kapetanea et Jozef Frucek de la compagnie RootlessRoot  ont développé le « Fighting Monkey Research Programm », une recherche sur le mouvement appliquant des principes éducationnels d’entraînement et de pratique tirés des arts martiaux. Ces principes sont orientés vers le combat et la lutte lorsqu’ils sont appliqués à la danse. Dans un art du partenariat basé sur la recherche du vide et sur l’écoute de l’autre, les danseurs apprennent à bouger ensemble, parfois de manière sauvage mais toujours sécuritaire, sans prévoir ni présupposer de ce qui peut survenir pour la suite des choses.

À travers un travail intense (voir la vidéo : Fighting Monkey try) et précis (voir la vidéo : Fighting Monkey feet work) , les développeurs de cette méthode sont intéressés par la recherche de liberté, loin de l’intellectualisation du mouvement, loin de ce que la personne pense connaître ou ignorer, loin de ce dont elle se croit capable ou non. Malgré le titre de la méthode, ils ne veulent pas former des singes; le « singe » dont il est question est celui qui est dans la tête de la personne et la rattache à ses croyances. Il est la créature qui peut bloquer les possibilités, l’imagination et la créativité. Cette façon de s’entraîner, proposée par RootlessRoot, devient donc une manière de comprendre les habitudes de mouvements à travers les interactions. Elle permet de tester les limites et, éventuellement, d’élargir les possibilités physiques et les horizons créatifs des danseurs.

Depuis la mise ne place de cette méthode, les danseurs qui s’entraînent avec le duo Frucek / Kapetanea s’attaquent parfois à des tâches très concrètes (comme l’équarrissement de bûches du bois ) et peuvent y développer un vocabulaire gestuel très particulier (comme cette course de chien). Les stages d’entraînement  donnent parfois lieu à des classes ouvertes ou servent de base à la commande chorégraphique pour une nouvelle création du duo, comme dans le cas des chorégraphies Bulldog ant  et UNA Unknown Negative Activity. Dans les productions récentes du duo RootlessRoot, le projet Eyes in the colors of the rain se rapproche de l’esthétique proposé dans Femmes-bustes. Dans une proposition chorégraphique intense, le duo de créateurs fait référence à la transformation et à la destruction archétypale des héros de la mythologie ancienne.

Annie Gagnon (de Montréal) –  à ne pas confondre avec Annie Gagnon de Québec qui présentait le spectacle Noire en mai dernier dans la saison de La Rotonde – est une danseuse et chorégraphe qui a été remarquée pour ses œuvres précédentes présentées dans la métropole en 2010 : La Marche Invisible, la Biche Lumineuse  et le Lapin Samouraï qui l’ont menée à son premier spectacle solo Reviens vers moi le ventre en premier  qui présentait un univers de transformations, proche de l’art performance, questionnant la féminité archétypale dans lequel elle était mi- femme, mi- animal. Ce spectacle récent était présenté par Tangente au Théâtre Prospero.

Dans son œuvre pour le duo Arielle et Sonia, la chorégraphe amène les interprètes dans l’exploration de différents « états de corps » clairs et définis, laissant beaucoup de place à l’instinct. Son  » objectif, c’est toujours de créer un monde, un univers dans lequel le spectateur, grâce à son propre lexique et son bagage personnel, va voyager et ressentir ses propres sensations « . Extrait de La femme, cet animal sauvage, par Margot Cascarre.

En conclusion, vous êtes encore une fois invités à la découverte : deux interprètes avec leur nouveau statut officiel de compagnie de danse, deux chorégraphes à découvrir et deux univers complémentaires mettant en scène deux danseuses explorant différents aspects de la féminité.

Chroniques du regard 2014-2015, no 2 – Danse K par K, Danse de garçons par Karine Ledoyen

danse-de-garcons-danse-k-par-k-photo-david-cannon-8Présenté au Théâtre Le Périscope, Danse de garçons est la reprise d’un spectacle présenté avec grand succès par le Carrefour International de Théâtre de Québec en 2013.  Le titre est tout à fait descriptif. Il y a de la danse (les amateurs ne seront pas déçus) et il y a des garçons. Ils sont sept, ils sont intenses, ils sont sincères dans leurs démarches et leurs corps sont totalement investis dans le mouvement.

