La Rotonde
En
En

Author Archive

Chroniques du regard 2013-2014, No12: Kidd Pivot, The Tempest Replica de Crystal Pite

Kidd Pivot Frankfurt Rhein Main "New Work"

Crystal Pite est une chorégraphe prolifique œuvrant dans les ligues majeures de la danse contemporaine. Elle danse et chorégraphie depuis plus de vingt ans. Fréquentant les meilleurs[i], elle dirige aussi la compagnie Kidd Pivot, basée à Vancouver, qui avait présenté « The You Show » dans la saison 2011-2012 de la Rotonde[ii]. Les sept danseurs de la compagnie sont de nouveau à Québec pour présenter une audacieuse adaptation dansée d’une pièce de théâtre écrite par Shakespeare en 1611.  Le spectacle « The Tempest Replica » (chorégraphié en 2011 par Crystal Pite, ensuite retravaillé en 2013) est présentée en codiffusion par La Rotonde, le Grand Théâtre de Québec et le Carrefour international de théâtre.

1.- La pièce

Classique parmi les classiques, La tempête  de Shakespeare (1564-1616) est décrite comme : « une tragi-comédie abordant la noirceur de la nature humaine (tant « primitive » que « civilisée ») de manière apaisée, une pièce pleine d’ironie où cohabitent avec bonheur un comique truculent et une poésie aérienne ». [iii] Si le public manque souvent de référence face à cette œuvre (quoique plusieurs versions récentes aient été présentées[iv]), on verra que pour remédier à cette lacune et afin de bien camper la compréhension de la trame narrative de la pièce, Crystal Pite utilise un moyen ingénieux.

La pièce originale de Shakespeare est en 5 actes et compte une vingtaine de personnages. On y suit : « Prospero, le duc de Milan, déchu et exilé par son frère, (qui) se retrouve avec sa fille Miranda sur une île déserte. Grâce à la magie de ses livres, il maîtrise les éléments naturels et les esprits ; notamment Ariel, esprit positif de l’air et du souffle de vie, et Caliban, être négatif, symbole de la terre, de la violence et de la mort. Usant de magie et d’illusions, Prospero crée une tempête qui fait s’échouer le bateau du roi et du duc usurpateur de Milan. Il fait alors subir aux naufragés diverses aventures destinées à venger leur traîtrise, mais qui se révéleront initiatiques pour tous. Dans une mise en miroir entre nature et artifice, Shakespeare entraîne comme jamais le spectateur dans le dédale et l’illusion du théâtre, pour mieux le prévenir contre les miroitements du réel et les mirages de la raison. »[v] (Texte intégral en anglais  et en français. [vi])

Très  riche d’interprétations, la pièce ne doit pas être réduite à sa lecture uniquement politique ou devenir une métaphore de la colonisation (Shakespeare a écrit cette pièce à l’époque des grandes explorations et des découvertes de nouvelles terres par les empires européens). Elle est surtout « une réflexion quasi métaphysique  sur le pouvoir et la liberté des hommes dans ce monde, dont seul l’amour semble sortir vainqueur… faisant s’affronter trois  pouvoirs : le pouvoir réel des rois de ce monde, celui de l’amour et celui de l’illusion. »[vii]

2.- Le spectacle

Donc, afin que le public comprenne bien dans quel univers se situe le spectacle, celui-ci est présenté en deux parties successives, présentant deux mondes parallèles, possédant le même ADN dramatique mais aux esthétiques complètement différentes.

Dans la première partie, d’une trentaine de minutes, on raconte l’histoire. Une exposition des différentes parties de la pièce de théâtre de Shakespeare est faite à partir de pantomimes, de personnages masqués, de projections et de jeux d’ombres. Le mouvement semble tiré d’arrêts sur images où, par exemple, une tête penchée d’une certaine manière peut dévoiler au public la nature et les intentions de personnage. Tous les personnages, à l’exception de Prospéro, sont sans visages, tout en ayant un signe distinctif permettant de les identifier : couronne, épée, robe, …

En deuxième partie du spectacle (environ 40 minutes), la danse apparaît. Les personnages sont désormais des personnes réelles, qui bougent d’une manière opposée à ce qui a été présenté depuis le début. La chorégraphe ayant raconté l’histoire en première partie, elle peut ici laisser libre cours à la danse, explorer les trajectoires émotives dans le corps des danseurs ainsi que la transposition gestuelle des relations entre les personnages. Des relations intenses pour Prospéro, autant avec lui-même qu’avec les monstres et sa famille ou avec ses désirs de pouvoir et de vengeance, en opposition avec l’amour qu’il porte à sa fille. « Les danseurs prennent des gestes et des positions connues du public. Ils les exagèrent, les concentrent, les isolent, les élèvent pour que ce qui reste et se retrouve sur scène soit au-delà des mots. »[viii] Pour la chorégraphe, il s’agit d’« une très belle histoire du choix de l’amour au-dessus du pouvoir et de la vengeance ».

Pour la chorégraphe, au début du travail sur ce projet, il s’agissait de « mettre en mouvement une première impulsion : transposer l’idée du naufrage dans un corps en mouvement. Comment porter cela sur une scène ? Puis-je en faire une chorégraphie ? Un projet fou, repoussé plusieurs fois, car le public connait moins cette histoire de Shakespeare et ne peut s’y référer aussi facilement qu’avec Roméo et Juliette. Pour y arriver, le récit a d’abord été réduit à une suite de gestes et de positions mis en place sous la forme d’un storyboard (la première partie du spectacle) pour ensuite chorégraphier les relations entre Prospéro et les autres personnages (la deuxième partie). »[ix]

3.- Quelques liens sur le Web :

Pour voir un extrait de “The Tempest Replica”  https://youtu.be/160_fRFWzlU   (03: 18)

Pour un article de fond sur l’artiste et sa carrière : https://www.telegraph.co.uk/culture/theatre/dance/10765274/Crystal-Pite-Every-time-I-ask-myself-why-am-I-doing-this-in-dance.html   

Pour un article de fond sur la mise au monde du projet « The Tempest Replica » :
https://m.theglobeandmail.com/arts/theatre-and-performance/taking-on-the-tempest-from-two-different-angles/article18492487/

https://youtu.be/lBPcr5lzHuw  (03: 02) Une courte entrevue sur Kidd Pivot et “Tempest Replica”.

https://youtu.be/cOjTd4Oa-js  (11: 40) Une conférence par la chorégraphe. Février 2014.

https://youtu.be/QG5S31Q7DPM   (38: 36) Une conférence intitulée “Crystal Pite: Conflict is Vital”.

https://youtu.be/gqqYCKSlCgs   (39: 30) Dance Talks: Gus Solomons jr on Crystal Pite’s Kidd Pivot.  Dance artist Gus Solomons jr shares his thoughts on choreographer Crystal Pite’s approach to dance and introduces her work “The Tempest Replica”.

4.- Ce qu’en disent les autres

“Pite is an image maker of rare distinction”  THE AUSTRALIAN

“Pite brings a refined lyricism which transforms everything she touches.” THE OBSERVER

“She is one of the most sought-after choreographers of her generation.” THE GLOBE AND MAIL

“The Tempest Replica : Hauntingly odd and original” (4 stars out of 5) THE TELEGRAPH


[i] Chorégraphe à la signature distinctive, Crystal Pite, a été pendant de nombreuses années membre du Ballet de Francfort, sous la direction de William Forsythe. Fondatrice de la compagnie Kidd Pivot, dont le siège est à Vancouver depuis 2001, elle est aussi chorégraphe associée en résidence au Nederlands Dans Theater, au Sadler’s Wells de Londres et au Centre national des Arts à Ottawa, en plus d’être très demandée tout autour du globe.

[ii] “The You Show” https://youtu.be/Z38suCkaISI   (02 : 44)  Bande-annonce officielle.

[iv] Plusieurs versions récentes…dont deux mises en scène de Robert Lepage (l’opéra de Thomas Adès, coproduction Festival d’Opéra de Québec et Metropolitan Opera de New York (2012), ainsi que la pièce de théâtre présentée à Wendake (2011), adaptée aux coutumes huronne-wendake) ; The Tempest (2010) film de Julie Taymor mettant en vedette Helen Mirren. Une version théâtrale a aussi été présentée au Trident, en 1998 et le texte du triptyque Coriolan, Macbeth et La tempête, transposé en québécois par Michel Garneau.

[vi] Vous en voulez plus en français : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Temp%C3%AAte  offre 4 différentes traductions.

[viii] Extrait d’une conférence par la chorégraphe (février 2014).  https://youtu.be/cOjTd4Oa-js  (11 : 40)

[ix] Entrevue sur le site du Sadler’s Wells Part 3  https://youtu.be/drHnBLi9TFc   (01: 34)

Chroniques du regard 2013-2014, No11: Bouge de là, Ô lit ! d’Hélène Langevin

006 O lit_ph SONeill

Depuis près de quinze ans, elle a ravi les enfants de la région, et leurs parents, lors des prestations de ses cinq spectacles précédents[i]. Fidèle à son habitude, la compagnie Bouge de là revient à Québec pour présenter « Ô lit ! », un spectacle de danse contemporaine spécialement créé pour le jeune public par la chorégraphe Hélène Langevin en collaboration avec les cinq interprètes.[ii]

Si vous connaissez et avez déjà vu un spectacle de la compagnie Bouge de là, vous serez ravis de leur retour. Si vous ne la connaissez pas, allez voir les extraits vidéo des spectacles précédents[iii] et vous ne serez pas difficile à convaincre. Vous pourrez y constater la constance et la qualité supérieure du produit offert. Récipiendaire de nombreux prix et de reconnaissances publiques importantes[iv], l’œuvre chorégraphique se poursuit maintenant avec le spectacle « Ô lit! », un spectacle créé à Montréal en janvier 2014.

« Ô lit ! » est un spectacle de 55 minutes qui s’adresse à un public de 4 ans et plus. Composé de quatre tableaux, le spectacle amène les spectateurs dans l’univers de l’enfant qui grandit. Le lit, au centre de la scène tout au long du spectacle, est tour à tour présenté comme un objet concret mais aussi comme un objet symbolique, devenant ainsi le territoire de toutes les possibilités.

Le lit est d’abord présenté comme un cocon protégeant le nourrisson qui apprendra, lors sa première année de vie, à devenir mobile. Pour intégrer le concept de cette section, les interprètes incorporent dans leurs danses un retour aux apprentissages moteurs, intégrant dans une section follement ludique les tours et culbutes typiques aux bébés. Ensuite, dans le deuxième tableau, l’enfant grandit. Le lit devient alors le siège où s’expriment les premières colères et le lieu où il faudra apprendre à gérer émotions et trop-plein d’énergie. Dans le troisième tableau, le lit se transforme en un lieu où l’imaginaire peut prendre de l’expansion. Un lieu qui peut accueillir les jeux d’un jeune garçon, avec ses rêves d’univers fantasmagoriques peuplés de super-héros. Finalement, il devient refuge pour l’adolescent(e) et son univers chargé des préoccupations typiques de cette étape du développement.[v]

Très divertissant dans chacune de ses sections, le spectacle utilise la créativité et les forces des interprètes dans différents styles de danse contemporaine, du ballet au contact-improvisation en passant par le hip-hop, utilisant aussi des techniques plus acrobatiques et même circassiennes. Les interprètes y utilisent également leurs habilités de jeu théâtral, de manipulation d’objets et de théâtre d’ombre.

Donc, menés de main de maître par une chorégraphe d’expérience qui a travaillé auprès des enfants pendant toute sa carrière, l’atelier et le spectacle sauront faire entrer dans la tête et le cœur des spectateurs un peu de poésie, de magie et d’humour. À travers un regard tendre et juste de la réalité du développement (autant moteur que psychologique et social) des jeunes enfants, le spectacle « Ô lit ! » propose encore une fois « une expérience qui interpelle ses sensations et ses émotions et qui suscite chez (l’enfant / le spectateur) l’envie de se mettre en mouvement. De bouger de là. »[vi]


[i] « La Tribu Hurluberlu », « Comme les 5 doigts de la main », « CHUT! », « Vieux Thomas et la petite fée » et « L’atelier ».

[ii] Les interprètes du spectacle sont : Guillaume Chouinard, Emily Honegger, Myriam Tremblay, Julie Tymchuk et Nathan Yaff. La bande sonore est de Bernard Falaise et Éric Forget.

[iii] Extraits vidéos de « Vieux Thomas et la petite fée » (2008)  https://youtu.be/2pSR-Kv2I9U   (09 : 21)
« Chut ! » (2006) https://youtu.be/SP8Ly4BlOT8   (10 : 47)
« Comme les 5 doigts de la main » (2003) https://youtu.be/4dqlS_6wNHw   (12 : 35)

[iv] Selon https://www.ladansesurlesroutes.com/fr/compagnies/bouge-de-la/2012/general/ : « Cette recherche constante est reconnue par le public comme par la critique puisque la compagnie se retrouve finaliste à l’Association Québécoise des Critiques de Théâtre pour le prix de la critique dans la catégorie Jeunes publics (saison 2008-2009) avec Vieux Thomas et la petite fée. Ce spectacle, ainsi que Comme les cinq doigts de la main, est mis en nomination pour le Prix de la tournée au gala de la Bourse RIDEAU. L’atelier emporte finalement le prix en 2012. Bouge de là rayonne également hors du Québec, en plus d’être nominée pour un Dora Mavor Moore Award dans la catégorie « spectacle jeunes publics » à Toronto, elle est finaliste en 2013 en tant que compagnie artistique de l’année par BC Touring Council Annual Award (Réseau des diffuseurs de la Colombie-Britannique). La directrice générale de la compagnie, Ginette Ferland, reçoit par ailleurs le prix « Manager of the year » pour son professionnalisme et ses qualités éthiques lors de ce même gala. »

[v] Pour deux extraits vidéos du spectacle « Ô lit ! » :
https://youtu.be/0qkZgFsc5Pk   (03 : 01) et https://youtu.be/9ckIbTCtfLY   (07 : 32)

Chroniques du regard 2013-2014, No10: Noire d’Annie Gagnon

Photo: David Cannon

Photo: David Cannon

Le spectacle

En recherche et création depuis la fin 2012, la chorégraphie « Noire » d’Annie Gagnon s’annonçait grave mais, depuis le début du projet, l’idée a maturé. Elle s’est transformée et allégée. Son argument de départ (et un extrait présenté à Émergences chorégraphiques en novembre 2012[i] ) nous amenait dans une ambiance de ruines, dans des vies mises à l’envers et dans des lieux où l’espoir jaillit, mais sous les décombres de villes bombardées.

Au départ, inspirée par une période noire de sa vie et intégrant une certaine connaissance de la réalité du conflit politique de Tchétchénie, la chorégraphe (qui a visité la Russie à plusieurs reprises) a profité de ce projet pour continuer une recherche gestuelle sur la fragilité de la vie[ii] et la perte des repères. Dans ce projet, elle poursuit ainsi le développement d’un langage chorégraphique original, comportant déjà une signature gestuelle reconnaissable, phénomène assez rare chez les jeunes chorégraphes.

Soutenue par des collaborateurs expérimentés et créée en partie en résidence à La Rotonde, centre chorégraphique contemporain de Québec, cette œuvre est donc devenue un peu plus légère que son propos de base l’annonçait. Tout en continuant à miser sur un travail corporel exigeant (les deux danseuses-interprètes y sont en marathon), Annie Gagnon crée une gestuelle précise qui prend place sur et dans quelques objets usuels, eux-mêmes inclus dans une scénographie imposante de Guylaine Petitclerc. Éclairé par Caroline Ross, le lieu scénique est aussi habité par un musicien: Raphaël Dubé y promène son violoncelle, jouant « live » quelques compositions originales de Diane Labrosse et Katia Makdissi-Warren.