C’est pour vous si vous aimez les organisations ludiques et la dépense d’énergie faite sans retenue, ainsi que les interprètes sur scène qui incarnent leurs propres personnages, c’est-à-dire des humains dans leur réalité (qui se rencontrent, s’apprivoisent ou se confrontent les uns les autres).

C’est pour vous si vous voulez voir, dans un nouveau cadre, une flopée de jeunes comédiens talentueux qui ne parlent ici « qu’avec leurs corps ».

Les garçons, c’est qui ? Ce sont six comédiens actifs sur les différentes scènes actuelles (Charles-Étienne Beaulne, Jean-Michel Girouard, Éliot Laprise, Jocelyn Paré, Jocelyn Pelletier et Lucien Ratio), tous sortis du conservatoire d’art dramatique de Québec entre 2005 et 2011, auxquels s’ajoute Fabien Piché, danseur professionnel diplômé de L’École de danse de Québec en 2010.

Danse de garçons, c’est quoi ? C’est une série de jeu et de joutes qui se succèdent pendant presqu’une heure. Dans des actions parfois proches de la performance, les scènes se développent en alternant les aspects ludiques et explosifs, voire épiques et fantastiques de la représentation théâtrale. Les échanges entre les interprètes se font parfois à sept, parfois en plus petits groupes, mais servent toujours de base à une rencontre complice entre individus. « Cela démarre avec une séance de réchauffement remplie de testostérone et du simple plaisir d’amplifier la masse de son corps vers l’épuisement. Cela glisse et roule et se frappe et s’accroche comme des électrons fous qui remplissent la fosse. » Source: Alain-Martin Richard, Jeu.

On y retrouve « … des courses folles, des relais énigmatiques, des jeux d’adresse, des luttes et des rixes où la sueur coule à flots, les muscles se tendent et les corps se crispent et se palpent ne nous laissent aucun répit. » Source: Josianne Desloges, Le Soleil

La scénographie est très efficace. D’abord présenté comme une pile de bois, de vrais madriers sont manipulés de différentes manières par les interprètes. Parfois éléments de décor, parfois accessoires, ces lourds bouts de bois demandent un effort physique véritable pour être bougés ou transportés et les dangers dans leurs manipulations sont réels. Dans une alternance de tableaux lents ou plus explosifs, ils deviendront indices de territoire à habiter ou de limites à ne pas franchir, symboles d’armes ou véritables supports pour des mouvements d’équilibre. Ils serviront, tout au long du spectacle, à définir le décor, transformable et modulable, selon les différentes scènes. « S’ils aiment construire, ils prennent également un malin plaisir à détruire, à créer le chaos. Faisant office de décor, les madriers font un boucan d’enfer, se révèlent lourds, demandent une bonne force physique pour les déplacer. Le danger de se blesser est bien réel. Les interprètes souhaitaient un engagement fort, une vraie mise en danger. Ici, rien de métaphorique : une grosse planche de bois sur la tête, ça fait mal ! Le parcours du spectacle suit le parcours du bois, qui devient tour à tour radeau, patinoire, route, langue, labyrinthe, chemin de croix… » extrait du Cahier pédagogique accompagnant le spectacle.

Petit historique des hommes qui dansent

De tout temps, dans tous les pays et dans toutes les civilisations, les hommes ont dansé entre eux (sans les femmes!). On retrouve des danses chamaniques utilisées pour différents types de cérémonies (Kecak dans le film Baraka) et des danses pour entraîner les soldats (la pyrrhique de la Grèce antique) et les préparer à la guerre, autant chez certains amérindiens que chez les soufis turcs. On retrouve des danses qui ont fait office d’instruments de socialisation pouvant aider la noblesse dans son insertion à la cour  et, dès le XVIIe siècle, on retrouve des danseurs de ballet qui sont professionnels dans leur pratique. Les rôles de ces derniers ont évolué passant, à travers les âges, d’interprètes de rôles féminins à « porteurs de danseuses romantiques » pour redevenir danseur étoile dans toute sa légitimité, comme Guillaume Côté. Cette légitimité du danseur vedette est d’ailleurs célébrée lors de gala comme “Kings of Dance”.

D’autre part, on retrouve des danses créées pour être interprétées par les hommes entre eux, comme dans les lupanars argentins à la fin du XIXe siècle (voir un extrait de film où Valentino et Nijinski dansent un tango) ou directement dans les rues de Brooklyn dans les années 1960-70: le break dance et le hip-hop, qui continuent d’évoluer).

Aux États-Unis, Ted Shawn (1891-1972), un des premiers représentants de la danse moderne, a  créé une compagnie exclusivement masculine dont les chorégraphies mettaient de l’avant mouvements athlétiques et thématique « virile », comme dans « Kinetic Molpai » (1935). Chez nos voisins du sud, on retrouve aussi, maintenant, des programmes universitaires mettant l’accent sur le développement du danseur masculin.

Le spectacle Danse de garçons offre une atmosphère remplie de testostérone et de célébration de la vie dans laquelle on se rapproche d’une recherche d’authenticité et de découverte de soi à travers le mouvement et dans laquelle on s’éloigne des danses traditionnelles et des clichés sur la danse qui persistent malgré tout. Pour les clichés et les manières de les désamorcer, je vous invite à lire le chapitre 7 de Danser : enquête dans les coulisses d’une vocation de Pierre-Emmanuel Sorignet intitulé : « La danse, c’est pour les filles et les pédés ». Pour les stéréotypes du danseur strip-teaseur, il faut voir la bande-annonce de « Magic Mike » et la participation de concurrents à différents concours de popularité télévisés.

Pour terminer, avant de vous inviter une dernière fois à aller voir le spectacle Danse de garçons qui ne sera présenté que quelques jours, je vous recommande l’extrait d’un autre spectacle, créé récemment pour et par de jeunes hommes. Issu d’une autre culture, le spectacle de Radhouane El Meddeb Au temps où les Arabes dansaient…  mélange cabaret, danses traditionnelles et music-hall en proposant un spectacle festif, généreux et ouvert, en forme d’ode à la liberté.

Chroniques du regard 2014-2015, no 1 – Mathilde Monnier/La Ribot, Gustavia

gustavia-mathilde_monnier-la-ribot-photo-marc-coudrais-2Pour la quatrième fois, j’accompagnerai tout au long de l’année les spectacles chorégraphiques présentés par La Rotonde; pour chacun d’eux, un texte publié avant la présentation en salle afin de mettre l’œuvre en contexte. Ces textes pourront élargir les connaissances sur les courants artistiques et esthétiques portant ou influençant l’œuvre et l’artiste. Les informations incluses dans mes chroniques pourront ainsi servir à alimenter les discussions qui, irrémédiablement, tendront à surgir après chacune des représentations.

Et je répète, comme chaque année en début de saison: le but de mes chroniques n’est pas d’expliquer en mots les danses et les spectacles ni de les critiquer. Mon but est de présenter l’œuvre mais surtout de vous encourager à vous déplacer, à aller assister aux spectacles dans leurs lieux de diffusion, avec les artistes vivants devant vous, pour y faire réellement et en direct une expérience sensible, émotive et artistique.

Le premier spectacle de la saison, conçu et interprété par Mathilde Monnier et La Ribot, est présenté deux fois, les 24 et 25 octobre.

Gustavia, c’est pour vous si vous aimez :

  • les artistes matures et en pleine maîtrise de leur art.
  • les scènes de burlesque classique (comme dans le cinéma de Peter Sellers, Jacques Tati, des frères Marx, Buster Keaton, Charlie Chaplin et Nanni Moretti…), un art de l’excès qui transforme l’incompétence en compétence, utilisant le corps qui se dépense dans la répétition et l’accident.

Gustavia, c’est pour vous si vous avez aimé le duo « Me So You So Me »  présenté en janvier 2014. Pour la forme simple (un duo), les relations claires mais constamment changeantes, les surprises visuelles et une présence scénique déjantée.