La chorégraphe

Après avoir complété une maîtrise en anthropologie (Université Laval, 2005), Annie Gagnon change son parcours professionnel et débute une formation en danse contemporaine dans le programme de formation supérieure de L’École de danse de Québec. Elle en ressort diplômée en 2009. Dès sa sortie de l’école, elle danse dans l’événement Osez! à Québec (chorégraphes Mélanie Demers et Catherine Tardif) et à Newport (chorégraphe Louise Bédard). Elle fait aussi partie de la distribution de Cinq Humeurs (Emmanuel Jouthe), de La Noce (Harold Rhéaume) et de 275 km du collectif Rencontre sur l’autoroute.

Ensuite, elle devient interprète pour  le théâtre des Incomplètes  (Les Noctambules), le metteur en scène Hanna Abd El Nour (Imagination du monde)  et le chorégraphe Mario Veillette (Père et Mère et Bach, le mal nécessaire[iii]), entre autres. On l’a aussi vu lors des matchs d’improvisation et du spectacle Œuvre sociographique de la compagnie Code Universel.

En tant que chorégraphe, elle présente en 2010 D’Eux et Éphémère. En 2011, elle produit un programme double, diffusé par La Rotonde, comprenant Cocoon (chorégraphie : Annie Gagnon) et Les larmes d’Anna K. (chorégraphie : Louise Bédard). En 2012, elle chorégraphie 2.__, un court duo (à la base du spectacle Noire), diffusé par La Rotonde à Québec et par Tangente à Montréal. Finalement, elle chorégraphie en 2013 pour les finissantes du programme danse-interprétation de L’EDQ, sous l’égide de sa compagnie « D’Eux »[iv], fondée en 2012.

Il faut aussi noter qu’il existe deux jeunes femmes actives dans le milieu de la danse contemporaine au Québec qui portent le nom Annie Gagnon. Celle dont il est question depuis le début habite et fait carrière presqu’exclusivement ici à Québec. L’autre, basée à Montréal, vient quand même nous visiter régulièrement.[v]

Les interprètes

Les deux interprètes Mélanie Therrien et Isabelle Gagnon sont deux danseuses d’expérience diplômées de l’EDQ (respectivement en 1999 et 2004). Deux femmes de petit gabarit (ce que recherchait la chorégraphe), elles sont vues régulièrement sur les scènes de danse et de théâtre à Québec. Fort talentueuses, elles sont énergiques et n’ont pas peur de se défoncer, particulièrement dans la chorégraphie exigeante qu’est Noire, dont les écoulements de sable du plafond peuvent mettre Isabelle au défi et dont une structure en pente abrupte demande à Mélanie de déployer des efforts impossibles au commun des mortels.

L’Événement Québec Danse

Notre milieu de danse contemporaine, qui vise à devenir un pôle incontournable de la danse professionnelle au Québec[vi], comprend toute une variété d’approches et de styles chorégraphiques. Lors des activités de « Événement Danse Québec» qui se tient en plusieurs lieux cette semaine[vii], de multiples facettes des activités courantes en danse à Québec seront présentées. Le spectacle Noire, en plus de faire partie de la saison régulière de La Rotonde, est cette année intégré dans les présentations et activités diverses dans l’édition locale[viii] de cet événement national.

Les objectifs de la Journée Internationale de la danse (lancée en 1982 par L’UNESCO)[ix] sont de réunir le monde de la danse, de rendre hommage à la danse, de célébrer son universalité et, franchissant toutes les barrières politiques, culturelles et ethniques, de rassembler l’humanité toute entière en amitié et paix autour de la danse, langage universel. Chaque année, un message au public est écrit par une personnalité de la danse, allant de Merce Cunningham (1990) à Kazuo Ohno (1998) en passant par William Forsythe (2001), Mats Ek (2003), Sasha Waltz (2007) et Sidi Larbi Cherkaoui (2012). Cette année le message international est écrit par le chorégraphe français Mourad Merzouki, qui dit son texte dans une très belle vidéo promotionnelle : https://youtu.be/cy_c6250I1E   (03 : 50). Le message canadien, quant à lui, est écrit par  Santee Smith, directrice artistique de la troupe Kaha:wi Dance Theatre :

« Que la danse anime votre vie. Faites place à la danse dans votre vie; que la danse l’inspire. Que la danse lie votre esprit au monde des vivants. Que la danse exprime la puissance de votre âme, votre volonté d’exister, ici et maintenant. Que la danse résonne de votre mémoire ancestrale, afin que votre ADN déploie ses vrilles jusqu’aux générations futures. Invitez votre corps à se mouvoir, à parler cette langue sans mots. Dansez la poésie de vos rêves. Découvrez en vous ce paysage intérieur qui n’aspire qu’à s’incarner. Fermez les yeux pour mieux retrouver le rythme des battements de cœur, la première des musiques perçues par la conscience des hommes. Soyez témoin de ce corps particulier qui danse, là et maintenant, ou étonnez-vous de cette foule qui bouge en un ensemble parfait. Que la danse témoigne de votre transfiguration métaphorique, artistique, rituelle, cérémonielle et extatique. Que la danse vous énergise, vous revitalise. Renouez vos liens avec les rythmes de la Terre. Engageons-nous dans la voie de la guérison et envers nous-mêmes pour mieux ainsi danser ensemble notre humanité. Laissez la danse transformer la vie… Joignez-vous à la célébration et la cérémonie de la vie; joignez-vous à la danse ».



[ii] Préoccupation à la base des « personnages-insectes » de Cocoon, chorégraphie présentée en 2011.

[v] On a pu la voir récemment au Musée de la civilisation (Exposition Samouraï), au Grand Théâtre dans le spectacle Danse Lhasa Danse, deux fois au programme du Bloc-Danse  et dans l’événement « La petite scène » au Cercle le mois dernier.

[vi] Sur son site web, le Conseil de la culture de Québec et Chaudière-Appalaches rappelle que « plus de 40 ans d’histoire marquent le cheminement de la danse professionnelle à Québec. Celle-ci s’est taillée une place significative dans la vie culturelle de la ville et même à l’extérieur, au point où elle est maintenant considérée comme un pôle incontournable de la danse professionnelle. La ville compte en effet sur la présence de compagnies, de chorégraphes et d’interprètes établis, dont plusieurs sont reconnus à l’échelle nationale et internationale. Les compagnies de Québec font d’ailleurs partie des compagnies québécoises qui effectuent le plus de tournées au Québec ».

[vii] Ces activités, qu’elles soient « Journée Internationale de la danse », « Semaine nationale de la danse » ou « Événement Danse Québec » sont habituellement tenues autours de la dernière d’avril. Elles commémorent, le 26 avril, le jour anniversaire de la naissance du danseur et chorégraphe français Jean-Georges Noverre (1727-1810), créateur du ballet moderne.

[viii] Pour la programmation locale, voir le site du Conseil de la culture : https://www.culture-quebec.qc.ca/evenement-quebec-danse-2014/programmation-2014/

Pour le programme détaillé des activités de la semaine nationale de la danse, voir aussi :

https://www.cda-acd.ca/fr/programs-services/international-dance-day 

https://www.quebecdanse.org/agenda#!programmation=serie$activits-dans-la-rgion-de-qubec/2207

[ix] Et dont la première édition à Québec date de 1999.

Chroniques du regard 2013-2014, No9: Tragédie d’Olivier Dubois

Photo: François Stemmer

Photo: François Stemmer

Dans cette chronique, je vais tenter d’éclairer le spectacle-événement Tragédie, qui arrive en ajout à la saison régulière. Après avoir présenté brièvement le propos de la pièce et le parcours du chorégraphe, je situerai Tragédie dans le corpus de créations d’Olivier Dubois car ce spectacle a été créé en totale cohérence dans la suite des recherches chorégraphiques de l’artiste qui n’a pas, « out of nowhere », eu le flash de mettre 18 danseurs nus sur scène pour attirer du public.