Gustavia, c’est pour vous si vous voulez réfléchir autour de questions classiques et de sujets intemporels : la femme et la féminité, la mort, le théâtre, l’origine du rire, l’artiste, l’avenir de l’art et particulièrement si vous êtes intéressés à l’avenir de la représentation théâtrale.

Gustavia, c’est pour vous si vous voulez questionner la mise en abyme de la danse et sa nécessaire transdisciplinarité.

Gustavia, c’est quoi C’est la mise en scène de deux interprètes matures pour un même rôle fictif. Présenté à travers le jeu et le corps de deux quinquagénaires habitées, aux corps agiles et fermes, Gustavia est investie d’une mission périlleuse : illustrer métaphoriquement la femme et sa féminité tout en questionnant la compétition inhérente à celle-ci. Le « besoin pour la femme moderne d’être déesse en tout : déesse sexuelle avec un corps de rêve, bonne mère, épouse attentionnée et femme de carrière avec une conscience politique, c’est-à-dire être une sorte de monstre de perfection. » Source: Sherri Kronfeld, www.culturebot.org

Et tout cela présenté dans une ambiance de saltimbanques, afin de ne pas être victime. Voir les extraits (05 : 06)

Créé en 2008 pour le festival Montpellier danse, Gustavia prend la forme d’une performance burlesque. (Le burlesque est un courant théâtral qui trouve son origine dans le music-hall mais aussi dans la lointaine commedia dell’arte. Des traditions auxquelles il emprunte la pratique de l’improvisation (apportant aux performances scéniques fraîcheur, spontanéité et vitalité), le burlesque intègre dans sa pratique le « slapstick » comprenant chutes et collisions ainsi que le striptease. Les figures québécoises du théâtre burlesque québécois les plus connues sont Olivier Guimond (père et fils), Paul Berval, Claude Blanchard, Gilles Latulipe et Rose Ouellette, dite La Poune.
Gustavia présente un humour décapant dans un face-à-face chorégraphique. La rigueur physique y est au service de l’investissement charnel. Le discours, amené de manière poétique, est affirmé et sans complexe. Malgré son apparente légèreté, Gustavia offre une critique féministe complexe en s’intéressant aux demandes faites aux femmes de « jouer » leur genre (au théâtre comme dans la vie de tous les jours).

Gustavia, c’est … Mathilde Monnier (Mulhouse : 1959-…), danseuse et chorégraphe, référence du milieu de la danse contemporaine française. Après avoir dirigé le Centre Chorégraphique National de Montpellier Languedoc-Roussillon  à partir de 1994, elle  dirige désormais le Centre national de la danse à Pantin en France. Récipiendaire de nombreux prix prestigieux, elle est reconnue depuis les années 1980 pour repousser les frontières chorégraphiques et déjouer les attentes en proposant des expériences scéniques toujours extrêmement variées. Par exemple : travail sur Antigone, sur la démence de Nijinski ou sur La mort du cygne de Pavlova, hommage à Merce Cunningham et travail à L’Opéra de Berlin, ou même collaboration aux concerts du chanteur Philippe Katerine. En parallèle, on retrouve dans son corpus quatre films[i] et trois livres[ii]   Pour plus de renseignements à propos de Mathilde Monnier, visionnez sa biographie via Wikipedia et un ensemble de photos et vidéos via le blogue Mouvement.

Gustavia, c’est … La Ribot (Madrid : 1962-…). Artiste multidisciplinaire prolifique, elle a vécu et travaillé à Londres de 1997 à 2004 où elle a créé nombre de spectacles de danse primés (intégrant dans ses œuvres danse contemporaine, art en direct, performance et vidéo), La Ribot vit maintenant à Genève où elle enseigne au département consacré aux arts vivants de la Haute école des beaux-arts et de design (HEAD).  Pour plus de renseignements, voir sa biographie via Wikipedia et des vidéos via Viméo.

En 2012, elle créait entre autres une chorégraphie pour le Ballet de Lorraine et participait à l’inauguration d’une exposition dédiée à son œuvre au Musée d’art contemporain de la ville de Mexico.

Pour plus de détails sur les deux artistes, voir ce bel article issu du blogue du Théâtre de la Cité.