À voir si vous aimez : les spectacles-événements, les chocs esthétiques, l’énergie brute.

À ne pas manquer si vous avez aimé les récents spectacles de danse de : Hofesh Schechter[i], « Corps de Walk »[ii] et Batsheva[iii].

1.- Le spectacle :

Tragédie est une œuvre coup-de-poing devenue le coup-de-cœur de nombreux critiques. Dans ce spectacle d’une durée de 90 minutes, souvent qualifié comme étant le meilleur spectacle du festival d’Avignon en 2012, le chorégraphe français Olivier Dubois veut faire vivre aux spectateurs « l’expérience d’une humanité aveuglante, éblouissante… assourdissante »[iv]. Il souhaite que, lors de cette quête, une humanité transpire du corps des interprètes.

Sur une scène vide, neuf femmes et neuf hommes se présentent dans une nudité totale qui les débarrasse de toutes connotations historiques, sociologiques ou psychologiques. Dans une série d’allers et de retours incessants, qui commencent de manière militaire et dont les mouvements semblent sans intentions, ils arrivent à construire, avec des gestes très codifiés, une chorégraphie « manifeste, obsessionnelle, voire hypnotique où, dans un mouvement de sac et de ressac, ces femmes et ces hommes se fondent et disparaissent; le frottement de leurs engagements crée le fracas. »[v]

Présentée en trois parties (Parade, Épisodes et Catharsis) et rythmée par la pulsation musicale, métrique et techno de François Caffenne, la chorégraphie est surtout composée de divers martèlements du sol qui font que, à chaque pas des danseurs, la pression contre le sol s’accumule. Les phrases de mouvements répétitives créent une atmosphère tribale. L’exploit des danseurs est sportif et la montée du spectacle en crescendo tend vers le sacré et l’archaïque.

2.- Olivier Dubois, chorégraphe, a tout juste 40 ans. Arrivé à la danse professionnelle à 23 ans, il a dansé une dizaine d’années pour différents créateurs aussi diversifiés que Karine Saporta, Angelin Preljocaj, Jan Fabre[vi] et Sasha Waltz. De ses années de formation, il dit: « Je bouffais de tout, car il fallait non seulement que j’apprenne à danser mais que je comprenne aussi ce qu’était la danse ». Classé parmi les 100 meilleurs du monde par le magazine Dance Europe, il fonde sa compagnie (COD) en 2007. Depuis, il s’impose comme un chorégraphe exceptionnel[vii] et dirige, depuis le début de l’année et en succession de Carolyn Carlson, le Centre national chorégraphique de Roubaix. Entre autres projets, il prépare pour 2016, sur une commande du gouvernement néerlandais, un spectacle sur le peintre Bosch.

Influencé par le mouvement de non-danse qui a caractérisé certaines productions françaises pendant presque quinze années, Olivier Dubois « préfère se définir comme auteur plutôt que comme chorégraphe, c’est qu’il ne se considère pas comme un chercheur de mouvements. Pourtant, l’intensité du geste et la puissance de l’engagement sur le plateau sont finalement des éléments marquants de ses créations. »[viii]

3.- La cohérence de cette œuvre dans le cheminement du chorégraphe :

Dans plusieurs chorégraphies de Dubois, mais surtout celles qui composent le présent cycle composé de Révolution (2009), Rouge (2011) et Tragédie (2012), la création est considérée comme « un combat pour l’humanité, un combat monstrueux. L’humanité n’est pas une réalité mais un concept vers lequel on tend, une utopie pour laquelle il ne faut cesser de se battre. C’est comme si on devait conquérir sans cesse son propre territoire, ce territoire qui est juste devant chez soi, et qu’on laboure chaque jour, avec courage et ferveur, car il faut trimer pour que la récolte soit bonne…». [ix]

Après avoir exploré la chorégraphie pour un groupe de femmes utilisant les poteaux de pole-dancing[x] (Révolution) et le solo pour lui-même (Rouge), il continue dans cette trilogie à présenter des humains qui sont frénétiquement en marche, transportant leur vulnérabilité tout en questionnant leurs volontés d’insurrection, leurs capacités à se joindre à une communauté et leurs (désirs de) résistances.

Dubois teste parfois l’endurance des spectateurs face aux mouvements répétitifs (Révolution dure 2 heures sans intermission et la partie « Parade » de Tragédie dure 45 minutes.). Il n’a pas peur des temps d’attente (pour lui, l’ennui est important) ni de s’éloigner du propos principal (pour y revenir avec encore plus de force) car l’essentiel demeure, pour lui, le fait que les corps parlent et sont porteurs d’histoire.

Les livres ayant imprégné la création de Tragédie : Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, La voix endeuillée de Nicole Loraux, La tragédie de Christian Biet et, bien entendu, La Naissance de la tragédie, de Friedrich Nietzsche, dont Dubois retient la phrase : «Par le chant et la danse, l’homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure : il a désappris de marcher et de parler et, dansant, il est sur le point de s’envoler dans les airs. Ses gestes disent son ensorcellement.»

Et finalement, pour la petite histoire, 1200 personnes ont auditionné pour faire partie de ce projet, qui a coûté 280 000 euros à produire. Pour un article sur le financement d’un tel projet : https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/07/04/le-long-et-difficile-chemin-d-un-danseur-voulant-danser_1728760_3208.html

4.- Les liens Internet :

Aujourd’hui, une grande collection de liens pour présenter l’œuvre foisonnante d’Olivier Dubois. Des bandes annonces, des extraits plus ou moins longs ou même des intégrales de spectacles. Gâtez-vous (et lisez aussi quelques « Avis de spectateurs » quand ils sont disponibles) :

« Tragédie » (2012) : https://vimeo.com/49372114   (03: 22)   Bande-annonce de Tommy Pascal.

« Souls » (2013): https://concert.arte.tv/fr/souls-dolivier-dubois-au-centquatre  (61 : 00). L’intégrale d’une chorégraphie pour six danseurs africains de six pays différents, filmée le 15.03.2014.

« Élégie » (2013)  https://www.numeridanse.tv/fr/catalog?mediaRef=MEDIA131009094724849  (12 : 30) Création d’Olivier Dubois pour le Ballet national de Marseille. 17 Danseurs.

« Prêt à baiser » (2012) https://phi-centre.com/fr/evenements/id/pretabaiser  Bande-annonce d’un duo performatif pour Dubois et un danseur de la compagnie. Sera présenté à Montréal le 29 avril.

 « Rouge » (2011) https://youtu.be/eXO4s6fHCfA   (09 : 18)  Extraits du solo d’Oliver Dubois.

« Le spectre » (2010) https://youtu.be/HpjGMUvxc1c   (03 : 52) Bande-annonce des Ballets de Monte- Carlo.

« L’homme de l’Atlantique » (2010). Extrait d’une série de duos sur des musiques de Frank Sinatra. https://www.numeridanse.tv/fr/catalog?mediaRef=MEDIA110111162137616   (02 : 57)

« Révolution » (2009) Chorégraphie pour 14 danseuses et autant de poteaux. L’intégrale dure deux heures, sans interruption. Partie 1 : https://youtu.be/hrdx26Zt8ko   (09 : 59)

Partie 2 : https://youtu.be/uvMA9000lcw   (08 : 07)

« Pour tout l’or du monde » (2006) https://vimeo.com/26963352  (29 : 56). L’intégrale du solo d‘Olivier Dubois.

5.- Pour terminer : Un dernier lien externe un peu hors-sujet.

Studies on Hysteria: https://vimeo.com/79744382  (07: 45)

Ce court-métrage amène le spectateur dans un monde inversé où la nudité est normale et le fait d’être vêtu est considéré comme étrange, voire criminel.


[i] https://www.grandtheatre.qc.ca/spectacles/hofesh-shechter-company-1454.html

[ii] https://www.grandtheatre.qc.ca/spectacles/carte-blanche-1457.html

[iii] https://www.grandtheatre.qc.ca/spectacles/batsheva-dance-company-1325.html?date=2012-02-28

[iv] Note d’intention retrouvée dans le programme de la première, présentée à Avignon en juillet 2012.

[v] Idem.

[vi] Sur le metteur en scène et chorégraphe flamand Jan Fabre, avec qui il a travaillé de 2003 à 2007 : « C’est mon maître, confie-t-il. Il a libéré l’artiste en moi, m’a aidé à grandir, à prendre une ampleur qui est la mienne. » https://www.lemonde.fr/culture/article/2013/01/03/olivier-dubois-un-feu-sans-artifice_1812596_3246.html

[vii] Pour un reportage éclair sur l’homme et sa carrière, voir « La minute du spectateur »  https://www.numeridanse.tv/fr/catalog?mediaRef=MEDIA130909180548440   (02 : 17)

[viii] https://www.104.fr/artistes/olivier-dubois.html

[ix] https://www.paris-art.com/interview-artiste/olivier-dubois/dubois-olivier/277.html

[x] « … la barre est d’abord un outil de travail. Au début de la pièce, elle sublime la danseuse qui la tient, la valorise, la rend belle puis au bout d’un moment, la notion de représentation disparaît, au bout d’une heure, la danseuse tient la barre seulement parce que c’est son travail… La barre est aussi un soutien, une béquille, un pilier et même une racine. C’est un objet qui me fascine, que l’on tourne, que l’on finit par polir… » https://www.paris-art.com/interview-artiste/olivier-dubois/dubois-olivier/277.html

Chroniques du regard 2013-2014, No8: Lorganisme, Je suis un autre de Catherine Gaudet

je-suis-un-autre-LORGANISME-photo-julie-artacho-1Cette fois, je commence ma chronique par quelques phrases qui sonneront comme une imprécation : vous aimez être à l’affût et découvrir de nouveaux talents, vous aimez les œuvres fortes et déstabilisantes, vous aimez la danse actuelle et originale. Le spectacle « Je suis un autre » est pour vous. Ne le manquez surtout pas. Vous risqueriez de le regretter, d’être passé à côté de l’œuvre légèrement subversive[i] d’une jeune chorégraphe qu’il faut commencer à surveiller car, même si elle en est à sa première visite à Québec, Catherine Gaudet commence déjà à diffuser à l’international.

La danse

Dans un espace nu, un duo (qui n’est pas un couple) vient au monde. Tout au long du spectacle, dans une intimité qui touche l’inconscient et tout en déboulonnant les conventions sociales, l’identité de chacun est questionnée : Qui suis-je en moi-même ? Qui suis-je en rapport à toi ? Et toi, qui es-tu ?

Les deux personnages sont un peu les Ines Pérée et Inat Tendu du théâtre de Réjean Ducharme : deux orphelins-jumeaux en quête d’une place dans la société mais surtout dans l’œil de l’autre. Ils vivent devant nous une odyssée d’états de corps[ii], un périple psychologique, un jeu du chat et de la souris naïf mais corrompu. Leurs jeux sont gémellaires ou amoureux, parfois violents, parfois empreints d’un humour décalé, toujours cruels de réciprocité pour les alternances de rôles dominant-dominé.

La construction chorégraphique

En collaboration avec les interprètes, la chorégraphe a créé « un duo homme-femme un véritable concentré de réflexions existentielles qui questionne aussi l’écriture chorégraphique. »[iii] Utilisant une signature de mouvements singulière, elle se démarque des chorégraphes montréalais plus connus, autant dans sa composition que dans son écriture chorégraphique.

Au départ, dans le cadre de son mémoire de maîtrise en danse à l’UQAM, Catherine Gaudet a créé quatre courtes capsules chorégraphiques (avec les interprètes actuels). Ensuite, le trio d’artistes a continué à chercher ensemble « à quoi pourrait ressembler le corps dansant si on le mettait dans une situation x et qu’il était libre de résonner en fonction des sensations, des émotions et des répercussions physiques induites par cette situation. »[iv]

Au résultat final, sur scène, les interprètes sont intenses, le jeu devient particulièrement théâtral et chacun des mouvements est lié à un état psychologique clair. Le travail de la voix, parfois surprenant, s’insère de façon naturelle dans des mouvements travaillés en studio qui sont « parti(s) d’images claires ou de situations claires qui faisaient germer un mouvement ou un état de corps, qui entraînaient des sensations ».[v]

Durant le travail de création, tout comme en performance, s’ensuit chez les danseurs un flot de sensations envahissant les corps. Ceux-ci doivent réagir sans se soucier des conventions sociales et des standards établis. De nouvelles façons de bouger surgissent, fournissant de nouveaux états de corps qui amènent à leurs suites images, personnages et situations renouvelées.

Les points forts 

– Les interprètes Caroline Gravel et Dany Desjardins sont fantastiques : il y a là des leçons à tirer du côté intégrité, honnêteté et simplicité (nudité sans provocation), mais aussi du côté liberté et laisser-aller.

– La singularité du propos et la vérité sous-jacente de ce qui est présenté sur scène : les propositions sortent de sources profondes et bien senties.

– La construction chorégraphique : elle happe les spectateurs dans l’univers proposé en lui laissant peu de répit tout au long du spectacle. Le contenu peut parfois mettre le spectateur mal à l’aise (moi, j’aime ça!).

– La production : les éclairages et le montage musical appuient efficacement et simplement la danse sans jamais l’écraser.

Pour terminer, je vous conseille le court extrait https://vimeo.com/52081441 (03 : 17), présenté comme suit : « Ma vie a un petit arrière‐goût de confusion. Je ne suis pas ce que je présente au monde. Ce que je veux dire n’a pas de commune mesure avec ce qui sort de ma bouche. Je surveille mes commentaires, je retiens mes gestes, je ne me lance pas spontanément sur l’objet de mon désir et mon corps ne se liquéfie pas lorsque j’essuie l’échec. Je me contiens. Je demeure droit. Souriant. Social. J’ai ma fierté. Mais en dessous, je suis une zone ambiguë et floue, je suis tout et son contraire. Je suis végétal, animal, matière en devenir. Je suis un autre. »

Pistes d’observation et d’analyse

Pour continuer sur la lancée d’une chronique récente[vi] et afin de stimuler les débuts de conversations, voici de nouvelles questions d’ordre critique et esthétique que vous pourrez vous poser:

1.- Comment la première image vous a-t-elle informé sur le contenu du spectacle ?

2.- Avez-vous parfois ressenti un malaise face à ce qui vous était présenté? Si, oui à quel sujet ?

3.- Pouvez-vous identifier différentes manières qui ont servi à déconstruire la dernière valse ?

4.- Comment avez-vous réagi à l’image qui termine le spectacle ?


[i] Catherine Gaudet déclare: « Je vois une forme de subversion dans le fait de présenter au spectateur quelque chose d’ambigu, de complexe et de le laisser faire l’effort de se forger lui-même une idée de ce qu’on voulait lui dire. » https://www.dfdanse.com/article1485.html

[ii] Philippe Guisgand définit l’état de corps comme « l’ensemble des tensions et intentions qui s’accumulent intérieurement et vibrent extérieurement » dans https://perso.univ-lille3.fr/~pguisgand/downloads/Etat%20de%20corps_Tag%20Cloud.pdf . Voir aussi le dossier spécial de la revue Spirale 242 (automne 2012) : https://www.spiralemagazine.com/parutions/242/textes/dossier.html

[iii] https://www.lyoncapitale.fr/Journal/Lyon/Culture/Dossiers/Esprit-critique/La-Maison-de-la-danse-sort-les-griffes-de-l-audace   Publié le 26/03/2014

[iv]https://www.danscussions.com/2012/03/danscutons-avec-catherine-gaudet-pre.html

[v] https://www.danscussions.com/2012/03/danscutons-avec-catherine-gaudet-pre.html

[vi] Voir ma chronique No 5.   Presque toutes les questions posées à propos du spectacle « Me So You So Me » s’appliquent ici.