Gustavia, c’est construit comment ? Sous le signe de la satire et de la performance post-moderne, le spectacle Gustavia dure une heure. D’une construction formelle cohérente mais qui ne sera pas évidente pour tous, le spectacle frappe d’abord par son visuel. Tout recouvert de lourds rideaux de théâtre noirs (même le sol), l’espace scénique est présenté comme un écrin. Les déplacements en talons sur les vagues de tissu instables sont périlleux et deviendront rapidement chutes et cascades. L’éclairage est violent. Sans merci, il rappelle un garage sous-terrain ou une salle d’abattoir. Les costumes noirs sont sobres mais avec un côté sexy, mettant en lumière la peau découverte.

Tout d’abord concours de pleurs, la relation des deux interprètes est alimentée tout au long par une compétition typique de jeunes filles s’amusant à essayer de « faire craquer » l’autre. Les scènes se succèdent, parfois entrecoupées d’une courte escapade en coulisse, le temps d’un léger changement de costume ou d’accessoire. Les mouvements sont répétitifs et c’est dans leurs détails qu’évolue la dramaturgie. Une même scène passant parfois en cavalcade du comique au tragique, de l’inquiétant au troublant et, comme le dit Ismene Brown sur le site The ArtsDesk.com, les mouvements ou les poses utilisées sont parfois « terribly undignified ».

Présenté un peu partout depuis sa création en 2008, Gustavia a reçu un lot de critiques généralement très élogieuses. Elles ont traité de sa facture post-moderne et burlesque, de son aspect féministe, de son empreinte culturelle (spectacle très français et marqué par la non-danse) et de la joie du public à recevoir un tel spectacle :

« Gustavia is a bizarre mix of sexy slapstick, a peepshow for people with a knee fetish, a feast of literary references and a celebration of woman as a multi-faceted anti-hero». Source: Andrew Hardwidge et Jamila Johnson-Small, Bellyflop Magazine.

 « L’énergie et les rires déployés par ces deux femmes fusent et se transmettent au public, avec une générosité jamais démentie d’un bout à l’autre du spectacle. Gustavia, parenthèse poétique ; une danse ouverte sur l’autre, une démonstration de courage qui n’exclut pas la déclaration d’amour… et d’indépendance…  Infinie tirade à deux, semi-improvisée, et agrémentée de mimes, de sauts dans les aigus, de caricatures politiques, de bonds dans l’imaginaire, d’une palpable complicité. La joie monte entre elles deux, jusqu’à s’envoler, jusqu’à grimper (littéralement) aux rideaux… » Sarah Elghazi, www.lestroiscoups.com

« En explorant un domaine souvent réservé à des hommes, La Ribot et Monnier ont dévoilé une facette surprenante et personnelle du burlesque. Il est évident que ce dernier a toujours eu un rapport étroit avec le corps. La finesse d’esprit demeure sa condition sine qua non. Les deux artistes l’ont dépoussiéré avec élégance. » freesia.over-blog

« En inventant Gustavia, les deux chorégraphes ont travaillé « le face à face comme une forme classique du théâtre » mettant en œuvre codes et fondamentaux de la scène : les rideaux, les spectateurs, le bord de scène… Notamment inspiré par les films de Chaplin ou de Keaton, ce « duo pour un clown à deux têtes » tente de questionner le burlesque au féminin. Plus plastique que comique néanmoins, il séduit d’abord par son élégance. Gustavia est une curiosité. » Cityvox.fr

« In France, Gustavia may be lauded as a precocious hoot. Seeing it in New York, you just feel very American. You want it to be faster, funnier, cleverer. Even Monnier and La Ribot’s fervid performances—truly, their tenacity is laudatory—can’t transform this satirical buffoonery into something stirring. There’s nothing here that you haven’t seen the Real Housewives do countless times before. » Erin Bomboy

Bon spectacle !

 

[i]  (Chinoiseries et Bruit blanc, réalisés par Valérie Urréa, E pour eux réalisé par Karim Zeriahen et Vers Mathilde, documentaire réalisé par Claire Denis)

[ii] (Dehors la danse et Allitérations en collaboration avec Jean-Luc Nancy, MW avec la photographe Isabelle Waternaux et l’écrivain Dominique Fourcade)