Chroniques du regard 2013-2014, No7: Danse K par K, Trois Paysages de Karine Ledoyen

trois-paysages-danse-k-par-k-photo-david-cannon-1

En reprise, après le grand succès connu lors de sa création en 2013, la chorégraphie Trois paysages revient s’installer dans la Salle Multi de Méduse. Ayant déjà présenté le spectacle dans une chronique précédente[i], je me  limiterai à répéter ce que j’affirmais la saison dernière : «  Le spectacle est une réussite… Un excellent spectacle pour découvrir Karine Ledoyen dans une nouvelle étape de sa carrière… L’installation scénique est en osmose avec le reste. La danse, la musique et la scénographie s’appuient mutuellement sans s’écraser… Un élément de risque (et de surprise pour un spectateur) est aussi rajouté à chaque représentation, avec succès. »

Dans cette chronique, afin de vous aider à encore mieux apprécier les éléments sous-jacents du spectacle de Karine Ledoyen, je vais m’attarder à situer et clarifier un des courants esthétiques qui influence ce spectacle (celui des événements participatifs) et son préliminaire (l’abolition du quatrième mur).

Où est passé le quatrième mur ?

Depuis la création des salles de spectacles telles qu’on les connait aujourd’hui, elles sont principalement construites et utilisées avec une scène fixe, entourée de trois murs, sur laquelle se passe l’action théâtrale ou dansée. Le public s’assoit d’un seul côté, face à la scène. Celle-ci peut être légèrement surélevée par rapport à un public assis au parterre, ou observée en plongée (comme dans la Salle Multi lors de la majorité des présentations de La Rotonde).

Une convention existe. Elle crée un mur imaginaire entre le public  et ce qui se passe sur scène : c’est le quatrième mur[ii], enlevé comme par magie lors de la présentation des spectacles. Les artistes sur scène, ignorant alors la présence des spectateurs, peuvent agir dans des actions et réactions ne requérant aucun apport du public, qui se retrouve uniquement dans un rôle de voyeur.

Cette façon de faire traditionnelle, présente dans la majorité des spectacles, peut être mise à l’épreuve lorsque, par exemple, un acteur sur scène s’adresse directement au public : c’est ce que l’on appelle « briser le quatrième mur ». Depuis les années 1960 (début de l’époque post-moderne), ce bris de convention est aussi retrouvé dans de nombreuses émissions de télévision, dans les jeux vidéo[iii] et aussi dans de nombreux films[iv], le quatrième mur étant alors l’écran. Les exemples de personnages qui s’adressent directement au public sont nombreux et permettent la mise en contexte ou le partage d’informations supplémentaires nécessaires à une meilleure compréhension de l’événement[v], ou l’établissement d’une connivence avec le spectateur.

Spectacles participatifs et immersifs

Dans le spectacle Trois paysages, ce bris du quatrième mur prend une forme encore plus nouvelle et radicale car, cette fois-ci, c’est plutôt un spectateur qui traverse le mur pour être entraîné sur la scène. Dès le départ, il devient participant actif au spectacle et son point de vue expérientiel unique sert de matière pour nourrir la matière même du spectacle. Il devient ce que certains vont nommer un « spect-acteur », terme-sujet d’un atelier animé par Katya Montaignac dans le cadre de la formation offerte par le Regroupement québécois de la danse : Cultiver son jardin chorégraphique (UQAM, hiver 2014). Parmi les questionnements abordés : « Le spectateur à l’œuvre dans les chorégraphies contemporaines : nouvelle mode ou nouveau code? Entre interactivité et participation à tout va, faut-il à tout prix rendre le public « spect-acteur »? Pourquoi (et comment) faire participer le public en danse ? Le regardeur fait-il vraiment l’œuvre? » Il faut ici noter que Mme Montaignac fait partie du collectif montréalais « La deuxième porte à gauche[vi] », spécialisé dans les événements participatifs ou présentés in-situ.

Dans les domaines connexes à la danse contemporaine, certains spectacles de cirques, concerts musicaux et pièces de théâtre deviennent des présentations interactives en déplaçant les limites habituelles et en réorientant le rôle du spectateur. Des événements immersifs qui invitent le spectateur à « vivre le spectacle » plutôt que de le voir.

Par exemple[vii], pour les spectacles de variété ou de théâtre : 1) Le spectacle immersif Queen of the Night[viii] créé à New-York il y a trois mois par la troupe de cirque Les 7 doigts de la main. Un spectacle fusionnant la mode, la gastronomie, le cirque, la danse et le théâtre. 2) Le cabaret-cirque Le repas de Cheptel Aleikoum, où les spectateurs sont invités à venir au spectacle avec leur économe afin d’aider, en épluchant des légumes, à préparer le repas en question. 3)  La Fanfare de la Touffe, qui demande aux spectateurs de jouer de divers instruments à vent, qu’ils aient de l’expérience ou pas. 4) Sleep no More de la compagnie britannique Punchdrunk qui présente pendant trois heures, en continu et en simultané mais dans différents endroits, les multiples scènes du MacBeth de Shakespeare. C’est ici au spectateur qu’incombe la tâche de créer son propre spectacle, au rythme de ses déplacements. 5) On présente même parfois des spectacles sans « artistes » sur scène (voir les œuvres de Roger Bernat, entre autres), dans lesquels tout le déroulement se fait grâce à la participation des spectateurs.

Dans les concerts de musique, on peut noter quatre niveaux d’interactions[ix] : 1.- Le public est encouragé à participer (taper des mains, reprendre le refrain, etc.) ; 2.- Le public fait partie du spectacle (briquets, téléphones portables ou bracelets lumineux synchronisés, etc.) ; 3.- Le public monte sur scène (Une personne gagne un tirage et contribue le temps d’une chanson ou plus, …) ; 4.- Le public influence directement la tournure du spectacle (en choisissant, sur différentes plateformes électroniques, le contenu du concert).

À vous maintenant de trouver comment Karine Ledoyen défonce le quatrième mur et quelles stratégies elle utilise pour faire participer son « spectateur choisi ».

À découvrir sur le Net :

Pour l’utilisation similaire d’une reproduction vidéo de « l’œil du spectateur regardant ». Celle-ci à l’échelle énorme (Berlin, juillet 2011) : https://vimeo.com/14603797#   (01 : 52)

Pour un autre type de mur interactif : The wooden mirror (1/4) https://youtu.be/BZysu9QcceM  (02 : 19)

Le site d’un festival du spectacle vivant et multimédia, dédié aux arts immersifs. À Lyon depuis 2011 : https://www.kisskissbankbank.com/micro-mondes-festival-des-arts-immersifs


[i] Le spectacle a été présenté par La Rotonde en avril 2013. Pour la présentation générale du spectacle, voir ma chronique du regard 2012-2013 No 8 : « Du vent dans les voiles »

[ii] Le philosophe et critique Denis Diderot formulait dès 1758 l’idée qu’un mur virtuel allait séparer les acteurs des spectateurs : « Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas. » (Discours sur la poésie dramatique. Chap. 11, De l’intérêt.)

[iii] Pour plus de détails concernant le quatrième mur dans les jeux vidéos, voir : https://www.denshift.com/jeux-video/le-quatrieme-mur-dans-les-jeux-video

[iv] Une liste de 54 films utilisant ce procédé est disponible au :  https://www.madmoizelle.com/supercut-quatrieme-mur-153482

[v] Très utilisé dans le théâtre pour enfants, ce procédé recherche parfois un effet comique ou dramatique.

[vii] Six exemples sont proposées et détaillés par Absolute Event : https://www.positive-content.com/spectacles-immersifs-et-participatifs/

Chroniques du regard 2013-2014, No6: « Les mêmes yeux que toi » d’Anne Plamondon

Photo: Michael Slobodian

Dans Les mêmes yeux que toi, la danseuse et chorégraphe Anne Plamondon amène le public, corps et âme, dans un spectacle de danse théâtrale, poétique et accessible. Basé sur les luttes mentales de son propre père et présenté dans un espace scénique presque nu, le spectacle commence avec la danseuse se présentant comme la mémoire réincarnée d’un homme affligé, déambulant vers la folie (ici, assis sur le siège de son taxi). S’ensuit le périple d’une enfant devenue adulte, cherchant à comprendre ce qui se passait dans la tête de son père.

Tout au long du spectacle, en touchant sans cesse à cette fragilité, elle explore des zones grises et des aspects de la personnalité (exacerbés chez son père, mais qui nous habitent tous) causant souffrance et incompréhension. Les batailles, parfois symboliques, sont présentées par une interprète athlétique et virtuose mais comme si retenues à l’étroit, dans un corps trop petit pour contenir ces pensées illimitées.

Une danse théâtrale

La réputation de l’interprète d’expérience, devenue chorégraphe, est sans failles et  le spectacle, créé en 2012, nous arrive avec une excellente réception critique. Appuyée dans sa démarche par Marie Brassard (actrice, auteure et metteur en scène qui a agi comme œil extérieur), Anne Plamondon a pu mettre en corps un projet qui mijotait en elle depuis presqu’une décennie. Ce spectacle est-il de la danse théâtrale, de la danse-théâtre, du théâtre dansé ??? Laissons les experts se prononcer tout en essayant de faire une distinction dans ces différents types de production.

Danse théâtrale : Ensemble des danses destinées à être présentées devant public. La danse théâtrale se distingue des pratiques à caractère communautaire ou social comme les danses de société et les danses rituelles. Ne pas confondre avec le terme danse-théâtre. Source : https://www.lefrancaisenscene.ca/lexique

Danse-théâtre : Forme de danse fondée sur le mélange d’éléments chorégraphiques et dramaturgiques. Par exemple, les danseurs peuvent interpréter des personnages, combiner la parole, le chant, la danse et le jeu, évoluer dans un décor et utiliser des accessoires. Le terme allemand Tanztheater est également utilisé en français et en anglais. Synonymes : théâtre-danse, théâtre dansé, Tanztheater. Source : https://www.lefrancaisenscene.ca/lexique

Théâtre dansé : Dans les années 1980, la « nouvelle danse » française a oscillé entre « danse-théâtre » et « théâtre dansé », mettant l’accent tantôt sur une discipline, tantôt sur l’autre, notamment avec les travaux de Maguy Marin. Source : https://www.universalis.fr/encyclopedie/theatre-danse/

Théâtre gestuel : Ses comédiens évitent le langage codifié pour s’aventurer dans l’approche gestuelle, pure ou mélangée. Lorsque le théâtre gestuel est pur, il élimine toute référence au verbal. Quand il est mélangé, il utilise la voix comme geste vocal et non comme langage. Le corps théâtral y trouve ses lettres de noblesse. Source : https://www.6bears.com/formesdutheatre.html

Une danse d’introspection

La démarche autobiographique reliée à l’un des parents est assez courante en arts et plusieurs exemples scéniques directement reliés au père sont donnés en fin de chronique (Voir la liste des autres créateurs nommés plus bas). Chaque projet apporte une lumière nouvelle sur ce vaste champ exploratoire des relations humaines et sur la construction de la personnalité. Chaque projet témoigne de la sensibilité de son auteur. Pour la chorégraphe Anne Plamondon, ce thème de spectacle et sa mise en œuvre a certainement demandé une grande dose d’introspection et d’intérêt pour le récit autobiographique mais, attention, malgré l’honnêteté et l’implication personnelle dans le propos, il ne s’agissait pas de produire sur scène un exercice ou une démonstration de danse-thérapie[i], qui est une toute autre chose.

La recherche de soi présente dans le processus créatif du spectacle « Les mêmes yeux que toi » est passée par le corps et la sensibilité de l’interprète mais le résultat final ne présente aucunement une femme en thérapie ou une revendication quelconque pour une meilleure connaissance de la maladie mentale. Le résultat scénique est humain et sérieux mais moins grave que son point de départ.

Cette œuvre dansée est riche en proposition sensibles et présentée tout en délicatesses. Anne Plamondon y trouve sa place comme chorégraphe et prouve encore une fois qu’elle est l’une des interprètes les plus matures et intéressantes à voir sur scène, riche de toutes ses influences et expériences accumulées (ballet autant que danse moderne et danses urbaines).

Compléments d’information 

Pour vous aligner un peu sur le Web, voici quelques liens vers d’autres productions de danse dont le thème était aussi la recherche identitaire à travers la personnalité du père[ii]. Les œuvres sont présentées en ordre chronologique de création.

Kyle Abraham, Quarantine (2013) https://youtu.be/6M4f3aRB9gk  (09 : 25). Vidéo-danse dans laquelle un vieil homme regarde une plus jeune version de lui-même en train d’explorer un édifice autrefois utilisé pour la quarantaine lors des transports d’esclaves africains. Kyle Abraham est l’une des figures montantes de la danse contemporaine américaine. Sa compagnie sera présente à Montréal au début mars 2014.

Laurence Lemieux, Les cheminements de l’influence (2012). https://youtu.be/WwYpGIJBde8   (02 : 28).  Recherche identitaire qui passe par le père. Présentation spéciale de La Rotonde en septembre 2013.

Akram Khan, Desh (2011) https://youtu.be/59MsDSChSvM  (03 : 44). Un solo résultant d’une quête intime inspirée d’un voyage au Bangladesh, le pays d’origine de ses parents.

Helena Waldmann Revolver Besorgen (2010)  https://youtu.be/qkrZ5GrTaRY  (04 : 57). Un solo de théâtre dansé, traitant de la démence du père de Waldman, interprété par Brit Rodemund. Présenté en février 2014 par Danse-danse à Montréal.

Mario Veillette, Vieille pomme (2008) https://youtu.be/Wctvs9XtR_4  (03 : 25). Un solo basé sur le père en fin de vie. Première partie du spectacle « Père et mère ». Présentation La Rotonde, 2011.

Roger Sinha, Burning Skin (1992)  https://youtu.be/AlZ9vVs3ObM  (02 : 49). Un solo qui explore les racines ethniques du chorégraphe-interprète et revisite des pans entiers de sa propre enfance.

Martha Graham, Errand into the maze (1947)  https://youtu.be/ieMO1Z0UhGQ (14 : 28). Célèbre danseuse et chorégraphe américaine, elle est une des pionnières de la danse moderne américaine. Un important segment de ses créations chorégraphiques porte sur la mythologie grecque et ses personnages féminins.

Pour lire un peu sur les liens entre psychanalyse et danse : 

https://violainemouthon-champ-analytique.e-monsite.com/blog/solitude-danse-et-poesie-du-reel.html

https://www.blogg.org/blog-43342-date-2007-01-02-billet-l%E2%80%99inconscient_dans_la_danse___inconscient_de_la_psychanalyse_-507802.html

Pour creuser encore plus loin : 

Voir la revue Jeu LA TENTATION AUTOBIOGRAPHIQUE  Numéro 111 (2), 2004, p. 2-193  Sous la direction de Hélène Jacques.

Voir la collection des bandes dessinées/romans graphiques de Michel Rabagliati, dont le merveilleux Paul à Québec, prix du public lors du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême de 2010.


[i] « La danse-thérapie, apparue dans les années 40, est issue de la danse moderne et du courant humaniste du 19ème siècle. Si la danse moderne se base sur la nouvelle conception du corps, définie en 1860 par François Delsarte, proposant un modèle englobant corps-émotion-esprit-communication, la danse-thérapie s’étaye sur les différents courants psychanalytiques. » Dominique Séjalon, cité dans  https://www.psychanalysemagazine.com/developpement-personnel-la-danse-une-therapie-pour-soi.html

[ii] …la personnalité du père … ou les ascendants raciaux… ou les grandes figures mythologiques.

Chroniques du regard 2013-2014, No5: Out Innerspace Dance Theatre, Me So You So Me de David Raymond et Tiffany Tregarthen

MSYSM_OISshoot6_Wendy DLe spectacle

Me So You So Me est un spectacle de danse contemporaine présentant deux personnages un peu burlesques que l’on suit pendant une heure, dans une suite d’aventures qui les font se rencontrer, s’affronter, se quitter, se rapprocher ou se fondre l’un dans l’autre. Les personnages semblent vivre une épopée physique et émotionnelle qui les sort des ténèbres, pour mieux les y ramener. Dans un univers à l’esthétique manga (bande dessinée) et pop japonaise, le spectacle est très habilement soutenu par des éclairages judicieux, un peu de vidéo et des effets visuels très réussis.

Tout au long de la présentation, la complicité entre les deux interprètes est très fortement établie. Les deux créateurs et interprètes, David Raymond et Tiffany Tregarthen, offrent une performance attachante, avec une pointe d’humour bon enfant dans une théâtralité très gestuelle. La chorégraphie est originale et raffinée tout en présentant de nombreux aspects surprenants. La gestuelle utilise une variété de styles et dénote diverses influences allant du mime corporel au travail clownesque.

Les éclairages de James Proudfoot sont en symbiose avec les mouvements, la musique et les aspects plus théâtraux. Ils permettent de situer narrativement les personnages dans des univers plus ou moins clos, définis dès le départ par des formes rondes ou carrées. Le spectacle mise aussi sur une trame sonore absolument réussie du percussionniste japonais Asa Chang. Celui-ci offre un mélange d’instrumentations classiques orientales et d’éléments électro-acoustiques plus expérimentaux.

Les chorégraphes-interprètes

Les deux artistes, danseurs originaires de la Colombie-Britannique, sont installés sur la côte Ouest canadienne. Ils sont associés dans la compagnie Out Innerspace depuis 2007 en plus de participer aux spectacles et créations de divers autres compagnies ou collectifs de Vancouver et de sa région.

Tiffany Tregarthen a commencé sa pratique de la danse par le jazz, dansant professionnellement entre autres à New-York pour la compagnie de Mia Michael. Elle s’est installée en Belgique de 2005 à 2007 avant de revenir au Canada pour gagner l’un des quatre prix de la compétition chorégraphique des Grands Ballets Canadiens de Montréal en 2008. Elle danse aussi dans les spectacles de Wen Wei Dance. [i]

David Raymond a commencé par la claquette avant d’explorer d’autres formes de danse, incluant un travail avec les danseurs de rue du collectif Over the Influence. Il aime rechercher des manières alternatives d’utiliser ses acquis et s’intéresse à la curiosité et aux peurs humaines. Récipiendaire du prix Isadora en 2011, il danse aussi pour Wen Wei Dance ainsi que pour le 605 Collective[ii].

La compagnie

La compagnie Out Innerspace Dance Theatre & Film Society[iii], installée à Vancouver depuis 2007, offre un répertoire mixte qui veut, entre autres, présenter au jeune public une danse contemporaine réalisée de façon sophistiquée. Les deux chorégraphes-interprètes, déterminés à rester dans l’innovation, aiment toutefois garder légèreté et fraîcheur dans leurs œuvres tout en souhaitant rester accessibles à un large public. Ainsi, leurs créations poussent les limites des esthétiques et des formes traditionnelles avec une ingéniosité sans retenue.

Après une première collaboration en 2004, les deux artistes sont allés ensemble profiter d’une résidence artistique en Belgique entre 2005 et 2007. Ils y ont étudié, enseigné, créé différentes œuvres (incluant parfois la vidéo) et rencontré le public, en duo autant que chacun de leur côté. C’est lors de leur retour à Vancouver en 2007 qu’ils ont créé ensemble leur compagnie. Depuis, celle-ci est très active dans plusieurs projets d’éducation et de médiation culturelle, faisant découvrir et apprécier la danse contemporaine à de nombreux participants ayant différents niveaux d’expérience, leur faisant expérimenter techniques de création et répertoire.[iv] La compagnie était aussi présente en 2012 au prestigieux festival américain « Jacob’s Pillow »[v].

Pistes d’observation

Revenons au spectacle Me So You So Me. Suite aux chroniques précédentes et toujours dans le but de faciliter votre approche critique, je rappelle ici quelques points d’observations lors du spectacle. Points que vous pourrez nommer avant de peut-être comparer vos réponses avec d’autres spectateurs. Cette première étape d’observation est cruciale. Elle permet d’objectiver le regard, une fois passées les émotions ressenties lors de la représentation.

Ces observations pourront ensuite servir à une éventuelle analyse plus en profondeur du spectacle. Quelques pistes d’analyse seront offertes plus bas. Rappelons le continuum :
(1) Observation et description – (2) Analyse – (3) Évaluation et critique.[vi]

1.- a) Pouvez-vous décrire l’alternance des solos et duos pendant la performance.

1.- b) Pouvez-vous décrire comment les danseurs utilisent leur corps (mouvements et gestuelle) ? Avez-vous reconnu des façons de faire que vous connaissiez déjà (technique de danse ou vie quotidienne) ?

1.- c) Pouvez-vous décrire les relations des danseurs entre eux ? Et avec leur environnement (scène vide, alternance entre le noir et la lumière, couleur des éclairages, projections vidéo) ?

Pistes d’analyse

2.- a) Comment rattachez-vous le titre au spectacle ?

2.- b) Vous avez assisté à une chorégraphie à deux signataires, comment réagissez-vous à ce fait plutôt inhabituel ?

2.- c) Comme la majorité des spectacles de danse, celui-ci a été présenté sur scène, en face des spectateurs, comment réagissez-vous à cette organisation spatiale? Connaissez-vous le concept du quatrième mur ?[vii]

Vous voici donc un peu plus outillés pour devenir des spectateurs attentifs aux subtilités de la danse contemporaine et à ses modes de présentation. Toutefois, malgré ces informations intellectuelles servant à l’analyse, n’oubliez pas le plaisir de vous abandonner au spectacle et de vous laisser embarquer dans le voyage offert par ces créateurs !


[i] En 2010, la compagnie Wen Wei Dance présentait le spectacle COCK-PIT à La Rotonde: https://youtu.be/r3UymJh3Bmc

[ii] https://www.605collective.com/. Il est aussi à noter que des membres du collectif offriront à Québec un stage d’entraînement pour danseur professionnel en mars prochain : https://www.larteredanse.ca/entrainement-continu/

[iv] Tiré du site web de la compagnie : « An education initiative of Out Innerspace, Modus Operandi bridges young emerging dance artists to the contemporary dance community, offering guidance and development of their individual dance practice. Entering in its sixth season, Modus Operandi offers both a 9 month and a multi-year curriculum to 25 dancers developing their interest and integration into the Vancouver dance community and abroad through apprenticeships, technique, creation, performance, research and dialogue not only in contemporary dance, but a variety world dance and related contemporary arts. »

[v] https://www.jacobspillow.org/  Ce site est une immense mine d’informations sur la danse moderne et contemporaine. On y retrouve une foule de renseignements très fouillés et de vidéos historiques présentés par périodes historiques ou genres de danse.

[vi] La description explique les « données de base » de l’événement, avec des détails de ce qui s’est produit, où et quand. Les éléments de l’exécution y sont décrits, y compris le mouvement, la musique, des ensembles, l’éclairage, des costumes, etc. On ne donne pas son avis tout de suite. La description objective évite les adjectifs et les préjugés personnels. L’analyse aborde la signification de la performance et traite de l’exécution de la danse. On y discute images, idées, thèmes, récits et contextes. Des liens sont créés avec les éléments décrits et on cherche à expliquer comment le(s) chorégraphe(s) a utilisé les divers éléments pour exprimer ses idées. La critique pourra ensuite porter un jugement (évaluation) en lien avec l’intention de départ, l’efficacité de la structure, l’atteinte du but et le succès ou non de la démarche.

[vii] Il en sera question plus en profondeur dans la chronique sur le spectacle Trois paysages présenté en mars. https://www.larotonde.qc.ca/spectacle/trois-paysages-2/